✯ CHAPITRE V ✯

29 3 2
                                    


« La mort n'est qu'une étape de la vie qui fait mal aux autres »

Parce que je suis incapable d'imaginer que la mort ne soit qu'une étape.

Parce que, certes, je souffre comme pas possible depuis cette énorme perte.

Parce qu'on arrête pas de me répéter qu'Ava, elle, n'a pas souffert.

Mais parce que je n'oublierais jamais son regard effrayé.

Parce que ses yeux apeurés cherchant désespérément du soutien dans les miens ne cessent de me hanter.

Parce que je ne pourrais jamais savoir ce qu'elle a pu ressentir pendant ces quelques instants qui ont duré éternité.

Parce qu'Ava a emporté une partie de mon cœur, quand la mort l'a enlevée, les yeux écarquillés par la peur.

✯ ✯ ☾︎ ✯ ✯

L'automne à réellement fait son apparition il y a quelques jours. Le soleil irradiant de l'été laisse peu à peu sa place aux feuilles jaunies qui viennent tapisser le sol humide. L'air se rafraîchit et la nature se réveille au fil des nombreux coups de vents. Les journées s'enchaînent à une vitesse si faible que le temps semble s'être arrêté. Je suis secouée par les souvenirs qui s'entremêlent dans ma tête. Mes pensées sont constamment occupées et les journées à rallonge me laissent tout le temps possible pour ressasser et culpabiliser.

À cette époque de l'année, si Ava était toujours là, nous passerions nos journées à nous noyer dans des tas de chocolats chauds épicés. On se gaverait de gâteaux à la cannelle et au caramel. On aurait décidé il y a plusieurs mois de nos déguisements assortis pour Halloween et serait en train de les confectionner. On passerait nos journées sous des plaids, elle à raconter des histoires pendant qu'elle peindrait, et moi, essayant d'en retenir les moindres détails pour ensuite les retranscrire sur le papier. Hélas, Ava n'est plus là, et sans elle, l'automne a un goût beaucoup trop amer.

Si Ava et moi avions été des saisons, elle aurait sans aucun doute été l'été. Solaire et chaleureux, parsemé de rires et de glaces à la vanille. À l'odeur agréable des churros vendu sur la plage. Et moi, je serais l'automne, cette saison que l'on chérissait tant avant. Mais j'ai fini par abandonner tous ces bons côtés pour ne garder que sa morosité. Ava et moi aurions fait de superbes été et automne. Mais encore une fois, Ava n'est plus là et il ne reste que moi. Et sans l'été qui précède l'automne, cette saison, que l'on chérissait tant, perd son tout attrait. À l'image de cet automne maussade, dépourvu du soleil irradiant de l'été, ma vie sans Ava repose sur un équilibre précaire, plus que bancal. Le fil de coton sur lequel reposent mes pieds menace de lâcher d'une minute à l'autre.

Alors que mes journées se succèdent difficilement, toutes identiques à la précédente, mes nuits, elles, connaissent un peu plus d'action. Mes rêves sont entrecoupés par le souvenir de moments partagés avec Ava. Et alors que me rappeler d'elle comme ça me fait sourire, cet infime bonheur se voit toujours gâché par une fin abrupte, toujours la même, où je revois le regard perdu d'Ava s'éteindre peu à peu au fur et mesure que la voiture s'enfonce dans le vide. Et à cet instant précis, toutes les nuits, je me réveille le souffle court et les joues baignées de larmes. Tous les petits pas que je fais tous les jours vers la guérison sont suivis par d'immenses bons en arrière chaque fois que mes yeux se ferment.

Le sommeil, qui il y a un mois de ça me permettait de tout oublier une fois le soleil couché, a décidé de m'abandonner. Et mes rêves qui étaient mes alliés ont visiblement préféré changer de côté. Je n'ai jamais autant pris au sérieux ma thérapie que je ne le fais aujourd'hui et pourtant, je ne me suis jamais sentie aussi loin de la sortie.

✵✵✵

Après ma séance psy rituelle, je repasse en vitesse dans ma chambre pour attraper mon manteau ainsi qu'un foulard. Je prend aussi mon carnet et un stylo sur mon bureau que je fourre dans une de mes poches et repars dans le couloir pour passer le reste de la matinée à l'extérieur. Je broie du noir en ce moment et Madame Chauvet, comme mes parents, pensent que l'air frais me fera du bien.

Lorsque je rejoins enfin l'extérieur, je marche quelques mètres avant de trouver un bout de muret au milieu d'une vaste étendue d'herbe. Je m'assois sur la pierre froide et prend quelques instants pour respirer quelques bouffées d'air frais. Le vent froid me fouette le visage et je sens que mes pommettes commencent à rosir. Le changement de températures se fait ressentir sur mes joues qui commencent à me picoter. Je sors mon carnet de ma poche et m'attarde sur les dernières pages avant de commencer à noircir les suivantes. Je survole toutes les lettres que j'ai écrites pour Ava ces derniers mois et je me rends compte que rien n'a changé. J'ai l'impression de ne pas être en mesure de prendre plus de recul vis-à-vis de sa mort que depuis le début de mon deuil.

Je décide finalement de ne rien ajouter aux nombreuses pages blanches qu'il reste et pose le carnet à côté de moi, en fourrant mes doigts gelés dans mes poches. Ma main droite rentre en contact avec un morceau de papier, je prends quelques secondes à me rappeler que c'est la lettre de Marc et Elisabeth que je n'ai jamais terminée. Je reprends alors ma lecture là où je m'étais arrêtée.

« En revanche Elaïa, s'il y a bien une chose que tu dois réaliser, c'est que tu n'y est pour rien. Tu n'as pas forcé Ava à monter dans cette voiture, au contraire tu as tenté de l'en dissuader. Quand tu as vu qu'elle n'en démordait pas, tu n'es pas partie de ton côté, alors que tu en mourrait sûrement d'envie, tu l'as suivie, pour être sûr qu'elle nous revienne en vie. Le destin a fait que ça s'est passé autrement mais ce n'est en rien ta faute. Ce n'est pas toi, Elaïa, qui a tenu à prendre le volant après avoir avalé une telle quantité d'alcool. Le seul fautif est ce garçon, Léo. Et on doit admettre qu'Ava a aussi une part de responsabilité dans cette histoire, mais toi, toi Elaïa, tu as tout mis en œuvre pour que ça n'arrive pas. Tu ne peux pas imaginer combien nous te sommes reconnaissants de l'avoir accompagnée comme tu l'as fait, jusqu'au bout. On sait à quel point tu as essayé alors même que tu aurais pû te protéger en rentrant chez toi. On sait aussi que ça te détruit de savoir qu'elle est morte alors que vous étiez fâchées mais on est persuadé qu'Ava t'était vraiment reconnaissante de l'avoir accompagnée jusqu'à ce que tout soit terminé.

Tu vas y arriver Elaïa, même si ça prend du temps, même si c'est dur, même si tu as l'impression que rien ne bouge, tu y arriveras.

On espère te voir très bientôt.

On t'embrasse.

Elisabeth, Marc et Lulu »

Au verso de la lettre, je trouve un dessin de Lucie, la petite sœur d'Ava. Elle a représenté un cœur immense colorié d'un rouge vif et entouré de roses, nos fleurs préférées. Je sais que si elle l'a dessiné pour moi, elle a fait exactement le même pour Ava. Elle l'a sûrement roulé et glissé dans une petite fiole en verre puis déposée sur sa tombe, au milieu d'un joli bouquet. Alors qu'elle pourrait m'en vouloir de ne pas avoir su sauver sa sœur, Lulu préfère me considérer comme telle. Et je n'arrive pas à savoir si j'en suis heureuse ou si ça me brise un peu plus le cœur. 

𝐏𝐚𝐫 𝐮𝐧𝐞 𝐍𝐮𝐢𝐭 𝐝'𝐀𝐮𝐭𝐨𝐦𝐧𝐞Où les histoires vivent. Découvrez maintenant