II.

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Seulement quelques heures après avoir quitté Heavy Melder, l'alarme résonna dans tout l'Arcadia. Un vaisseau de la coalition Gaïa nous faisait face, le combat était inévitable.
- Je prends la barre.
Je me levai de mon majestueux fauteuil et m'avançai pour prendre les commandes. Mon oiseau, Tori-san, qui n'était jamais bien loin, vint se poser sur mon épaule, poussant un cri strident. Notre ennemi nous envoya des chasseurs pour nous bombarder en piquet, une tentative bien inutile.
Les tirs fusaient de toutes part, certains faisant mouche, d'autres s'évanouissant dans l'espace. Rapidement, le vaisseau de la coalition comprit que le combat était perdu pour lui, il tenta de fuir. J'ordonnai d'orienter le tir sur ses propulseurs, le ralentissant dans sa course. L'Arcadia le rejoignit facilement, les deux vaisseaux se retrouvant bientôt côte à côte. Je tournai alors violamment la barre, déchirant de l'Arcadia le blindage de notre adversaire. L'abordage était lancé.

Le mess était animé par une grande fête. Mes hommes célébraient notre victoire contre le vaisseau de la coalition. Je savais que l'alcool coulait à flots et que les danses animaient les tables. Les rires et les exclamations de joie, tout comme les chansons grivoises, me parvenaient depuis bien des couloirs alors que quittant l'atelier de Tōchirō, je me rendais à ma cabine. Mon ami continuait obstinément à faire des recherches sur la matière noire, qui faisait fonctionner notre vaisseau et qui nous rendait tous immortels. Je pensais, cependant, que tout cela était vain, les erreurs du passé ne pouvaient être réparées. Je me sentis soudain accablé. La culpabilité enserrait mon cœur depuis un siècle déjà et je rageai de ne pouvoir trouver un semblant de paix dans la vie ou dans la mort. La paix... Il m'avait pourtant semblé la goûter cinq ans auparavant dans la présence d'Elsana à mes côtés. Je souffrais aujourd'hui de la désirer sans la toucher, de l'aimer de loin sans qu'elle n'en sâche rien. Je l'avais choisi et j'assumai dans le silence. Des bruits irréguliers retinrent mon attention. Des pas, sans aucun doute de femme. Je ralentissai. Dans le couloir perpendiculaire à celui dans lequel j'étais apparue justement Elsana. J'arquai imperceptiblement un sourcil. Elle s'appuyait contre le mur, une bouteille de rhum arrangé bien entamée à la main. J'espérai sincèrement qu'elle n'ait pas bu tout cela mais elle tenta un nouveau pas en avant et s'écroula sur le sol, à quatre-pattes. Elle pesta, se releva, porta le goulot à ses lèvres pour boire une gorgée et se remit en tête d'avancer sans plus de succès. Je m'approchait d'elle. Elle releva la tête alors qu'elle était assise sur ses fesses en plein milieu du couloir.
- Oh, Cap'tain.
Elle but une nouvelle gorgée.
- Tu viens trinquer avec moi ?
Je pris une grande inspiration. Je me désolais de la trouver dans un état pareil.
- Certainement pas. Ta beuverie s'arrête d'ailleurs ici.
Je me penchai donc pour lui prendre la bouteille de rhum des mains. Elle força quelque peu mais ses muscles étaient engourdis par l'alcool.
- Non, pas mon rhum, se lamenta-t-elle en se redressant sur ses genoux. Rends-le moi.
- Non.
Elle se mit debout et essaya vainement de se saisir de la bouteille que je levai à bout de bras. Elle bascula en avant, je la rattrapai de justesse.
- Tu es complètement ivre. Qu'est-ce que tu fabriques ?
Jamais elle n'avait autant consommé d'alcool, elle m'avait confié s'en tenir toujours à un verre. On était bien au-dessus du compte. Elle émit un petit rire tout en me regardant.
- Peu pas m'ennivrer de toi, faut bien qu'je m'ennivre d'une chose.
J'écarquillai l'œil, ahuri.
- Donc j'bois du rhum, continua-t-elle.
Elle avait passé un bras autour de mon cou. Elle se hissa sur la pointe des pieds, l'autre bras vaguement tendu vers la bouteille que je tenais toujours bien haut.
- C'est irresponsable.
- Le rhum est fidèle et gentil pour moi.
- Ce rhum va te donner un mal de tête épouvantable et nuire à ta santé, répliquai-je.
Elle fit la moue.
- Tu bois du vin. Rends ma bouteille.
Il était inutile de la résonner. Je balançai donc la bouteille contre le mur, la brisant en mille morceaux. J'étais ainsi sûr que plus une seule goutte d'alcool franchirait ses lèvres. Elle afficha une expression choquée avant de fondre en larmes.
