La petite serveuse de Heavy Melder, Livre 2

III.

Elsana s'était réveillée dans ma chambre le lendemain avec une migraine épouvantable qui l'avait clouée au lit toute la journée. Trop mal en point pour me questionner à son réveil, elle n'avait, cependant, pas omis de me bombarder de questions le soir venu sur sa présence dans mon lit. Paradoxalement à ses propos de la veille, elle avait craint qu'une relation charnelle ait eu lieue entre nous. Je l'avais rassurée là-dessus. Depuis lors, et cela faisait une semaine, elle me fuyait comme la peste, du moins encore plus qu'avant, sauf pour les rapports et autres exigences de son poste. Si elle avait oublié, semblait-il, les paroles et les gestes de cette nuit-là, ils continuaient à me hanter. L'alcool n'avait fait que débrider ses pensées refoulées, à savoir rancœur dévorante et désir étouffé. Tout cela m'avait remué. Moi, qui pensais qu'elle était passée à autre chose, je m'étais lamentablement trompé. Il m'apparaissait aussi clairement que, tout compte fait, rester de marbre pour le restant de mes jours face à l'amour que j'éprouvais pour cette femme serait bien plus ardu que ce que j'imaginais. Elle souffrait terriblement par ma faute même des années après. Je devais me l'avouer, je me sentais perdu, j'ignorais quoi faire. Des petits coups frappés à la porte m'annoncèrent que Miimé et Célestial venaient d'arriver. Je les conviai à entrer.
- Albator, tu m'as l'air troublé, remarqua la nibelungen en s'asseyant sur la méridienne.
Célestial la rejoignit mais ne pipa mot. Elle, Elsana, Magali, Madalen et Ophélie avaient tissé des liens d'amitié forts qui pouvaient parfois me rendre antipathique l'épouse de Miimé, notamment quand la femme que j'aimais n'allait pas bien. Je gardai le silence.
- J'espère que ce n'est pas à cause d'Elsana ?
Célestial, de nature si douce, pouvait se montrer très mordante et agressive quand il était question de ses proches ou encore de sujets qui lui tenaient à cœur. Je lui lançai un regard morne. Elle pinça les lèvres et se saisit de sa petite harpe. Quelques notes résonnèrent, elle ne m'aiderait pas cette fois, j'avais repoussé tout ses conseils d'un revers de main depuis Jura. Surtout quand il était encore temps de revenir sur ma décision.
- Comme bien d'autres choses, dit cependant Miimé, si tu acceptais que les dangers et les erreurs font parties de ce monde, tu pourrais trouver un chemin plus heureux.
Je restai enfermé dans mon mutisme. Comment accepter ce qui faisait souffrir, ce qui faisait peur, même si le tableau était teinté également de bonheur ? Célestial cessa de pincer les cordes de son instrument et but une gorgée de vin dans le verre de son épouse. Peut-être parce qu'il lui restait un fond de bonté à mon égard, elle fit résonner l'air de sa voix.
- Elsa, malgré tes faits et tes paroles, pourrait te pardonner si elle connaissait la véritable raison de ton rejet. Je trouve stupide que vous vous fassiez du mal inutilement !
Elle posa la harpe sur le velours de la méridienne avec énergie, se leva sans plus de cérémonie et quitta mes appartements. Je devinais que d'une façon ou d'une autre, nous étions en train d'atteindre le point de rupture de cette situation.
- Changeons de sujet puisque tu sembles vouloir l'éviter, fit Miimé. Pourquoi as-tu accepté Yama à bord ?
Le silence revint alors que je plongeai mon regard dans le liquide carmin de mon verre.
- Tu es au courant, n'est-ce pas ?
Évidemment que je l'étais. Le jeune Yama venait de Gaïa pour infiltrer mon vaisseau. Il y avait quelque chose de particulier chez ce jeune homme, qui me ressemblait assez physiquement.
- On dirait que tu attends quelque chose ?
- Si je te disais que j'attendais un miracle, tu te moquerais de moi.
- Je me contente simplement d'observer les faits.
Cette dernière réplique de mon amie m'arracha un sourire. Elle ne tarda pas à quitter ma cabine pour aller éteindre le feu qu'était probablement encore Célestial. Un miracle... La vérité est que j'en attendais deux...