Presque une heure était passée. Du gaz corrosif s'échappait à l'endroit où l'équipe d'installation s'était posée sur Tokarga, qui n'était que ravins emplis de lave et terres rocheuses inhospitalières. Il me tardait que tous rentrent, qu'elle rentre. Évidemment, je ne pourrais pas la serrer dans mes bras de soulagement mais mon cœur serait apaisé d'entendre sa voix résonner dans les couloirs du vaisseau. L'agitation prit place sur la passerelle, je sortis de ma torpeur.
- Ça ne vient pas du sol, c'est un animal. Ils ont atterri sur le dos d'un Mudo !
- Oh c'est pas vrai !
Yattaran quitta la passerelle au pas de course. J'avais quitté mon fauteuil, tendu à l'extrême. Un Mudo était une créature gigantesque s'apparentant à un serpent. Parfait caméléon, cette animal pouvait rester des mois dans la même position et se confondre avec la roche de son milieu de vie. Key avait atterri sur l'un d'eux par mégarde et l'animal se réveillait, probablement dérangé par l'installation de la bombe sur son dos. Le pont qu'il formait alors n'était plus qu'un danger mortel dans lequel Key, Yama ou encore Elsana, voire les trois, pouvaient perdre la vie en tombant dans le précipice qui se trouvait en dessous d'eux, calcinés par la lave. Sur les écrans, je vis que Yattaran avait quitté l'Arcadia à bord d'un petit vaisseau pour tenter de les sauver. Quand il réapparut avec seulement mon officier navigateur, mon cœur manqua un battement. Je quittai donc la passerelle au pas de course pour me rendre dans le grand hangar. J'enfilai mon masque pour me protéger du gaz et demandai l'ouverture de l'Arcadia. Immédiatement, le vent de Tokarga me fouetta le visage et fit claquer ma cape. Sans une hésitation, je sautai dans le vide pour atterrir plusieurs mètres plus bas sur le toit du vaisseau de l'équipe d'installation. Celui-ci était en équilibre précaire, coincé entre les parois rocheuses de la fosse. Il faisait une chaleur étouffante. Je m'approchai du bord et constatai avec soulagement qu'Elsana et Yama étaient toujours en vie, en situation périlleuse, mais en vie. Ils se retenaient tous les deux à la rembarde de l'immense bombe à oscillations dimensionnelles. Je sautai sur celle-ci, juste à temps pour rattraper la femme que j'aimais qui venait de perdre connaissance, sans doute parce que son masque ne la protégeait plus du gaz. Il avait pour autonomie une malheureuse petite heure. Je jetai un œil à Yama, il tiendrait le coup le temps que je ramène Elsana à l'intérieur, il me le confirma d'un vague hochement de tête. Je la posai sur le siège passager du petit vaisseau et retournai chercher Yama. Ils étaient à présent tous les deux saufs mais nous étions encore loin d'être sortis d'affaire. Il nous fallait à présent quitter le ravin ou nous y resterions tout les trois. J'appuyai fébrilement sur les boutons du tableau de bord. Des bips d'avertissement retentissaient dans tout l'habitacle.
- Non, pas ça, murmurai-je. On va devoir laisser la bombe et évacuer en mode manuel.
De rage, je lançai mon poing dans le tableau. Les bips cessèrent.
- Capitaine...
Je tournai la tête, Elsana revenait à elle. Je m'accroupis et caressai ses cheveux, voulant lui apporter un peu de réconfort. Je lui avais ôté son masque, tout comme à Yama et à moi-même, ils n'étaient plus d'aucune utilité.
- Que se passe-t-il ? demanda la jeune femme du bout des lèvres.
- J'essaye de nous faire décoller.
Elle se redressa, observant avec attention les commandes du vaisseau.
- Non, ne fais rien.
Elle porta ses yeux sur mon visage, je ne doutais pas un seul instant que l'inquiétude s'y lisait. Elle était très pâle et sa respiration un peu difficile. Je l'installai de nouveau au fond du siège.
- Il faut tirer cette manette, murmura-t-elle.
Elle leva péniblement la main. Je m'en saisis pour y déposer un bref baiser.
- Je sais, sois tranquille.
