Chapitre III-I : Il faut sauver Ayrik

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               Raeni quitta le bureau du directeur deux heures plus tard, furieuse et rongée par l'angoisse. Elle avait eu beau hurler, s'énerver, avancer tous les arguments qu'elle avait pu trouver pour défendre le petit garçon, l'homme n'avait rien voulu entendre. Malgré ses dires, la jeune femme savait pertinemment que lui-même ne croyait pas en l'innocence d'Ayrik. Cette occasion de s'en débarrasser était trop belle, il ne pouvait la laisser passer. Il ne l'aurait jamais avoué à voix haute, car il se devait de tenir sa réputation et la confiance des enfants, mais il n'avait jamais voulu de ce petit humain à l'orphelinat. Jamais.

Ayrik était arrivé là huit ans plus tôt. A peine né, enveloppé dans une couverture ornée de fines broderies. Personne n'avait vu qui avait pu le déposer devant la porte de l'orphelinat, et personne n'avait voulu l'adopter à cause de ses origines. Pourtant, le bambin était adorable : d'un caractère doux et calme, un peu rêveur, il n'avait jamais cherché d'ennuis à qui que ce soit et faisait même bien attention à faire tout ce qui lui était demandé afin d'éviter de s'en attirer. Certains l'avaient bien vite compris, et se servaient de lui comme bouc émissaire. Et personne n'avait voulu prendre sa défense, jusqu'à l'arrivée de Raeni.

La jeune femme regagna sa chambre, dont elle claqua la porte avec violence derrière elle. Elle tourna ensuite la clé dans la serrure afin de ne pas être dérangée, puis enfila en vitesse une tunique et un pantalon léger. Une paire de bottes et une longue cape noire à capuche vinrent compléter sa tenue. Elle rabattit le bout de tissu sur sa tête afin de dissimuler son visage, puis déplaça son lit de quelques centimètres sans bruit. Elle compta cinq lattes depuis le mur, appuya sur la sixième, et révéla une minuscule trappe soulevée par le mécanisme. Elle s'assura une nouvelle fois que personne ne se trouvait à la porte avant de se glisser dans l'étroite ouverture.

Le passage se referma derrière elle, la plongeant dans une semi-obscurité à laquelle il lui fallut s'adapter. Elle descendit une échelle de bois. Lorsque ses pieds touchèrent la terre meuble du sous-sol, elle remonta le boyau durant deux minutes avant d'émerger derrière un épais buisson entre les maisons. La jeune femme s'assura que sa capuche dissimulait bien son visage avant de s'engager dans la rue. Elle longea les murs avec le plus de discrétion possible, consciente des risques qu'elle prenait à sortir ainsi de sa chambre malgré la surveillance que devait exercer la garde. Elle dut à plusieurs reprises se dissimuler à l'angle des bâtiments afin d'éviter des patrouilles. Elle était inquiète, mais devait à tout prix rejoindre son petit protégé pour s'assurer qu'il allait bien.

Contrairement à ce qu'elle avait dit au directeur, Raeni savait où se trouvait Ayrik : grâce à quelques gamins des rues alliés à sa bande, elle avait pu savoir à temps ce que préparait Khassendrah et envoyer le petit garçon à l'abri avec une escorte de deux ou trois autres orphelins de confiance. Elle avait cependant préféré rester, car elle s'était doutée qu'elle serait l'une des premières à être interrogée au sujet du larcin et de l'implication du jeune humain. Elle n'avait cependant pas prévu que sa disparition soudaine puisse passer pour un aveu, surtout avec le bijou toujours présent à l'orphelinat. Elle serra la mâchoire un instant. Khassendrah, une fois encore, avait réussi son coup. Ayrik risquait de payer pour une bêtise qu'il n'avait pas commise, et elle s'en sortirait sans la moindre punition, et même plutôt victorieuse, s'il venait à être emprisonné comme l'avait promis le directeur.

La jeune femme quitta bientôt les beaux quartiers pour entrer dans les zones les plus mal famées de Khaëlentis. Dès que les pavés commencèrent à perdre en régularité, que la façade des maisons lui apparut plus décrépie, elle accéléra l'allure et baissa la tête sans pour autant cesser de faire attention à ce qu'il se passait autour d'elle. Jadis, même les ruelles les moins bien entretenues possédaient un certain charme. Raeni n'y aurait certes pas traîné à la noct-heure, surtout à l'âge qu'elle avait à l'époque, mais, au moins, les bâtiments tenaient debout et les passages étaient dégagés. Après la guerre, les édifices en ruines se comptaient par dizaines, et de nombreuses allées avaient été condamnées par les débris laissés par les différents assauts. De plus, une multitude de paysans privés de leurs terres avaient élu domicile dans les recoins les plus insalubres, à la recherche d'un peu de sécurité. Aujourd'hui, eux-mêmes représentaient une menace certaine pour les habitants de la cité. Cependant, elle savait aussi que personne ne changerait la situation de sitôt. Les autorités préféraient reconstruire les zones les plus densément peuplées, ainsi que celles qui avaient été plus durement frappées par le conflit. Khaëlentis, située loin du cœur des combats, ne se trouvait pas sur la liste des priorités.

Le Dragon des MersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant