Nous sommes le 4 novembre 1986, cela fait presque une semaine que je sais tout. Que je sais pourquoi mon frère était si mal. Pourquoi il avait repris l'alcool, la drogue. Comme une idiote, je le regardais, j'étais une putain de spectatrice. Comment ai-je fait pour ne pas lever le petit doigt? Pourquoi je n'ai pas cherché à l'aider? Je l'ai laissé seul. Je suis parti chez grand-mère deux semaines et jamais je n'ai pris le temps de l'appeler. Quand je suis rentrée, j'ai préféré aller voir un garçon du vidéoclub plutôt que de lui parler. Alors oui, je me sens tellement coupable. J'aurai pu être là
-Pourquoi j'ai pas été là? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi tu le sauves pas Ronnie? Hein? répétais-je en boucle à moi-même.
Vous me croyez folle? Vous avez peut-être raison. Mais comment doit-on se sentir à l'approche de la mort d'un frère, à l'approche de l'homme de toute votre vie. Celui qui vous fait rire dans les moments les plus noires. Celui qui anime votre vie, mieux que n'importe quelle émission. Celui qui vous fait danser plus que n'importe quelle chanson. Celui avec qui vous avez appris à vivre, sans jamais penser qu'un jour vous seriez séparée.
Que ferai-je sans lieu? Rien. Rien. Rien. Rien. Rien.
J'ai eu le temps de ruminer pendant ces longues journées. Et j'ai réalisé que je ne pouvais pas vivre sans lui. Et que je ne veux pas. On ne m'obligera pas à rester ici, à déposer des fleurs sur sa tombe chaque semaine, lui racontant tous mes soucis. Non.
- NON! Je mourrais avec lui. Je mourrais pour lui. Je t'en prie Seigneur, ne me le prends pas...
Je pleurais à chaude larmes. Ma gorge me brulait. Mes pensées se mélangeaient à mes paroles. Je n'avais plus aucun contrôle de moi-même. Je m'étais étrangère.
Brusquement, je me suis levée de mon lit, je l'avais squatté bien trop longtemps. Telle une furie, j'ai débarqué dans sa chambre, ouvrant sa porte à la volée.
- KEITH!!
Je pensais avoir crié mais à cause des larmes, ma voix était étouffée. Mes paroles n'étaient que de simples murmures. Il était là, tout près de la fenêtre, enfoui dans son vieux fauteuil, la guitare à la main. Nous ne nous sommes pas parlé depuis la nouvelle. Il avait pourtant bien essayé, lorsqu'on prenait notre petit-déjeuner ou que je regardais la télé. Mais je me risquais juste à froncer les sourcils, je ne savais pas quoi lui dire. Parfois , il m'arrivait tout de même de lui répondre «Keith, une autre fois» mais rien qu'à prononcer son nom, savoir qu'un jour je ne l'entendrai plus prononcer le mien me causait un si grand chagrin que je partais en courant dans ma chambre, retenant mes larmes du mieux que je le pouvais.
- Ronnie, tu as besoin de quelque chose? me demanda Keith, les yeux remplis d'une lueur que je lui connaissais pas.
Perdue dans mes pensées, j'en avais presque oublié où j'étais. Les bras ballants. Les lèvres sèches. J'ai haussé les épaules et baissé ma tête. De quoi ai-je besoin? De certitudes? De promesses? Je ne veux pas entendre ça. Qu'il me dise qu'il va s'en sortir, que c'est une mauvaise passe, qu'il est bien trop fort, qu'il vaincra la maladie. C'est que des conneries. Et le jour où il partira, je lui en voudrai de m'avoir fait espérer.
- Qu'est ce que tu fais avec ta guitare? je ne savais pas quoi lui demander.
J'ai pensé que, la musique peut-être, nous réconforterait un peu. Il a étouffé un rire et d'une main enjouée, m'a fait signe de le rejoindre. Je me suis assise près de lui, sur l'accoudoir du fauteuil. Je m'étais positionné de sorte qu'il puisse jouer sans être gêné. Il plaça ses longs doigts sur les cordes de l'instrument. Il leva la tête et plongea son regard dans le mien. Et tout d'un coup,
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1986, la proie.
RomanceEn 1986, Ronnie n'a que seize ans. C'est une enfant qui se donne des aires de femme. Qui parle fort, qui pleure, qui se soucis de son apparence, et un peu moins de son intellect. Elle est pleine de bonté et ne s'en doute même pas. Ronnie ressemble...