ՏᏙᎬͲᏞᎪΝᎪ • ᏟϴႮᏞᎬႮᎡ ᏢϴႮᎡᏢᎡᎬ

•2•

Je n'arrivais pas à dormir. La lune tenait mes insomnies, et cela faisait un bon moment que je n'avais pas passé une nuit complète. Je tripotais le coin de ma table de chevet, en enlevant le vernis du bois. J'allais me faire gronder quand la femme de chambre découvrirait les petits bouts de peinture sur le sol.

"- Eh, psst."

Je tournais la tête sur la droite, couchée sur le dos. Adi était assise en tailleur sur le lit du haut, à me fixer comme elle en avait maintenant l'habitude. Je lui fis coucou de la main, elle sourit. Néanmoins, une question me taraudait l'esprit. En chuchotant, je la lui posais.

"- Pourquoi tu continues de me parler ? Je ne pense pas être d'une compagnie assez plaisante.

- Je sais pas, t'es plus sympa que les autres. C'est vraiment marrant de discuter avec toi parce que t'as pas les mêmes réactions que les filles. Et j'ai l'impression que tu m'écoutes vraiment, aussi."

J'avais reçu le compliment en plein cœur. Je me mis à rire silencieusement, les mains croisées sur le ventre. Adi entreprit la même chose et s'écroula sur son lit. Je pouvais voir la masse noire de son dos remuer sous le coup de ses gloussements.

Un rien la faisait rire. Je n'avais jamais rencontré quelqu'un qui riait pour rien. C'est peut-être comme ça qu'Adi est réellement rentrée dans mon cœur, par une nuit d'insomnie des plus banales. En y repensant, la lune et le noir avait été témoin de notre première marque d'affection.

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Deux semaines que je fréquentais Adi. Nous étions juste avant les vacances d'hiver, celles de Noël, là où les femmes de ménages mettaient des guirlandes au plafond et qu'un grand sapin décorait la salle à manger. Je m'étais installée à un bureau de la salle B4. C'était ma préférée ; les fenêtres donnaient sur le parc et je pouvais observer les gens qui s'amusaient dedans.

J'arrivais la plupart du temps en avance pour éviter de me faire piquer ma place à côté des carreaux. La matinée s'annonçait chargée, puisque nous avions le droit au cours d'anglais de madame Pinson et à celui de sport de madame Drecker. Franchement, qui avait envie de voir la tête de nôtre prof de sport qui criait parce qu'on n'était pas capable de faire un salto arrière suivi d'un grand écart ?

Absolument personne.

Une certaine fille ouvrit lentement la porte, laissant apparaître sa tête et son carré bouclé de cheveux. Je tournais la mienne en retenant mon rire, Adi me fixa, encore.

"- T'es toujours à l'heure, même quand c'est bientôt les vacances. Pourquoi ?

- Parce que j'aime bien cette place."

Je m'affalais dessus avec un regard malicieux. Elle s'assit sur le bureau juste devant moi, ses pieds sur le mien. Elle dodelina de la tête en me regardant avec un sourire.

"- Je savais pas qu'on avait cours d'anglais ensemble.

- Moi non plus. Quel coïncidence."

Adi éclata de rire et je la suivis parce qu'elle était là. Sa façon d'éclairer une journée me réchauffait le cœur. On a continué de discuter, le temps que les autres élèves entrent dans la salle de classe.

Adi descendit de son bureau, s'éloigna un peu. Je me redressais en cherchant ses yeux.

"- On a pas cours ensemble, je voulais juste te parler.

- Ah. Merci ?"

Et elle disparut, emportée par le flot de personnes qui affluaient. Je me reconcentrais sur le tableau. Je n'avais plus rien d'intéressant à faire.

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J'attendais devant les grandes portes du lycée des Belles Colombes. Pour la première fois, mes parents avaient décidé de me rapatrier à la maison pour les vacances. J'allais passer une semaine chez moi, à peindre à l'aquarelle les oiseaux qui crapahutaient sur les branches pleines de neige ou à écouter ma mère se plaindre de l'état. Je n'avais pas grande hâte de la revoir, mais il fallait bien que le jour des retrouvailles arrive.

J'avais ma grosse valise, de la fumée sortait de ma bouche à cause du froid ; nous étions bel et bien en plein hiver. Quelqu'un me tapota l'épaule. À ma grande surprise, ce n'était pas Adi. C'était Willow, une grande blonde qui attachait toujours ses cheveux en deux petites tresses. Elle avait un long nez, des grands yeux de biche marrons et un visage de bébé tout rond qui contrastait avec sa grande taille. La seule chose que j'avais retenu à son sujet, c'était qu'elle était très pieuse. Ses yeux me lançaient des éclairs qui firent frissonner ma colonne vertébrale.

"- Je viens de la part d'Adi. Elle ne rentre pas pour les vacances, et n'a donc pas l'occasion de venir te voir en maintenant. Elle m'a demandé de te passer ça."

Willow me tendit un petit bout de papier plié en deux et repartit aussi vite qu'elle était venue. Son teint pâle l'avait faite passer, à mes yeux, pour un fantôme, et la façon dont elle avait déguerpit n'avait rien arrangé.

Je dépliais le papier et l'ouvrait entre mes doigts ; c'était un numéro, et il y avait marqué "Adi♥" en dessous, avec un petit cœur sur le "i".

Donc j'attendais encore, ayant enregistré le numéro dans mon téléphone. Ma valise tournicotait autour de moi.

Une voiture aux vitres teintées fit son apparition devant moi, je soupirai. Papa et Maman n'avait jamais su faire dans la discrétion. J'ouvrais la portière après avoir mis ma valise dans le coffre et m'enfonçai dans le siège en croisant les bras. Le conducteur resta silencieux, me lançant des coups d'œil de temps en temps. Que voulait-il vérifier ? Que je ne saute pas sur la route alors qu'il roulait à 90 ?

Je collais ma tête sur la fenêtre en sentant les cahots et les vibrations de la route sous ma joue. Le trajet dura un bon moment, et quand le conducteur s'arrêta devant un grand manoir à la toiture gris cendres, je ne pus m'empêcher de soupirer.

J'ouvris la portière, pris ma valise et me tourna vers ce que j'aurai dû considérer comme une maison.

Ma mère attendait sur le palier, son impeccable robe voletant mollement autour de ses jambes galbées, me lança un sourire.

"- Ça faisait longtemps, Svetlana."

Je levais les yeux au ciel. Le calvaire de mes vacances allait commencer.