Je la vis légèrement froncer les sourcils. Ne s'arrêtait-elle donc jamais de penser ? Je me redressai et pris la dite manette en main. Un bruit d'arme dans mon dos retint alors mon attention. Yama. Je ne me préoccupai cependant pas de lui, et forçai sur la manette pour la tirer vers moi, en vain. Une petite main se posa près de la mienne, je soupirai.
- Pourquoi ? Pourquoi vous n'avez rien fait ? Vous savez que c'est Gaïa qui m'envoie !
- Tu es devenu l'un de mes hommes dès l'instant où tu es monté à bord de l'Arcadia.
Je tirai de nouveau la manette vers moi avec l'aide faible d'Elsana, sans plus de succès. Aux mots du jeune homme, je sentis la jeune femme se tendre.
- Mais qu'est-ce que vous racontez ! Je suis ici en mission ! Je dois vous reprendre le détonateur et j'ai aussi reçu l'ordre de vous tuer !
Elsana fit alors volte-face, dégainant son arme.
- Tu as intérêt à bien savoir manier ton arme sinon mon tir t'atteindra avant.
Toute faiblesse semblait l'avoir subitement quittée. Je me retournai pour faire face à Yama. Ses yeux allaient du pistolet d'Elsana à moi à intervalles réguliers. Je posai ma main sur l'épaule de la jeune femme.
- C'est bon, lui dis-je.
Elle baissa légèrement son arme mais resta tout de même sur le qui-vive.
- C'est vraiment ce que tu veux ? Tu n'as aucune chance de revenir vivant de cette mission. Et même si tu réussissais, il n'y aurait personne pour te féliciter. Personne ne t'a demandé d'infiltrer mon vaisseau, tu es venu de toi-même. Qu'est-ce qui t'a poussé à venir ?
Le jeune homme sursauta à ma question. Il n'y avait plus rien à dire. Je pris donc place sur le siège du pilote et retournai à la manette qui faisait des siennes. Elsana s'obstina à m'aider, l'adrénaline jouant, elle tirait de toute ses forces. La main de Yama se joignit alors aux nôtres. Nous relevâmes légèrement la tête d'un même mouvement.
- Je ne fais pas ça par plaisir. Je ne veux pas vous tuer, je veux vous aider !
Je hochai de la tête puis je croisai le regard d'Elsana, incertaine. Cependant, elle acquiesça à son tour. À trois, nous parvînmes à faire céder la manette. Un énorme nuage noir envahit alors la fosse sous la puissance des réacteurs. Nous décollâmes à une vitesse vertigineuse et sortîmes du ravin, dépassant les brumes opaques du nuage et esquivant de justesse les pinces du Mudo qui vacillait juste derrière nous de sa gigantesque longueur. Nous étions définitivement saufs et le soulagement devait probablement étreindre tous les cœurs.
Une fois à bord, je garai le vaisseau dans le hangar de l'Arcadia et me levai de mon siège.
- Tu as dit vouloir agir au nom de la Liberté.
Je me tournai vers Yama.
- Si tu pensais vraiment ce que tu disais, libère-toi des liens qui t'entravent. Si tu as toujours envie de me tuer après ça, tu n'auras plus qu'à tirer.
Je lui tendis sa propre arme qu'il avait laissé tomber sur le sol en nous apportant son aide.
- Peut-être que toi, terminai-je, tu réussiras à le faire sans trembler.
Sur ces derniers mots, j'incitai Elsana à se lever. Sa faiblesse était revenue. Appuyée sur mon bras, je la fis sortir du vaisseau et l'emmenai à l'infirmerie. J'espérai en mon for intérieur que toute cette aventure ne la dissuaderait pas de poursuivre ses efforts pour guérir des séquelles qu'avait laissées Drakkar, et surtout, qu'elle n'en aurait pas de nouvelles.
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La petite serveuse de Heavy Melder, Livre 2
أدب الهواةCinq années se sont écoulées depuis l'affaire Drakkar. Le Capitaine Albator voit son passé le rattraper, alors qu'il tente de dénouer les nœuds du temps, et sa plus grande peur l'assaillir ! Disclaimer : Les personnages et les lieux, exceptés les OC...