CHAPITRE 29

1.4K 64 80
                                    

Réunis dans la salle de restaurant de l'auberge, vêtus de nos uniformes, Hansi plaqua brusquement une feuille tachée d'encre et de son écriture aux courbures maladroites sur la table, où l'on prenait tranquillement le petit déjeuner. La tasse de thé de Petra manqua de se renverser, mais elle n'y prêta pas attention, remontant simplement sa paire de lunettes qui avait légèrement glisser le long de son nez. Moblit nous regardait, l'air gêné du comportement de sa cheffe. Je me contentais de glousser derrière ma tasse, alors que Livaï, lui, la fusillait du regard.

— Si une seule goutte de thé s'était renversé sur mes vêtements, je te jure que je t'aurais filé à bouffer aux titans, binoclarde de mes deux.
— Tout doux Liliputien, répondit Hansi en poussant gentiment Auruo de sa chaise pour prendre sa place, regarde, j'ai rassemblé toutes les informations que nous avions déjà.

Auruo gronda dans sa barbe, agacé des agissements de la scientifique qui n'avait pas l'air de se soucier une seule seconde du petit déjeuner du soldat, qu'il dégustait tranquillement avant son arrivée.

— Livaï m'a dis que tu avais rencontré Kenny, s'adressa-t-elle à moi, son regard de folle à liée braqué sur mes pupilles vairons, t'as pu lui soutirer des infos ?

ESCLAVE.
ESCLAVE.
ESCLAVE.

C'était la seule chose qui avait marqué cette discussion, et j'étais certaine que le mot clignotait sur mon front, tant je ne faisais qu'y penser depuis la veille. Je ne comprenais pas très bien ce que j'avais avoir avec une esclave et à vrai dire Kenny ne m'avait pas vraiment éclairée sur la question. Peut-être voulait-il simplement m'humilier, comme il avait toujours eu l'habitude de le faire, et qu'il ne s'agissait que d'une d'insulte en plus, qui s'ajoutait à la longue liste de toutes celles auxquelles j'avais déjà eu le droit, auparavant.

— Il m'a parlé d'un certain « Reiss », mais je n'en sais pas plus à son sujet. Il a également stipulé que ce Reiss en question l'avait mis en garde contre « les gens de mon espèce », mimais-je les guilleméts avec mes doigts.
— De ton espèce ? Répéta Livaï, un sourcil relevé, je croyais que vous n'aviez pas parlé ?
— Et, d'après lui, continuais-je en l'ignorant, je ne serais qu'une esclave qui récupérait bientôt sa place en tant que telle.

Je fuyais le regard de mon mari, qui me dévisageait. Ses sourcils s'étaient froncés, et il abattit son poing sur le bois de la table, faisant sursauter l'ensemble de son escouade. Seuls Hansi, Moblit, et moi étions restés impassibles face à son accès de colère, certainement habitués à ce que cela se produise.

— Tu as toutes ces informations depuis hier, et tu as osé me dire le contraire ?

Mes épaules s'affaissèrent face à l'aura meurtrière qui s'abattait sur moi. Il était en colère, et le ton tranchant de sa voix ne me laissait de toute façon pas penser le contraire. Je n'avais pas l'habitude de lui cacher quoique ce soit, et lui non plus. Nous avions une confiance aveugle l'un envers l'autre. Mais lui, il était parfait, en tout point, et réussissait tout ce qu'il entreprenait. Quant à moi, je n'étais qu'une ratée depuis ma naissance.

Mes parents m'avaient abandonnées, parce que je n'étais pas à la hauteur, celui que je considérais comme un père adoptif ne m'avait jamais aimée, et pire encore, me détestait et était impatient de me voir morte, je n'avais pas été capable d'enfanter mon propre bébé et maintenant, on me qualifiait d'esclave et j'étais presque traitée comme un animal.

J'étais certaine que Livaï méritait bien mieux que la pauvre fille que j'étais, et devoir lui avouer qu'il était probable que je ne sois en réalité qu'une assujettie, une moins que rien... avait été au dessus de mes forces. Que me penserait-il de moi, désormais ? Je n'avais plus aucune estime de moi-même depuis bien longtemps déjà, et Kenny avait réduit à néant la petite parcelle de confiance en moi qui subsistait encore, en mon fort intérieur. Je ne me sentais belle, puissante, et capable de tout, qu'à travers les yeux de mon Livaï. Si son regard venait à changer, alors je n'aurais plus rien auquel me raccrocher pour survivre.

BROKEN HEARTS Où les histoires vivent. Découvrez maintenant