CHAPITRE 50

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LIVAÏ

Je lançai un dernier regard aux fleurs violettes - dont le nom m'échappait - que j'avais apposé sur la table de chevet, tout prêt du lit où Belle reposait. L'air était chargé de pollen, et j'avouais intérieurement que j'y étais peut être allé fort avec les fleurs. Le bureau sous la fenêtre était encombré de roses rouges, rehaussées de gypsophile ici et là. Une multitude de bouquets de marguerites faisaient office de boutis au bout du lit, dont l'immense tête en fer forgé couvrait la moitié du mur contre laquelle elle était plaquée.
J'abandonnai les tulipes roses qui jonchaient encore mon avant-bras sur le lavabo de la salle de bain privative de la chambre. Si je continuais comme ça, ma femme risquerait de développer une allergie au pollen.

— Y'a quelqu'un de non comateux ici ?

Je levais les yeux au ciel, incapable d'émettre une autre réaction face aux propos d'Hansi. Elle avait son humour à elle, et bien que l'humour noir ne me dérangeait pas habituellement - j'en étais même plutôt friand - lorsqu'il s'agissait de Belle, cela ne m'amusait guère.

D'un pas las, je me dirigeais vers la porte, qu'elle avait évidement déjà ouverte.

— J'aurais pu être à poil, lui lançais-je sur un ton réprobateur.
— Je t'ai déjà vu à poil, et Belle a beaucoup de chance, si tu vois ce que je veux dire.

Je me contenais pour ne pas rire, ou elle ne respecterait jamais mon intimité. Il suffisait d'une toute petite faille pour que cette imbécile s'y engouffre.

— C'est joli tout ça, dit-elle en balayant la pièce des yeux, passant le bout de ses doigts maigrichons sur les végétaux violets - et toujours sans nom -, mais il serait plus judicieux d'aller t'apprêter toi, ajouta-t-elle, le regard posé sur ma barbe naissante, t'as vraiment envie qu'elle se réveille avec un clodo à son chevet ?

Cette fois, je m'autorisai à rire. Binoclarde de mes deux.

— Je suis en si piteux état que ça ?

Je n'avais pas inspecté mon reflet dans le miroir depuis quelques jours déjà. 

Deux précisément.

Depuis que nous avions vaincu Rod Reiss et son titan géant, et que nous étions rentré ici, à Trost. La bataille n'avait pas été si rude qu'elle en avait eu l'air. Mesurant plus d'une centaine de mètre, son avancée fut ralentie par son immensité, et cela nous avais permis d'élaborer un plan. Un plan bancale, mais un plan qui avait fonctionné. Historia était définitivement la dernière héritière du trône de ces murs, et elle s'était vite accommodée à son nouveau titre. Cela coulait dans ses veines, comme dans celles de ses ainés avant elle. Son statut d'enfant illégitime avait vite été oublié alors qu'elle avait abattu son propre père, aux abords du mur.

Hansi poussa un soupire, presque désespéré. Comme si la réponse était si évidente que je n'avais pas à poser la question en premier lieu.

« piteux » n'est pas le terme que j'aurais utilisée, argumenta-t-elle, inquiétant me paraît plus approprié.

Je passai ma main sur ma joue, rugueuse et piquante de tous ces poils qui s'y étaient installés. Même si leur longueur ne dépassait le centimètre, venant de moi, cela devait être pitoyable. J'avais été dans le même état en apprenant la supposée mort de Belle, six ans plus tôt. Mon apparence presque flétrie reflétait parfaitement celle de mon coeur, à cette époque, aussi sec et ridé que ces petits raisins peu appétissants que l'on trouvait dans certain plat.
Je frissonnais. Ces souvenirs étaient encore bien trop douloureux pour être ressassés.

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