56 - La fin d'un brasier

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Contrairement à ce que je croyais, je récupère plutôt vite.
J'arrive à me lever, me toiletter et m'habiller, j'ai même droit à des visites dans la journée. Mes nuits voient régulièrement la venue d'Elrohir mais cela reste un secret que l'on garde à deux.
Les jours passent et une présence me manque encore.
J'attends avec impatience la venue quotidienne de mon frère qui aujourd'hui se fait languir. Je me retourne brusquement alors que l'on frappe à ma porte et déjà il entre.

– Tu m'attendais ? Fait-il amusé.

– Je veux voir Équinoxe.

Le sourire d'Anar s'efface quelque peu, il est mal à l'aise.

– Loin de moi l'envie de t'en empêcher mais je ne sais pas si...

– J'ai besoin de le voir.

– Je comprends, ma sœur, et je t'assure qu'il va bien. Je peux aller trouver le Seigneur Elrond et lui demander... si tu peux.

Il choisit bien ses mots, le bougre...

– Je sais que tu as pris soin de lui et qu'il va bien mais... je le sens à peine dans mon esprit. J'ai besoin de le voir, de constater qu'il... s'en est aussi sorti.

Anar a vraiment l'air peiné. Il s'avance en silence et me tend la main. Résignée, je lui prends. Je dois écouter ce que l'on me dit, ce que le Seigneur Elrond préconise, je ne suis pas tout à faire remise mais...

– C'est dur...

Anar me serre la main avant de me tirer en avant.

– Viens.

Surprise, je le laisse m'entraîner vers le couloir. Le Warg, couché sur mon lit, se redresse et nous emboîte le pas alors que l'on sort de la chambre.

– Anar...

– On ne fait rien de mal. On ne m'a pas dit que je ne pouvais t'amener promener dans cette demeure, ce n'est pas comme si on comptait prendre des chevaux et s'enfuir d'ici.

Je rougis avant de rire. Je serre la main de mon frère puis, le cœur serein, je le suis dans les couloirs. On arrive rapidement près de la sortie donnant vers les écuries. Alors qu'on s'apprête à descendre la dernière volée de marches, je vois Elladan, Elrohir et Glorinfel arriver.
Malgré moi je me fige, j'ai vraiment l'impression d'enfreindre une règle muette.

– Isil ! Comment allez-vous ? Lance Glorinfel avec sa jovialité habituelle.

Je mets un temps pour répondre, si bien qu'ils s'arrêtent devant nous.

– Très bien, et vous ?

– Je ne suis pas mort récemment, alors ça va.

Je m'empourpre tandis que les jumeaux se marrent.

– Vous allez vous promener dans les jardins ? Demande Elrohir sur le ton de la conversation.

– Voir Équinoxe, répondis-je un peu trop vite.

Ils acquiescent comme si c'était une demande parfaitement légitime puis Elrohir reprend.

– Il est dans les écuries, fait assez notable pour le relever.

Je souris. Équinoxe dans un box de son plein grès, je demande à voir.
On salut les trois Elfes puis on prend le chemin des écuries. Alors que je passe près d'Elrohir, il m'effleure la hanche avec son sourire en coin que j'aime tant. Il est content de me voir hors de ma chambre.

– Bon, visiblement, rien ne t'enfermait dans cette chambre. C'est un peu bête d'avoir hésité...

– Que veux-tu, mon frère, nous sommes des Elfes dociles.

On échange un regard avant de rire à l'unisson. Docile n'est pas le terme qui nous décrit le mieux.
En silence, main dans la main, on entre dans les écuries. Les douces pensées des chevaux nous accompagnent alors qu'on s'avance dans l'allée centrale. On est presque à la fin quand, d'une porte sur ma droite, sort une imposante tête d'un noir d'encre.
Je me fige tandis qu'Équinoxe me salut plutôt calmement. Sa crinière a été coupée avec soin mais, bien qu'elle a dû repousser depuis, elle n'a jamais été aussi courte.
Avec des gestes lents, je porte ma main à son museau. La douceur de son pelage m'avait manqué mais sa retenue m'étonne, la délicatesse n'est pas vraiment de lui.
Je ne me l'explique pas mais je le ressens à peine dans mon esprit, quoi qu'il se soit passé ça a laissé des traces.
Je porte ma main au loquet mais Anar bloque mon mouvement.

– Tu dois le sentir, Équinoxe a.... aussi souffert de votre passage au Mordor. Il a été sérieusement blessé et en porte encore les stigmates. Le temps aidera à les effacer mais ça peut t'impressionner.

J'acquiesce d'un hochement de tête, remercie mon frère d'un sourire puis j'ouvre la porte du box. Anar a eu raison de m'avertir.
Les flancs, le ventre et les pattes d'Équinoxe sont parsemés de zones sans poils, des cicatrices qui peinent à disparaître. Doucement j'y porte la main avant de descendre le long d'une patte. Docile, Équinoxe me donne son sabot tandis que je vois l'ampleur des brûlures qu'il a subi.
Il a failli mourir, pour moi...
Je me redresse pour l'enlacer. Équinoxe repose sa tête sur mon épaule, m'écrasant quelque peu sous son poids.

– Merci de m'avoir porté jusqu'au bout du monde...

Pour toute réponse, Équinoxe m'envoie une flopée d'images. Qu'importe où je veux aller, il sera à mes côtés même de l'autre côté...

– Tu es fou, il n'y a pas d'autres explications.

Équinoxe s'indigne faussement et me bouscule, un peu trop fort car je titube en arrière. Anar me récupère et me remet en équilibre.

– Vous avez une drôle de relation, soupire t'il tandis que je suis heureuse de retrouver le caractère si particulier de ma monture.

– Tu n'as pas idée, ris-je en caressant à nouveau Équinoxe qui se frotte à moi.

Anar me sourit puis se joint à moi.
Mon frère est d'un calme apaisant, on dirait que rien ne le surprend plus.
On sort des écuries vers le paddock attendant. Les pensées des chevaux présents me font l'effet d'un baume apaisant sur mon esprit. Je me sens à nouveau moi, et surtout sereine.
Je regarde Équinoxe s'avancer d'un pas tranquille, son pelage noir luisant sous les rayons du soleil. Je vais devoir habituer mon regard à ces cicatrices, laisser le temps faire son œuvre et effacer cette horrible épopée de nos esprits et de nos corps.
Soudain Anar me prend la main. Le regard au loin, il m'apporte son soutien de la plus belle des façons. Je souris avant de me jeter à son cou.
Il chancelle un instant puis rit en me serrant contre lui.

– Merci... soufflé-je.

Anar colle son front contre le mien.

– Merci d'être revenue.

Je tique, le Seigneur Elrond lui aurait-il parlé de mon choix ?
Non...
Anar sait que je suis revenue pour eux, pour lui.
Nous allons enfin pouvoir être réunit, sereinement et juste ensemble.



***


Tome 3 - La lune ardente de FangornOù les histoires vivent. Découvrez maintenant