Le dîner se déroula sans anicroche notable. Bien sûr, on revint une fois de plus sur la victoire exceptionnelle d'Hortense lors du concours et on trinqua en son honneur. Elle était parvenue à marquer neuf points et à déjouer tous les pronostics. Même Laszlo et Diane, les favoris, avaient perdu face à elle. Pour des raisons qu'ils ignoraient tous, mais son triomphe n'en demeurait pas moins grand.
Iris, en face de l'archère, avait tenté de lui tirer les vers du nez, mais la présence du baron à sa gauche la contraignait au silence. Les révélations attendraient leur rendez-vous nocturne dans la bibliothèque.
Laszlo avait évidemment flirté avec elle outrageusement, effleurant son pied ou sa jambe par « inadvertance » plus souvent que de raison. Et elle avait guetté chacun de ces instants avec l'impatience d'une mijaurée en pâmoison. Autant dire qu'elle n'était pas fière.
Maintenant que le moment de retrouver ses amies était venu, elle ne savait plus ce qu'elle devait leur dire. Si elle n'avait déjà plus la volonté nécessaire pour résister, qu'y pourraient-elles ? Recoller les morceaux après coup, songea Diane avec ironie.
Par chance, la bibliothèque se révéla déserte. Elle y entra, vite rejointe par toute la bande. Elles s'installèrent dans des fauteuils dissimulés derrière de hautes étagères. Celles-ci leur conféraient d'ailleurs un sentiment d'intimité fort agréable.
— Alors ? Alors ? Alors ? répéta aussitôt Iris, montée comme un ressort. Dis-nous tout, vite ! Je meurs de curiosité depuis tout à l'heure. Tu aurais pu m'en parler pendant le dîner, quand même.
Son débit rapide amusa l'archère, mais elle fit mine d'être exaspérée :
— Si tu te taisais, je pourrais peut-être en placer une et tout vous raconter.
— Par pitié, Iris, cesse de taper du pied par terre ! s'exclama Héphasie tandis qu'Hortense souriait avec indulgence. Tu risques de réveiller les morts.
— Et ne parlons pas des vivants, renchérit Diane.
Le silence qui s'installa ensuite lui permit enfin de s'exprimer.
— Laszlo essaie de me séduire, lâcha-t-elle sans chercher à arrondir les angles.
Des exclamations accueillirent cet aveu.
— C'est pour ça qu'il te mangeait l'oreille ? demanda Hortense d'un air innocent.
Iris manque s'étouffer et la pressa d'un retentissant « quoooiiiiiii ? » La principale concernée se contenta d'acquiescer, placide.
— Et tu as couiné comme une souris car tu as apprécié, se rappela la peintresse. Alors, où est le problème ?
Elle grimaça.
— Justement, il est là. C'est la première fois que je désire un homme. Mais je ne veux pas me marier pour autant. Alors j'ai besoin de votre aide pour le repousser. Si vous restez avec moi, il ne pourra rien tenter.
— Tu peux te donner à lui sans pour autant l'épouser, rétorqua Héphasie.
Cette dernière avait rencontré son mari dans un bordel. Elle ne s'attachait pas particulièrement à respecter les convenances quand celles-ci ne lui plaisaient pas. Diane songea qu'en un sens, elle était bien plus libre qu'elle : elle faisait simplement ce qu'elle voulait, sans se poser de questions. Quant à elle, elle s'interdisait de se laisser enfermer dans une prison, mais ce faisant, elle se restreignait et s'en créait donc une autre. Sur mesure, mais tout de même. Le paradoxe était tristement drôle.
— Si mon père l'apprend, tu sais bien qu'il nous obligera à nous marier. Il a besoin d'argent pour jouer, et il préférera un baron au célibat à vie. Si je suis déshonorée, je ne pourrai pas servir ses projets. Quant à Laszlo, je ne pense pas qu'il soit capable de ruiner une réputation.
— Mais il veut coucher avec toi, releva très justement l'artiste.
— Alors j'imagine qu'il est prêt à me prendre pour femme si la situation l'exige.
— Il te dévore toujours des yeux, intervint Hortense.
Diane grimaça. Rien n'échappait au regard acéré de la jeune virtuose. Elle balaya de la main toutes ces questions pour aller à l'essentiel :
— Le problème n'est pas là. Voulez-vous, oui ou non, m'aider à repousser ses avances ?
— Non, marmonna Iris, qui préférait de loin les histoires d'amour à l'idée du célibat.
— Oui, répondirent en même temps Hortense et Héphasie en adressant une mine réprobatrice à leur amie.
La fougueuse rousse croisa les bras dans une attitude boudeuse, mais l'archère savait que son soutien lui était acquis.
— Comment procédons-nous ? demanda la plus pragmatique d'entre elles.
— Essayez de toujours rester avec moi. Quand nous petit-déjeunons ou que nous pique-niquons. Quand nous prenons le thé, ajouta-t-elle en se rappelant l'épisode de l'après-midi.
La liste était longue quand elle songeait à tous les moments où Laszlo avait tenté un rapprochement. Il se montrait terriblement actif.
— En revanche, pour ce qui est du dîner, je crains de devoir supporter ses avances. Changer de place serait discourtois.
— À moins de trouver une bonne excuse, releva Héphasie.
Iris, totalement inutile, suivait l'échange en faisant jouer ses doigts dans ses cheveux. Rester immobile était un calvaire pour elle et elle devait sans doute se contenir à grand-peine de parler pour ne rien dire.
— On pourrait aussi dire une partie de la vérité à ma mère, intervint Hortense. Lui expliquer que le baron se montre un peu trop zélé.
Diane secoua la tête avec horreur.
— Surtout pas ! Cela ne doit pas se savoir.
Ce n'était pas une mauvaise idée, dans le sens où Cassandra étant leur hôtesse, elle constituerait une alliée de poids. Toutefois, elle préférait éviter les témoins dans la mesure du possible.
— Tu vas devoir tenir le temps que nous trouvions une solution satisfaisante, conclut Hortense.
Il s'agissait juste de deux moments de la journée, parfois d'un seul selon les circonstances.
— Je peux le faire, affirma-t-elle, même si en son for intérieur elle émettait quelques doutes à ce sujet.
Iris choisit ce moment pour sauter de son siège, le poing levé en direction du plafond, et pour intervenir :
— Je déclare le plan « envoyer bouler Laszlo » ouvert !
Ce nom fit rire tout le monde et on l'adopta donc volontiers. L'archère sentait déjà son cœur devenir plus léger. Parler avec ses amies lui avait manqué, ces derniers temps : elles étaient toujours en présence d'autres personnes et ne pouvaient se montrer entièrement honnêtes, ou encore aussi excentriques. Elles étaient son univers et son refuge, les seules en qui elle plaçait une confiance aveugle, elle qui avait perdu foi en l'humanité. Sa chance était immense et elle en avait bien conscience.
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Diane l'indomptable
Narrativa StoricaDiane Iria passe la plupart de son temps à s'entraîner au maniement des armes et à menacer d'émasculation les hommes qui ne se comportent pas convenablement. Laszlo Ferne, toutefois, parvient à déceler sous la façade peu avenante de la jeune femme d...