V-Tous les coups sont permis !

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Diane fila dans sa chambre dès qu'elle le put, décontenancée par l'attitude de Laszlo. Un instant, il lui cherchait des noises, et celui d'après, il la caressait dans le sens du poil. Une chose était sûre, toutefois : c'était un homme manipulateur, soit de la pire espèce. Elle exécrait les personnes aux intentions peu claires et qui vous poussaient là où elles le voulaient, comme si les autres êtres humains n'étaient que des pièces sur leur échiquier géant. Oui, elle le détestait. Et elle comptait bien le lui faire comprendre.

Elle commença de se préparer avec l'aide d'Anna, qui parut ne pas apprécier sa volonté de s'habiller en pantalons pour être plus à son aise.

— Mademoiselle, ce n'est pas convenable ! s'insurgeait-t-elle depuis cinq minutes pour tâcher de la faire changer d'avis.

— Je ne vois pas où est le problème, rétorqua l'archère. Je serai libre de mes mouvements, j'aurai donc plus de chances de gagner. En outre, les invités et nos hôtes sont familiers de mes façons et n'iraient jamais les ébruiter. Cela ne les importune nullement.

— Vous avez raison, mais ces deux messieurs dont vous m'avez parlé ne sont pas coutumiers de vos manières..., renchérit la femme de chambre. Vraiment, ils pourraient en être offensés, ou tout du moins ressentir un certain malaise.

— Mais s'ils sont polis, ils prendront sur eux. Dans le cas contraire, je saurai à quoi m'en tenir sur leur vrai visage et les éviterai comme la peste.

Anna ouvrit la bouche, mais Diane l'arrêta d'un geste de la main.

—Je vais finir par arriver en retard. Pressons.

Elle ne desserra plus les dents par la suite et s'enfonça dans ses pensées tout en achevant ses préparatifs. Elle choisit une chemise à jabot crème dont les manches bouffantes qui s'évasaient aux poignets formaient de délicats entrelacs de dentelle. Elle revêtit ensuite, comme elle l'avait décidé, des culottes noires qui moulaient scandaleusement ses hanches pleines, puis son aide attacha autour de chaque mollet des lanières auxquelles elle arrima deux couteaux. Enfin, l'archère passa ses bottes de cuir marron, qui remontaient jusque sous ses genoux, et que sa femme de chambre noua artistement. Les talons, petits et bien équilibrés, étaient commodes pour l'activité à laquelle elle entendait se dédier.

— Vous êtes fin prête, mademoiselle. Vous avez fière allure, je dois le reconnaître.

— Merci, Anna. Profite de la journée, je n'aurai sans doute besoin de toi que ce soir.

La servante hocha la tête et s'éclipsa discrètement tandis qu'elle-même se postait à la fenêtre pour observer les jardins. Elle repéra vite une cible qu'on avait ajoutée dans un espace dégagé relativement proche de la demeure. Quelques silhouettes étaient déjà regroupées non loin de là, sous un grand orme qui ménageait une ombre bienfaisante étant donné la douceur de ce printemps. Une personne leva alors la tête dans sa direction, et elle eut l'étrange impression d'être prise en flagrant délit d'espionnage en dépit de la distance. Elle fit un pas de côté pour échapper à ces yeux vifs, qu'elle imagina d'un gris orageux. Pour une raison inconnue, elle pressentait qu'il s'agissait de Laszlo. Diane se morigéna intérieurement : elle n'aurait pas dû bondir comme une lapine apeurée. Si c'était bien lui et qu'il avait entraperçu son manège, comme il devait rire, à présent !

Elle redressa aussitôt le buste, honteuse de ce moment d'égarement. La jeune femme comptait bien faire face dignement, comme toujours. Et il était d'ailleurs temps qu'elle se rendît sur le champ de bataille qu'on leur avait aménagé pour croiser le fer avec ce détestable goujat...


*


— Diane, vous voilà ! s'écria joyeusement Violette dès qu'elle la vit. Toutes les dames comptent sur vous pour leur enseigner vos connaissances. Il faudra faire front ensemble pour ratatiner ces messieurs.

