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Je n'étais pas revenue chez moi pendant les grandes vacances. Ma grand-mère m'avait hébergé puisque j'avais tout bonnement refusé de retourner chez mes parents. Nanny avait mis du temps avant d'accepter ma requête, mais en voyant mon désespoir, elle avait accepté.

Maman m'avait directement montré ma chambre, et j'y avais passé ma soirée. L'endroit n'avait pas changé, personne n'avait rien touché. Mon bureau était toujours recouvert de palettes de peintures de toutes les couleurs, de feuilles trempées de grosses tâches marônnatres et de petites plantes sur le bord. Apparemment, les pensées qui embellissaient le meuble n'avaient pas eu dans l'idée de mourir pendant mon absence.

Ce qui était terrifiant, c'était que ma propre chambre me rendait nostalgique. J'étais assise en tailleur par terre, à remettre de l'ordre dans des piles de papiers que j'avais trouvé dans des tiroirs. La plupart étaient des vieux dessins, d'autres des papiers indiquant pourquoi mes professeurs principaux m'avaient mise en retenue.

Deux petits coups furent frappés à la porte, je m'arrêtais dans mon geste. J'entendis Maman parler à travers le bois.

"- Il faut aller à table. Tu ne vas pas rester ici pendanr une semaine, si ?"

J'ouvris la porte pour tomber nez à nez avec la femme que j'appellais Maman sans vraiment le penser. Mes parents ne m'avaient jamais rien fait ; ils ne m'avaient pas battue, ils m'avaient nourrie et hébergée. Mais il manquait toujours quelque chose dans la maison.

Puisqu'ils ne m'avaient jamais aimé.

Maman descendit les escaliers, et moi, avec une salopette bleu clair qui ternissait la perfection de ma mère, la suivit comme si de rien n'était. Elle s'installa au bout de la table, Papa était déjà assis. Il jouait avec sa fourchette en attendant que les plats arrivent.

Maman joua avec ses boucles rousses en me regardant : elle attendait que je prenne la parole.

"- Je n'ai rien à dire, Maman.

- Tu ne veux pas nous parler de ton année scolaire ? Tu as bien dû te faire des amis, là-bas."

Touché. Je baissais la tête alors que les domestiques apportaient les assiettes fumantes d'émincés de bœuf. Maman tapota la table de ses longs ongles vernis en rouge, mais je n'y prêtais plus attention. Je commençais à manger en oubliant volontairement de lui donner une réponse.

"- Bon, Svetlana. J'aimerai rattraper certaines choses que nous avons manqué avec toi. J'essaie d'être une bonne mère, alors sois une bonne fille.

- Ç'aurait été mieux de commencer quand j'avais trois ans, non ?

- Mieux vaut tard que jamais.

- Non. Pas dans ce cas-là. Pas dans l'amour donné à un enfant. T'avais pas le droit de me faire croire que c'était moi qui avais un problème.

- Est-ce que tu te rends compte de ce que tu dis ?

- Parfaitement, et je regrette même pas de te balancer ça à la gueule. T'as été une mère indigne et tu le resteras. Tu peux pas changer du jour au lendemain, et je suis pas aveugle. Je sais que tu fais semblant de t'intéresser à moi parce que t'as besoin de te donner bonne conscience."

La gifle fusa. Je m'y attendais, après ce que je venais de dire. Maman était furax, ses yeux lançaient des éclairs. Papa, assis de l'autre côté, se faisait le plus petit possible, comme il l'avait toujours fait dans notre vie. Je sentis ma joue brûler, j'avais les yeux écarquillés. Pas à cause de la claque en soi, mais de la violence du choc.

C'était la première fois que Maman me frappait.

"- Tu ne comprends pas, Svetlana. Et je ne pense pas que tu puisses comprendre. Je ne t'ai jamais vu comme ma fille, mais comme un boulet que je devais traîner jusqu'à ce qu'il devienne utile. Je ne sais pas si tu te rends compte que pendant neuf mois, j'ai dû arrêter de travailler. Je ne voulais pas être enceinte. Ce n'est pas de ma faute. J'étais obligée d'enfanter pour assurer un avenir à l'entreprise familiale."