- Quoi je vais faire ?
Elle voulu rejoindre les éclats de verre éparpillés sur le sol, comme on se rendrai auprès d'un ami blessé. Je l'en empêchai.
- Oublie cela. Je te ramène dans ta cabine. Et sèche tes larmes, bon sang.
Ses pleurs redoublèrent.
- T'es si méchant avec moi.
Je grognais et la soulevait dans mes bras. Elle était encore bouleversée, semblait-il.
- Mon rhum... mon rhum...
Je levai l'œil au ciel, excédé. Je longeai plusieurs couloirs avant d'atteindre enfin celui des cabines de l'équipage.
- Je vais vomir.
- Quoi ?
J'eu tout juste le temps de poser Elsana à terre qu'elle se renversait en avant pour vider ce qui paraissait être l'entier contenu de son estomac, soit du rhum. Je lui retins les cheveux et frictionnai son dos. Elle se redressa, un peu sonné.
- Je déteste vomir.
- Personne n'aime cela.
Je la soutins de mon bras jusqu'à sa cabine que j'ouvris de mon pass.
- T'es un tricheur, tu peux aller partout.
- Je ne m'en sers qu'en cas d'extrême nécessité.
Elle rit légèrement.
- Chui pas une nécessité ?
Je la regardai sans comprendre puis la fit asseoir sur son lit simple. Je lui trouvai un pyjama propre que je posai près d'elle.
- Change-toi.
- Tu regardes pas.
Je me retournai donc. Il se passa au moins cinq bonnes minutes avant qu'Elsana ne se manifeste de nouveau.
- Pénible ce bouton.
Je risquai un œil. Elle bataillait toujours avec le premier bouton de sa chemise. Je soupirai.
- Je vais t'aider.
Je m'accroupis devant elle et déboutonai le vêtement bleu saphir. Elsana frissona sous le contact de mes doigts.
- Enlève tout, murmura-t-elle.
Je levai l'œil sur elle, incertain de bien comprendre.
- Pardon ?
- Chui bourrée mais toi t'es sourd. Enlève tout. J'dors pas en pantalon.
Je relâchai ma respiration. Je lui otai son haut puis enlevait son pantalon en toile gris, ainsi que ses chaussures. J'étais troublé de poser à nouveau mon regard sur sa peau nue, de la voir si peu vêtue. Elsana passa ses mains dans son dos, essayant vainement de dégraffer son soutien-gorge en dentelle beige.
- Attends.
Je le fis pour elle, faisant glisser les bretelles sur ses bras. Mon cœur m'assourdissait de ses battements, et c'était sans compter sur Elsana. Elle s'empara de mes mains et les porta à ses seins nus, me prenant de cours. Je les retirai immédiatement. La tristesse se dessina sur son si beau visage.
- Tu l'faisais avant...
- Tu es ivre, Elsana. Je ne te toucherai pas ainsi.
- Demain, alors ?
Je déglutis difficilement.
- Non...
- Plus jamais ?
Je me relevai.
- Oui...
- J'te déteste.
Ce fut comme un violent coup de poignard. Mes mains se mirent à trembler. Je me détournai d'elle, allant dans sa salle de bain lui chercher un verre d'eau. Lorsque je revins, elle avait revêtue sa nuisette rose foncé et s'appuyait sur la planche qui lui servait de bureau.
- Qu'est-ce que tu fais ? lui demandai-je, doucement.
- J'vais à la fête.
Je posai le verre pour l'en empêcher et la tournai face à moi.
- C'est hors de question.
- Pas toi qui décide. J'fais ce que je veux.
- Ton état est suffisamment lamentable.
- C'est toi qu'est lamentable. Tu m'dis même pas pourquoi t'veux pas de moi.
Je respirai un grand coup. Je commençais à perdre patience.
- Ce soir tu es ivre et je t'ai déjà dis des dizaines de fois la raison de notre rupture.
- Menteur.
Ce fut à mon tour d'être envahit par la tristesse. Elsana porta une main à mes lèvres, les caressant du bout de ses doigts. Je frissonais.
- J'aimais bien poser mes lèvres là.
Je retirai doucement sa main. Nos yeux s'observaient.
- Si cela peut te rassurer, murmurai-je, moi aussi.
Elsana battit plusieurs fois des cils, perdue. Je la soulevai à nouveau dans mes bras, elle n'eu aucune réaction. Sans doute, la fatigue commençait-elle à la gagner. Je quittai sa cabine avec elle. Je craignais qu'elle se lève en plein milieu de la nuit pour se rendre à la fête ou en cuisine pour dénicher une nouvelle bouteille de rhum. Je l'emmenai donc dans mes appartements pour la nuit où je pourrais veiller sur elle. Je me rappelai alors qu'après l'avoir couchée, j'aurai deux couloirs à nettoyer.

La petite serveuse de Heavy Melder, Livre 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant