Chapitre deuxième

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Un instant de paix. – Ma déclaration.

Pour le nouvel an, Jörgen et Johanna nous gardèrent, Hanna, August, Eugen et moi, à dîner. La soirée, fortement arrosée, tourna en bataille de boules de neige. Hanna était montée sur les épaules d'August, coupe et cigarette slim à la main, et reprenait Dietrich à tue-tête. Un peu éméchée, je finis par tomber et me rouler dans la neige. La lune était claire. Eugen me rejoignit, planta son verre dans la neige, et se pencha au-dessus de moi.

— Je t'aime ! m'exclamai-je.

Ses yeux étaient beaux à s'y perdre, ses lèvres l'étaient moins, mais son sourire... Son sourire était céleste.

Eugen haussa les épaules, et mes derniers espoirs s'éparpillèrent au vent. Il avait la fâcheuse habitude de laisser les silences durer.

— C'est certainement mieux ainsi, me résignai-je. Après tout, nous ne sommes pas un vrai couple.

— Tu penses encore que je suis mieux sans toi ?

Je levai les mains en signe d'évidence.

— C'est plutôt clair ! Louis a trouvé sa juste place dans mon souvenir. Cette place coexiste à présent avec la tienne. L'accepterais-tu ? Et Phil, l'accepterais-tu ?

J'allais pour rentrer et quand je l'eus dépassé, sa main agrippa mon poignet.

— Je n'ai jamais imaginé supplanter Louis, pas même dans son statut de père. Je n'infligerais à Phil ni l'indifférence d'un étranger, ni le mensonge ni la monopolisation pour combler mon désir de paternité. Accepter Phil ? Quelle question ! Je l'accepterais par loyauté, parce qu'il est ton fils ; mais je l'aime sincèrement, l'élevant et le protégeant, pour ce qu'il est et ce que nous partageons. En cela, Phil est pour moi un fils ; et je serai pour lui ce qu'il voudra : un tuteur, un appui, un oncle, un ami... un père, selon son vœu, sans jamais remplacer son père biologique. J'accepte d'être l'éternel second d'après la chronologie des évènements ; et j'accepte une juste place et un juste rôle, non moins honorables que ceux des premiers, dans chacun de vos cœurs à Phil et toi... parce que je suis votre choix au présent, parce que je sais la grandeur de vos relations passées et de notre relation présente, parce que ces relations sont radicalement différentes et ne souffrent donc aucune comparaison, parce que nos histoires sont autant de continuités qui s'enrichissent mutuellement dès lors qu'on accepte qu'elles s'entremêlent.

— Alors essayons.

Mais Eugen resta prudent et fit silence. Dans ce contexte, je me souviens des dernières strophes d'un poème de Musset :

« J'aime, et je sais répondre avec indifférence ;
J'aime, et rien ne le dit ; j'aime, et seul je le sais ;
Et mon secret m'est cher, et chère ma souffrance ;
Et j'ai fait le serment d'aimer sans espérance,
Mais non pas sans bonheur ; – je vous vois, c'est assez.

Non, je n'étais pas né pour ce bonheur suprême,
De mourir dans vos bras et de vivre à vos pieds.
Tout me le prouve, hélas ! jusqu'à ma douleur même...
Si je vous le disais pourtant, que je vous aime,
Qui sait, brune aux yeux bleus, ce que vous en diriez ? »

Le requiem de mon cœurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant