En descendant les marches de ma chambre pour atteindre notre salon de Baker Street, ma jambe et ma tête toujours douloureuses, je me mis à penser que mon ami Sherlock Holmes devait avoir passé une excellente nuit en compagnie de sa cliente la veuve Norton. Depuis "Un Scandale en Bohême", je ne pouvais m'empêcher de croire que Holmes, l'ingénieux détective qui détestait les relations, quelles qu'elles soient, conservait à l'égard d'Irène Adler des sentiments qu'il ne pouvait contrôler. Aussi espérais-je secrètement, peut-être pour lui prouver que j'avais toujours eu raison sur le fait qu'il était bien humain, de le retrouver aux côtés de madame Adler dans une situation qu'il n'aurait pas aimé connaître. Et pourtant, en ouvrant la porte du salon, ma trépignante curiosité redescendit aussitôt : Holmes était bien là, allongé de tout son long dans son canapé, le regard dirigé vers la fenêtre qui donnait sur la rue, les doigts collés les uns aux autres comme il aimait le faire dans ses réflexions les plus profondes. Madame Adler n'était visiblement pas encore sortie de sa chambre.
- Bonjour Watson ! Vous êtes-vous bien reposé ? Me demanda-t-il sans se retourner.
- Bonjour Holmes. Mes blessures ne sont pas prêtes de se retirer, mais je crois avoir tiré le meilleur parti de ma nuit, en effet. Avez-vous fait de nouvelles découvertes sur cette affaire ? Je suppose que oui, puisque Irène Adler est venue vous trouver...
Je pense avoir tenté, à ce moment-là, d'orienter la conversation vers cette femme qui, sans le vouloir, se trouvait mêlée à ma propre illusion quant à la vie privée de mon ami. Evidemment, Sherlock Holmes ne tomba pas dans le panneau et, se redressant sur ses appuis, m'observa intensément de ses yeux bleus, m'indiquant qu'il avait compris à quel jeu je jouais mais qu'il ne comptait pas y entrer à son tour. Il rajusta sa robe de chambre marron sur son torse, passa une main sur ses cheveux impeccablement coiffés et me donna les détails de sa réflexion nocturne ainsi que les données apportées par sa cliente, qui venait confirmer ses pensées précédentes. Il ajouta que, après cette nuit à discuter avec madame Adler, cette dernière avait catégoriquement refusé de lui dévoiler le contenu des documents qu'elle gardait toujours près d'elle, ce qui avait tendance à l'énerver.
- Madame Adler considère que ce sont des informations essentielles à sa protection, comme l'a été la photographie avant qu'elle ne soit brûlée. Tant qu'elle les détiendra, elle sera en danger mais, en un sens, elle protégera aussi Londres de l'activité du bandit : si elle ne dévoile pas cela à la police, c'est parce que Scotland Yard chercherait à cueillir la bande sur le lieu du crime. Or, au vu de l'étendue de cette organisation, madame Adler est certaine que ce génie du crime saura que quelque chose l'attend, et toutes les informations recueillies deviendraient inutiles puisque rien n'aurait lieu. Ainsi, elle préfère me confier qu'il existe bien une organisation criminelle à Londres, mais je dois me débrouiller seul pour la dénicher : elle pense que, si elle me donnait le contenu de ses lettres, on me tomberait dessus comme cela a été le cas pour vous, Watson. Je me trouve donc dans une impasse, et j'ai passé ma nuit à y réfléchir.
- A vrai dire, mon ami, vous n'êtes pas vraiment dans une impasse. Voyez-vous, hier, quand vous m'avez repêché de la Tamise, je n'ai pas eu le temps de vous délivrer tout mon témoignage, énervé comme vous l'étiez contre Scotland Yard. Aussi, j'ai malheureusement oublié de vous dire que l'homme que j'avais vu au Hound pub comptait, d'une manière ou d'une autre, vous tomber dessus à un moment qu'il ne m'a pas dévoilé, expliquais-je en prenant appui contre une des chaises du bureau. Ainsi, si madame Adler consent à vous remettre ses bulletins, vous n'auriez plus d'obstacles à votre réflexion puisque, de toute façon, il me semble que vous soyez condamné par notre némésis invisible.
Je crois n'avoir jamais vu Holmes aussi enjoué que ce jour : il se leva d'un bond, me saisit par les épaules et, m'accordant une rapide accolade, sauta de joie en se dirigeant vers la chambre qu'occupait Irène Adler. Peut-être la bienséance aurait-elle voulu laisser la jeune dame finir sa nuit agitée, mais Holmes s'en moquait complètement : il allait avoir accès aux données qui lui manquaient pour démasquer cette organisation secrète qui lui donnait tant de plaisir. Alors qu'il frappait doucement à la porte, il se tourna vers moi en m'adressant ces quelques paroles.
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Le retour d'Irène Adler : a Sherlock Holmes story
Ficción GeneralAprès les événements d'un Scandale en Bohême, qui pouvait penser qu'Irène Adler reviendrait à Londres avec plus de secrets qu'à son départ ? John Watson consigne ici une affaire survenue cinq ans après celle de l'affrontement entre La Femme et Sher...