Il était une fois à Leavenworth

Chapitre 17 - 17 décembre 2022

Hier nous sommes restées à l'auberge. Susan nous a servi les repas en chambre, mais aujourd'hui j'aimerais retourner manger avec tout le monde. J'aimerais surtout aller voir Jake... J'ignore encore ce que je vais pouvoir lui dire, mais je ne peux pas rentrer comme ça. Je profite de mon réveil matinal pour me rendre à l'ouverture de son café. De la fenêtre de ma chambre, je vérifie l'absence d'individus et me camoufle sous un bonnet et ma grosse doudoune. Je sors discrètement, l'auberge étant encore calme. Il n'y a probablement que Susan qui s'affaire en cuisine. Personne à l'horizon, ouf. Je marche d'un pas rapide jusqu'au café et heureusement il est ouvert. J'y entre et un habitué est déjà attablé. La serveuse me sourit, cependant dès qu'elle me reconnait son sourire s'efface. Merde. Sait-elle qui je suis ?

— Bonjour, lui dis-je. Est-ce que Jake est là ce matin ?

— Que lui voulez-vous ? Vous ne lui avez pas fait assez de mal comme ça ?

Bon au moins, elle ne me connait pas pour le moment. Elle m'en veut juste pour Jake. Pourquoi d'ailleurs ? Elle ne me laisse pas le temps de répondre.

— Jake est l'homme le plus adorable qui existe et vous lui faites ça ? Je devrais vous mettre dehors.

— C'est un malentendu, j'aimerais m'expliquer avec lui.

— Il n'est pas là de toute façon. Mais ce n'est pas facile à justifier votre histoire.

De quoi elle se mêle franchement ? Si je n'avais pas mes bonnes manières, je l'enverrais voir ailleurs. Je referme mon manteau correctement avant de sortir, elle m'a coupé toute envie de café également.

En sortant, je bouscule un homme portant un gros carton.

— Oh pardon excusez-moi !

L'homme abaisse le carton et je reconnais les magnifiques yeux de Jake.

— Jake...

— Que fais-tu ici ?

— J'aimerais te parler, s'il te plaît.

— Non merci.

Il me passe devant et ouvre la porte du café, mais je le retiens par le bras. Il me regarde, sans aucune émotion.

— Je dois te parler !

— Tu m'as menti Elisabeth, qu'as-tu à dire de plus ?

— Que je ne vais pas l'épouser. Qu'il n'est strictement rien. Qu'il ne me fait pas ressentir la même chose que toi quand tu poses ton regard sur moi... Et ça c'est la vérité. Leavenworth m'a tant appris... Et toi aussi. Je ne suis plus la même qu'à mon arrivée. Ressentir des sentiments me faisait peur. Toutes les personnes que j'aime m'abandonnent un jour... Je ne voulais pas ressentir de choses aussi fortes à ton égard... De peur de te perdre.

— Elisabeth...

— Je ne sais pas ce qu'est l'amour. Je ne l'ai jamais ressenti, je n'ai jamais eu le droit à vrai dire. Et pourtant, toi... Hier soir tu m'as fait ressentir des choses inexplicables. Je me suis sentie entière dans tes bras. Je me suis sentie moi... Et si tu savais à quel point j'étais perdue avant... Mais je t'ai menti tu as raison. Et je m'en veux.

J'inspire profondément. Mes pensées s'emmêlent tout comme mon petit discours. Je n'arrive pas à exprimer tout ce que je ressens, et ça m'énerve. Et son silence provoque en moi une vague de tristesse. Je murmure à nouveau des excuses, la voix cassante, avant de reprendre le chemin vers l'auberge à vive allure. Les larmes me piquent les yeux, mais je tente de les retenir comme à mon habitude. Et cette fois c'est si dur...