Son sourire torve était éloquent. L'esprit de compétition de la mère d'Héphasie était bien connu de tous ses proches, et elle semblait en grande forme aujourd'hui. Sébastien, en compagnie desdits gentilshommes, ironisa à haute voix pour être entendu :

— Elles sont effrayantes ! Devrions-nous abandonner sans nous battre ? Je ne voudrais pas risquer d'abîmer mon précieux visage.

Il posa une main sur sa joue et fit une moue ridicule, obtenant par là même l'hilarité générale, à l'exception de celle de l'archère. Cette dernière remarqua que Laszlo profitait de la cohue pour venir vers elle d'un pas déterminé. Il était simplement habillé de noir et de blanc mais ses chaussures, parfaitement cirées, semblaient luire sous le soleil. Elle réprima un sursaut angoissé, ne sachant guère à quoi s'attendre venant de lui.

En arrivant près d'elle, il la salua en retirant son haut-de-forme et lui adressa un sourire en coin qui la hérissa. Puis son regard descendit sur elle et s'attarda particulièrement sur ses hanches bien visibles... Elle y porta les poings dans une pose à la fois sévère et décontractée pour lui montrer que son examen ne l'atteignait pas le moins du monde, bien qu'elle eût envie de tirer son couteau de sa botte pour le lui enfoncer dans les côtes. Il était d'une impolitesse et d'une goujaterie à toute épreuve !

— Rebonjour, Mademoiselle Diane, lui susurra-t-il de cette voix éraillée qui lui donnait l'impression d'être transpercée par de nombreuses et désagréables petites épingles. Vous êtes particulièrement en beauté. Est-ce là votre technique pour déconcentrer vos adversaires et emporter la victoire ?

Elle prit une discrète inspiration par la bouche pour s'exhorter au calme. Il la provoquait sciemment, comme à son habitude, et cette fois-ci, elle ne lui ferait pas le plaisir de se laisser ballotter dans le sens qu'il entendait.

— Oui, et je constate que cette méthode fonctionne à merveille, répliqua la jeune femme. J'aurais pu vous crever l'œil pendant que vous étiez occupé à me reluquer.

Il prit un air offusqué des plus faux.

— Moi, vous reluquer ? Oh, non, ma chère, je vous ad-mi-rais, déclara-t-il en insistant bien sur chaque syllabe.

L'archère ne voyait pas bien la différence. Dans les deux cas, cette activité consistait à regarder plus longtemps que nécessaire certains points stratégiques de son anatomie. Avec tout son dédain, elle passa à côté de lui sans plus de cérémonie pour rejoindre le groupe formé par les femmes. Elle crut ouïr un rire qu'on étouffait et serra les poings pour se retenir de volter pour lui exprimer sa façon de penser.

Elle prit soudain conscience des yeux d'Hortense qui la dévisageaient afin de lire en elle. La mine inquiète de son amie lui révéla qu'elle n'était pas dupe, malgré le masque qu'elle s'était empressée d'ériger pour cacher sa colère à ses compagnes. Sans doute ne pourrait-elle échapper à une petite conversation avec elle. Mais étant donné la sagesse de la jeune femme, cela s'avérerait sans doute bénéfique, voire salvateur. De plus, elle avait conscience qu'elle aurait besoin d'alliés si elle souhaitait éviter Laszlo, puisqu'il prenait un malin plaisir à l'importuner à toute heure de la journée. Une réunion avec tout leur petit cercle lui parut soudain nécessaire pour dresser un plan d'attaque.

— Comment procédons-nous, Diane ? demanda Cassandra, la tirant de ses pensées. Je crains que nous n'ayons toutes besoin de votre aide, excepté peut-être Héphasie et Violette, qui maîtrisent les bases.

— Je vais vous expliquer ce qu'il y a à savoir, puis je vous ferai une démonstration. Ensuite, je vous observerai à l'action pour vous aider à améliorer votre technique. J'ose espérer que ces messieurs seront patients.

—Ils ont prévu de s'entraîner de leur côté, voire de se mesurer les uns aux autres, n'ayez crainte.

L'archère hocha la tête.

 —Parfait. Commençons, alors.

Diane l'indomptableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant