Un mois était passé depuis que la quatre-vingt-dix neuvième bombe avait été posée sur Tokarga. Nous avions finalement réussi à terminer son installation malgré les contre-temps. Nous nous dirigions donc vers le système solaire de la Terre pour y poser la centième et dernière bombe à oscillations dimensionnelles et dénouer les nœuds du temps. Au fond de moi persistait un doute mais je ne savais qu'en faire. Plus troublant encore, je craignais la réaction d'Elsana lorsqu'elle apprendrait la vérité. Je faisais tout pour me sortir ces idées. Il était déjà tard et j'essayai de trouver un moyen de sauver ma reine. Tōchirō était un excellent adversaire aux échecs.
- Eh bien, Capitaine, on dirait que tu es bloqué, me nargua-t-il en souriant.
- Attends de voir.
Des coups se firent alors entendre à ma porte. Étonné, je donnai l'autorisation d'entrer. J'arquai imperceptiblement un sourcil en voyant Elsana ouvrir le pan de bois. Elle parut un instant déconcertée par la présence de mon ami mais continua son chemin jusqu'à nous. Son visage était grave. Était-elle détentrice d'une quelconque mauvaise nouvelle ?
- Ah ! Elsana ! Qu'est-ce qui t'amène ? s'exclama Tōchirō.
Elle lui adressa un petit sourire.
- L'heure est grave, Capitaine, dit-elle en dardant ses beaux yeux dans le mien.
Tōchirō plissa les yeux, mi-sérieux, mi-amusé.
- Il n'y a plus de friandises en cuisine. Les membres de l'équipage ont tout dévoré en l'espace d'une journée.
- Est-il nécessaire de venir me voir maintenant pour cela ?
- Oui. Eowyn veut des guimauves. Et il se trouve que je sais que vous en avez.
- Ne devrait-elle pas dormir à une heure pareille ?
J'étais réellement préoccupé par ce détail.
- Malheureusement, la petite pile électrique qu'elle est n'est toujours pas déchargée, et il semblerait qu'elle achèvera notre "soirée dessin" avec nous.
Je gromellai. Je n'avais moi-même pas encore pu savourer ma moitié du carton de friandises que mes hommes avaient trouvé à bord d'un vaisseau de Gaïa abordé le matin même.
- Alors, Capitaine ? Accéderez-vous à ma requête, s'il-vous-plaît ?
Je soupirai.
- Qui te dis que j'ai des guimauves ?
- Je vous ai vu sortir le paquet dans le couloir ce matin alors que vous rameniez votre part dans votre cabine.
Elle posa ses mains sur ses hanches, réprobatrice. J'admirai un instant son corps... Elle fronça les sourcils.
- Bon, puisque je vois que vous ne voulez pas faire preuve de compassion envers notre petite Eowyn, vous ne verrez pas d'inconvénient à la garder.
- Je te demande pardon ?
Tōchirō éclata de rire et Elsana esquissa un sourire.
- C'est bon, je vais te les donner.
Je me levai de mauvaise grâce et allait chercher le carton dans le placard où je stockai mon Red Bourbon et mes autres alcools. Je le ramenai sur le bureau.
- Des guimauves, c'est bien cela ?
- Oui, Capitaine, répondit la jeune femme, visiblement exaspérée.
Je farfouillai dans les différents paquets colorés pour en ressortir un bleu. J'hésitai un bref instant puis capitulai.
- Tiens.
- En entier, Capitaine ? Vous me surprenez !
Le ton d'Elsana était moqueur mais ses yeux riaient. Étrangement, je me sentis gêné. Elle se saisit des friandises, jeta un coup d'œil intéressé à notre partie d'échecs qui m'était sortie de la tête puis quitta ma cabine.
- Ouais ! J'ai mes bonbons ! se fit alors entendre une voix aiguë de l'autre côté de la porte.
La joie était sincère. Je ne regrettai pas ma capitulation. Une pensée me vint alors... Peut-être, peut-être que je ne mettrais pas mon plan à exécution...Nous avions dépassé Saturne depuis longtemps maintenant et combattu la Flotte de Gaïa qui nous barrait l'accès à la Terre. Nous étions ressortis vainqueur. L'Océanos, le vaisseau amiral de la Flotte était remorqué par l'Arcadia. Il était dans un état lamentable. Son Amiral était dans l'une de nos cellules et nous comptions d'autres otages. Depuis la bataille, Yama avait déserté la passerelle. Il s'était avéré que l'Amiral Ezra, que nous retenions captif, n'était nul autre que son frère. Assis dans mon fauteuil de commandement, je fixais mes bottes, la tête nonchalamment appuyée contre mon poing. Nous arrivions à notre destination finale, à l'endroit où le mythe du Capitaine Albator avait commencé. La Terre. Elle se profilait devant nous, petit point bleu dans l'immensité d'encre. Plus elle grandissait, plus je me renfrognais. Mes hommes étaient admiratifs, pris sous l'émotion de voir leur planète natale qui leur était interdite depuis la Guerre du Retour, guerre spatiale sanglante qui s'était déroulée un siècle auparavant lorsque les milliards de colons voulurent retourner vivre sur la Planète Bleue. Du coin de l'œil, je pouvais apercevoir les bottes en cuir de ma douce Elsana. Que pensera-t-elle dans quelques minutes ? Quand l'horreur de mes actes la frappera ?
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La petite serveuse de Heavy Melder, Livre 2
FanfictionCinq années se sont écoulées depuis l'affaire Drakkar. Le Capitaine Albator voit son passé le rattraper, alors qu'il tente de dénouer les nœuds du temps, et sa plus grande peur l'assaillir ! Disclaimer : Les personnages et les lieux, exceptés les OC...