Une fois à l'auberge, je me défais de mon manteau et le journal du jour attire mon regard sur la table de l'entrée. Nous sommes en première page avec Jake. « La Reine d'Aldovie en escapade romantique avec un américain. Une adultère à la couronne ? » Leur titre dramatique m'énerve tant. Je ne sais pas pourquoi, mais je pense que le prince est derrière tout ça. Il ne veut pas de mon projet de clinique, il trouve toujours quelque chose à redire sur ce que je fais, il veut envoyer ma fille en pension et là il veut détruire ce qui m'a rendu heureuse ces derniers jours. J'ignore où il est passé d'ailleurs, mais je dois avoir une conversation avec lui.

Je retrouve Derek et Alva dans la salle du petit déjeuner. Un silence s'installe lorsque j'entre dans la pièce. Je lance un « bonjour » presque inaudible en allant me servir avant de les rejoindre. Les conversations reprennent et je regarde Derek, qui me sourit de façon rassurante.

— Que voulez-vous qu'on fasse, madame ?

—  Je ne sais pas Derek... Je suis un peu perdue. Où est passé Alexandre ?

— Je l'ignore. Il a dû prendre une chambre dans un hôtel à proximité.

— J'ai envoyé un mail à M. Ravensky pour qu'il avance sa venue, il sera là demain. Dès que j'aurais eu le rendez-vous avec le maire, nous rentrons à la maison. On pourra faire notre sapin de Noël comme ça...

Je regarde Alva qui me sourit. Elle va pouvoir profiter de ses copains encore aujourd'hui. J'imagine déjà la tristesse qui va l'emparer à notre départ. Je dois absolument aller chercher des cookies chez Jake. Sauf qu'entre temps il a dû apprendre pour mon titre... Et voudra encore moins me parler. Une chose après l'autre. Alva va aller à l'activité du jour et moi je vais commencer à rassembler nos affaires. Avant de monter dans ma chambre, je vais voir Susan, qui m'accueille avec un sourire.

— Susan, je peux vous confier Alva pour l'activité ?

— Bien sûr. Nous allons chanter des chants de Noël aujourd'hui.

— C'est super. J'espère que personne ne vous embêtera...

— Mais non. Nous sommes une petite ville vous savez.

— Justement... Les paparazzis sont méchants parfois. Derek va venir avec vous au cas où.

— Pas de problème. Et vous alors ?

— Je vais commencer à préparer nos affaires. Nous allons partir après-demain.

— Oh...

— J'aimerais commander des cookies à Jake, mais il ne veut pas me parler... Et il a dû découvrir mon statut... Est-ce que vous pouvez...

— Oui bien sûr, je vais lui demander. C'est dommage... Jake avait toujours le sourire lorsqu'il revenait de vous voir. Ça faisait longtemps que je ne l'avais pas vu si... bien.

— Ah bon ? Il me parait tellement joyeux tout le temps.

— C'est vrai. Il a eu une grosse déception amoureuse il y a quelques années, dont il a eu du mal à s'en remettre. Je me disais qu'il s'était trop vite attacher à vous.

— Et je l'ai déçu, blessé... Je suis horrible.

— Ne dites pas ça Elisabeth, dit-elle en me prenant la main. Vous avez voulu vous protéger aussi, et vivre incognito. Il pourra le comprendre, après avoir digéré la nouvelle.

Je hausse les épaules et la remercie avant de monter avec Alva et de la préparer pour l'activité. Au moins elle va s'amuser. J'aurais tant aimé aller avec elle, mais j'attirerais l'attention sur moi et je refuse de gâcher sa dernière journée. Je la coiffe assise près de la fenêtre, lui faisant deux tresses.

— On va partir maman ?

— Oui ma chérie. On va retrouver la maison. On a du travail, on doit faire notre sapin de Noël.

— Oui ! Mais je vais plus voir mes copains.

— Tu t'en feras des nouveaux ma puce... Et on reviendra les voir ici. Je suis désolée...

Elle hausse les épaules avant de mettre son bonnet de Noël sur la tête. Derek vient la chercher et je m'occupe de nos valises pendant ce temps. M'occuper pour m'éviter de trop penser.

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