La semaine dernière, cela faisait 8ans que grand-père s'était envolé. À cause de ça, maman voulait que je rejoigne ma mémé en France, lui remonter le moral. D'habitude, c'est elle qui y va mais là, elle n'avait pas la tête à ça je crois bien. Sûrement qu'elle a des problèmes.
Mémé a toujours vécu là-bas. À Henin-Beaumont, ou HenHEIN, ils prononcent tout bizarrement par chez elle. C'est pas trop loin des mines. Des anciennes mines. Quand ma mère lui a dit qu'elle s'était attaché à un jeune américain à l'avenir prometteur, elle a ricané. Elle a laissé sa fille partir avec lui. Ça ne l'importait pas trop en fait. C'est surtout grand-père qui gueulait, il voulait pas qu'on lui pique sa princesse. Très protecteur le garçon. Puis finalement, maman est parti à l'autre bout de la terre, elle nous a eu, Mike, Keith et moi. Le temps a passé. Un jour, un coup de fil et puis, plus rien. On apprenait que grand-père était parti. C'était la fin d'une vie. Depuis, maman n'est plus la même.
Alors oui, j'étais chez mémé. C'est difficile de lui remonter le moral. Peut-être parce qu'une personne triste ne peut pas en aider une autre ? Oui. Ça doit être ça. J'étais pleine de tristesse. Pleine de larmes. Et mémé criait «détresse.» Je ne savais pas pourquoi j'avais mal. Je pense qu'il y a des périodes comme ça. C'est la vie, c'est tout et rien. Plus souvent rien en fait.
Être avec elle, c'est une étrange sensation. Mémé, je ne sais pas si elle m'aime. D'ailleurs, je ne sais pas trop si elle a déjà aimé quelqu'un. Enfin si. Son mari, elle l'a aimé. Depuis maintenant 8 longues années, elle se rend au cimetière chaque dimanche matin. Déposer des fleurs, des lilas. Nettoyer sa tombe. Et depuis peu, elle ramenait son chapeau de cerises pour se faire croire que c'est l'été. En pleins mois de novembre... En réalité, elle a retrouvé ce chapeau dans ses vieilles babioles. C'était un cadeau de grand-père.
Alors oui, mémé allait au cimetière et, sans vraiment avoir le droit, je lui servais de chauffeur ce jour-là. Chez moi, je peux rouler mais en France, faut attendre 18ans. Ce jour-là, c'était le genre de jour où, on se retrouvait à contempler une tombe pendant des heures. À parler de tout et de rien. Plus souvent de rien. Elle répétait souvent:
- Mon bon vieux Charles. Comme je m'ennuie sans toi.
Elle l'aimait son Charles. Elle l'a accompagnée jusqu'à son dernier souffle.
- Tu vois Ronnie. Les hommes, ça nous abandonnent, elle rigolait.
Je savais qu'elle lui en voulait. Depuis qu'il est plus là, elle a la tête comme un placard ma vieille. Avec tout de même des souvenirs bien rangés, comme son mariage. Oh oui, elle s'en souvient trop bien. C'est marrant, pour moi, mémé ne fait plus partie du temps, elle a cent ans. Elle a même mille ans. Elle est pliée, elle est carrément froissée. C'est un peu elle, la définition d'immortalité. Je dois vous paraître folle non?
- Si il t'a abandonné, pourquoi tu n'as pas cherché à trouver quelqu'un d'autre, pour lui faire autant de mal qu'il t'en a fait ? c'est marrant, je ne lui avais encore jamais demandé et pourtant, il était parti il y a bien longtemps. Maintenant que j'avais seize ans, je voulais tout savoir. J'avais trop peur que, je ne sache rien de sa vie. C'est important pour moi, son histoire, c'est un peu la mienne finalement.
Je la voyais qui réfléchissait. Enfin, elle cherchait ses mots plutôt. Elle a entremêlé ses doigts entre eux. Elle fait souvent ça mémé. C'est un geste qui la rassure.
- Parce que c'était lui et personne d'autre. Voilà tout.
Et puis après ce "voilà tout". Elle a pleuré. Je croyais qu'elle ne pleurait pas mémé.
- Ton grand-père, j'ai entendu parler de lui dans le journal. Dans un article, on discuter d'un jeune d'Henin-Beaumont qui travaillait à l'usine de dentifrice. Nous étions en plein milieu de la seconde guerre mondiale, Pétain venait de s'emparer du gouvernement, il envoyait notre peuple juif à Hitler. Sans aucune gêne. Et ce garçon-là, justement, il avait sauvé son collègue d'un camp. C'était ton grand-père, le sauveur. Il avait remarqué l'absence de son ami au travail. Il s'avérait que son patron l'avait balancé à la Wehrmart. Contre un peu d'argent peut-être? J'en sais pas plus. Alors, quand Charles a appris ça, il a couru à travers la France et l'a fait sortir d'un train qui partait pour Aushwitz. Dans mon patelin, ça a fait du bruit et, toutes mes copines voulaient connaître ce héros qui venaient de chez nous. Toutes les femmes voulaient lui plaire. C'était une compétition en quelque sorte.»
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1986, la proie.
RomanceEn 1986, Ronnie n'a que seize ans. C'est une enfant qui se donne des aires de femme. Qui parle fort, qui pleure, qui se soucis de son apparence, et un peu moins de son intellect. Elle est pleine de bonté et ne s'en doute même pas. Ronnie ressemble...