CHAPITRE 14

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Emmitouflée dans les couvertures, le regard plongé dans le vide, les cheveux gouttant sur le parquet, encore trempés de la douche que je venais de prendre, je laissais mon esprit divaguer dans les méandres de mon fort intérieur, à feu et à cendres. Mon bras droit pendait lâchement entre le vide qui séparait le lit du sol, mes doigts plongés dans la petit flaque d'eau que mes cheveux avaient engendré. La conversation que nous avions eut, Livaï et moi, m'avait chamboulée. Et encore, ce mot était certainement un euphémisme de ce que je ressentais réellement à ce moment précis.

Les larmes ne coulaient plus, je n'en étais plus capable. Ma tête était comme coincée dans un étau qui ne faisait que se resserrer autour de mon cerveau, m'affligeant d'une douleur atroce. Mais je ne relevais pas, bien trop fatiguée pour ça. Je n'avais pas été dans un état aussi pitoyable depuis très longtemps, et c'était exactement ce je redoutais le plus en ressassant ces souvenirs douloureux. Je m'enfonçai de plus en plus dans les pénombres de mon âme, quittant cette réalité qui me faisait trop de mal pour que j'y reste plus longtemps.

- Belle ? Belle, ça va ?

Je levais lentement les yeux vers Livaï qui se tenait accroupis devant moi. Sa main était posée sur mon épaule et je ne l'avais même pas sentie.

- Ça fait dix minutes que je t'appelle, tu m'as fais flipper !

Je me contentai simplement d'hausser les épaules, la bouche tellement sèche que je n'étais pas capable de prononcer un seul mot.

L'évocation de la mort d'Ange m'avait vidée d'énergie, et les démons que je combattais depuis lors venaient de reprendre le dessus, de gagner du terrain sur la guerre qui faisait rage en moi. Je ne pouvais plus me battre. Ou peut-être ne le voulais-je simplement pas. À quoi bon ?

- C'était à lui, n'est-ce pas ? Me demanda-t-il en plaçant un petit bonnet en laine à hauteur de mes yeux.

Je passai doucement les doigts sur les mailles abîmées du minuscule bonnet qu'il tenait au creux de sa paume. Le blanc qui le constituait au paravant était désormais gris, salit par les nombreuses années passées à mes côtés, chaque nuit. Je ne l'avais jamais lavé après sa naissance, souhaitant à tout prix conserver son odeur. J'étais consciente qu'aucune effluve n'émanait plus de la laine depuis bien longtemps, mais j'étais incapable de le passer sous l'eau pour lui redonner son éclat. Il avait été posé sur sa minuscule tête, et il était hors de question que j'efface les seules traces de lui, celles-là même qui me permettaient de ne pas devenir folle, de ne pas croire que tout ça n'était qu'un cauchemar, que rien n'avait réellement existé.

Mon bébé avait bel et bien été là, en moi, et ce bonnet était la seule chose à laquelle j'arrivais à m'accrocher pour ne pas sombrer. Livaï l'avait retrouvé, et j'étais soulagée de savoir qu'il n'avait pas été laissé à l'abandon dans les prisons souterraines du tribunal.

Sa main s'était refermée sur la mienne, et il y déposa un baiser, comme pour unir la famille que nous aurions dû être. Nos mains entrelacées autour de ce morceau de laine tricotée, Ange nous unissait à nouveau, l'un à l'autre. Le lien que nous avions brisé perdurait à travers lui, parce que nous étions ses parents. Et quoiqu'il puisse se passer à l'avenir, Livaï et moi serions à jamais le père et la mère de cet enfant.

- Je suis fier de toi, Belle, si tu savais à quel point...

Sa main libre glissa tendrement contre ma joue, et j'enfonçais un peu plus mon visage sur sa paume chaude.

- T'as fais de moi un père. Je te remercierai jamais assez pour ça.
- J'ai échoué dans mon rôle de mère, murmurais-je, tu ne peux pas me remercier.

BROKEN HEARTS Où les histoires vivent. Découvrez maintenant