Ça, je le savais aussi. Maman était la directrice d'une grande agence multinationale qui engageait de futurs artistes, en leur donnant de l'argent, de la publicité et tout ce qui allait avec. J'avais grandi sans amour, alors à dix ans, j'avais assimilé le fait que ma mère me considère comme un objet ayant pour but de contribuer à la renommée de l'agence. Je suis restée coite, bloquée sans pouvoir parler. Ma tête n'était plus qu'un chaos titanesque de souvenirs et d'insultes envers ma génitrice.

Sans attendre qu'elle continue son monologue convernant mon inutilité, je m'élançais dans l'escalier pour rejoindre ma chambre le plus vite possible. Je fermais la porte, m'assis lentement sur le sol. Mes genoux craquèrent et les piles de papiers s'envolèrent, ne laissant plus qu'un fouillis de feuilles éparpillées.

J'attrapais mon téléphone et envoya un message à la seule personne que je considérais comme un secours.

Adi répondit dans la minutes qui suivit.

Adi♥ :

/Coucouuuuuuuuuuu !

Svet :

Coucou
Cv ?

Adi♥ :

On s'ennuie un peu ici, mais on s'y fait
Et toi ?

Svet :

Je m'ennuie aussi
Tu veux pas venir chez moi ?

Adi♥ :

Ben non, t'es con 😂😂
Sinon je me ferai allumé par mes parents

Svet :

Je viens de me faire allumer par les miens, cv en vrai

Adi♥ :

(˘・_・˘)
Il s'est passé quoi ?

Svet :

Rien de bien grave, des histoires de famille
Continue de me parler, ça me fait du bien/

C'est ainsi que je passa ma soirée à discuter avec elle. Adi continua de me lancer des sous-entendus pour savoir ce qui s'était passé avec ma mère, malgré mes incessants "tout va bien". Elle m'envoya des images, j'y riais. Je m'endormis sur ma couette, le téléphone dans ma main, qui vibrait des nombreux messages qu'Adi m'envoyait.

Après cet épisode, je n'avais pas reparlé à mes parents. Maintenant, j'avais plutôt hâte de rentrer à l'école pour éviter les regards désobligeants de ma mère, et retrouver Adi par la même occasion.

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Notre maison comportait une grande véranda et une bibliothèque dans la salle à côté. L'été, c'était un joli panel de coloris qui se collaient aux pavés de la grande salle de verre. Ma mère disait qu'y lire était d'un plaisir. Je n'aimais pas lire. En hiver, il y faisait juste froid.

Je m'armais d'aquarelles et de mon manteau, ouvrit la porte coulissante de la véranda et m'assit à la grande table de la pièce. La neige continuait de tomber en gros flocons, mais moins qu'avant. Le temps était couvert, gris et maussade. La seule chose à dessiner qui me venait à l'esprit était un portrait. Mon crayon traça traits pour traits le visage rond d'Adi, ses lèvres pulpeuses le nœud qu'elle portait dans ses cheveux et l'éclat qui brillait éternellement dans ses pupilles.

C'était ressemblant. Je la fis sourire, son immense sourire qui lui était propre. J'allais lui offrir quand nous nous reverrions ; j'y voyais là un moyen de la remercier de la façon dont elle s'inquiétait pour moi.

La peinture glissa sur le papier, doucement, pour embellir les traits déjà magnifiques du portrait. Je me retrouvais, après quelques heures de travail, avec un dessin parfaitement colorié qui retranscrivait la façon dont je voyais Adi. En fait, elle était ma première amie.

Mes vacances se terminèrent bien trop lentement à mon goût. J'avais besoin, inconsciemment, de revoir Adi. À ce stade, elle était un peu devenue le soleil de mes journées. Elle ne s'en rendait probablement pas compte ; ce n'était pas grave.

Je la voyais telle qu'elle était réellement, une fille solaire qui s'inquiètait pour tout le monde. J'aurai peut-être dû voir que personne ne s'inquiètait pour elle, mais j'avais l'année pour apprendre à la connaître.

Je voulais apprendre à la connaître.

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NDA : j'ai peur de faire avancer l'histoire trop vite... Par contre j'ai déjà pas mal d'idées pour la suite et ne vous inquiétez pas, leur relation ne se met pas en place si vite que ça !

ՏᏙᎬͲᏞᎪΝᎪ • ᏟϴႮᏞᎬႮᎡ ᏢϴႮᎡᏢᎡᎬOù les histoires vivent. Découvrez maintenant