Chapitre XI - I : Remontrances

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Khassendrah ne pensait pas connaître un jour une telle honte, ni une telle rage. Elle percevait à peine la dissipation progressive de la brume à travers les larmes qui embuaient ses yeux et s'écoulaient en un flot intarissable sur ses joues. Elle goûtait l'âcre saveur métallique du sang sur sa langue, causée par la plaie laissée par ses dents à l'intérieur de sa joue à la suite du coup de poing de Raeni. Ses doigts l'élançaient à tel point qu'elle manquait de tomber inconsciente chaque fois qu'elle tentait de les remuer, et elle souffrait de multiples contusions causées par sa chute. Elle devinait aussi, au gonflement de sa mâchoire, qu'elle serait défigurée par une ecchymose pendant au moins une semaine.

Raeni venait de l'humilier une nouvelle fois. Elle ne comprenait d'ailleurs pas comment elle avait pu réussir un tel exploit. Elle avait tout calculé : la broche de Vanador pour lui faire croire qu'il pourrait la rejoindre en un instant ; la capture des deux gamins et, mieux, de Faelor pour la forcer à craquer ; la présence de ses sbires pour l'aider à la maîtriser. Elle aurait dû gagner, cette fois. Mais non, la bâtarde s'en était sortie avec une plus grande aisance encore que d'habitude.

Un mouvement à la périphérie de son champ de vision la tira un instant de ses pensées. Elle reconnut la silhouette élancée de Sindor, accompagnée de celle, plus austère, de Vanador. Tous deux discutaient avec animation, l'Ahal en position clairement dominante. Elle entendait le capitaine bafouiller de vagues excuses, ponctuées d'explications vaseuses qu'elle ne tenta même pas de comprendre. Lui aussi s'était laissé surprendre. Il avait préféré déployer ses soldats pour maîtriser les incendies, sans imaginer un seul instant que les orphelins en profiteraient pour mettre les voiles, de surcroît avec le joyau de la flotte thalëni.

Vanador, lui, s'était montré plus réactif. Il avait rejoint Khassendrah juste après la bataille, alors que le Perle d'ambre s'évanouissait dans les ténèbres. Il lui avait à peine accordé un regard avant d'aboyer des ordres à ses gardes personnels. L'un d'eux l'avait relevée et couverte d'une cape, sans doute davantage par pitié personnelle que sous les ordres de l'Ahal. La suite était plus floue pour elle : des bruits de pas, des cris, elle n'avait pas tout suivi. Elle avait bien trop mal pour faire attention à ce qui l'entourait, surtout dans la purée de pois qui recouvrait le port.

— Et toi, qu'est-ce que tu fichais là ?

Khassendrah leva les yeux, consciente que l'apostrophe s'adressait à elle. Le regard courroucé de Vanador la transperça comme s'il pouvait lancer des éclairs. Elle pinça les lèvres et baissa les yeux.

— J'ai vu une colonne de gamins parmi lesquels se trouvaient certains des amis de Raeni, lâcha-t-elle d'un ton monocorde. J'ai tout juste eu le temps de comprendre ce qu'il se passait. J'ai pensé à alerter des gardes, mais il n'y avait personne à proximité, alors je me suis dit qu'il valait mieux que je tente de les ralentir jusqu'à ce que quelqu'un intervienne.

— Idiote, siffla l'Ahal.

Il passa à côté d'elle. Le courant d'air qu'il généra la fit frissonner. Elle s'attendait au pire, avec lui. Au moins, il n'avait pas découvert ses acolytes, qui s'étaient enfuis dès que la brume s'était levée. Il faudrait qu'elle les fasse disparaître très vite avant qu'ils ne lui révèlent la vérité.

Sans un bruit, Sindor s'agenouilla face à elle et commença à inspecter ses blessures avec douceur. Elle ne le savait pas guérisseur, mais se souvint vite qu'il avait déjà participé à de multiples combats. Il devait connaître quelques rudiments de médecine. Sans lui prêter attention, elle pivota pour suivre Vanador du regard. L'Ahal allait et venait sur le quai avec de larges enjambées, tourné vers l'horizon, la mâchoire serrée. Elle devinait que la perte de sa broche le tourmentait. Elle n'osa pas émettre le moindre mot.

Le Dragon des MersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant