- 1 - Psycho Killer

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- Psycho Killer des Talking Heads ça te va toujours ? me demanda-t-il.

J'écoutais mais, j'avais la tête ailleurs, incapable de répondre quoi que ce soit.

- Ronnie! Psycho Killer alors?

J'adorais cette chanson. Ma cassette ne fonctionnait plus depuis quelques semaines et mes frères m'avaient promis de m'amener en acheter une nouvelle. Je lui fis un signe de la tête pour lui signifier mon accord. Il souri alors et se dirigea tout droit vers la caisse. Je vis Keith au loin, au bras d'une jolie brune tandis que moi, je posais mes yeux sur le nouvel album de The Police, une véritable oeuvre d'art. Mick, Keith et moi, nous avions supplié les parents de nous emmener les voir l'année dernière! Ils avaient dit oui, et nous avons dû manger des pâtes pendant un bon mois pour rembourser cette folie. En revanche, ça valait le coup.

La musique, c'est un peu la marque de fabrique de la famille. Vous ne verrez jamais un Wilson sans un walkman sous le bras. D'ailleurs, mes parents étaient tellement fan des Rolling Stones qu'ils ont eu la chouette idée de prénommer leurs enfants comme les membres du groupe, les garçons ont eu le plus de chance, croyez moi. Mick pour l'incroyable chanteur qu'est Jagger et Keith pour le guitariste Richards! Je suis arrivée deux ans après les jumeaux, et à cette époque, maman avait décidé que sa fille allait s'appeler Ronnie, comme Ronnie Wood. Puis la vie a décidé que ce chanteur aussi allait rejoindre le groupe vedette de mes vieux. C'est assez significatif pour moi, comme si le fait qu'il soit inclue dans le Boys Band m'ait permis de m'inclure moi aussi, au sein de ma propre famille.

- Et voilà votre cassette ma p'tite madame... me murmura mon frangin, Mick, en me tendant l'objet.

- Est-ce que tu as payé ça cher? lui demandai-je.

Je ne voulais pas que mon grand-frère s'endette pour moi. J'avais même l'impression d'abuser de sa gentillesse parfois, il disait oui à tout, absolument tout sans jamais broncher. Des jumeaux, c'est de loin lui, le plus généreux. Enfin, c'est ce que je pensais.

- J'ai rien payé Ronnie. Marco, mon pote qui bosse ici, il te l'offre. C'est un chouette type, dit-il en cherchant l'autre frangin du regard. Voilà Keith, on se tire.

Les garçons partirent à la voiture. J'allais les rejoindre mais pas sans remercier Marco pour son geste qui n'est pas rare. Je me faufila devant une caisse, ne portant aucune attention aux collégiens que je venais de doubler. J'aperçus de suite ma cible, tout sourire. Je lui claqua une bise et le remercia une bonne dizaine de fois avant de disparaître en direction du parking pour les retrouver.

Ils avaient une clope au bec, adossés à la vieille Cadillac que notre père nous avait offert. Je les trouvais beau mes frangins. Ils sont ce qu'il y a de meilleur au monde. Et je crois que, même si c'est étrange de l'admettre, à cet instant, je n'avais de yeux que pour eux. Si on m'avait demandé le portrait de mon homme idéal, j'aurais brossé celui de Keith ou Mick sans aucune hésitation. Le vent soufflait fort cet après-midi là. Leurs cheveux longs gigotaient dans tous les sens, et ils dissimilaient un franc sourire.

- Dis donc soeurette, arrête de nous mater et monte dans la bagnole. On va y aller. me cria Keith

- Oh... pardon mais c'est difficile de vous résister. J'ai encore un peu de bave non?

Et la minute d'après, nous étions tous les trois installés à l'intérieur du véhicule, les fenêtres ouvertes et la musique à fond, rien que pour embêter le monde. C'était comme ça qu'on reconnaissait le trio Wilson. Un peu perturbateur, à l'image de nos parents, bon vivant, ça aussi c'est à leur image. Mais surtout chanceux, chanceux d'avoir de tels vieux à la maison, ils sont souvent absents mais ils sont cools. Sans eux, on le sait bien, on ne serait plus grand chose.

1986, la proie.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant