✯ CHAPITRE XVI ✯

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« Les souvenirs, c'est quelque chose qui vous réchauffe de l'intérieur. Et qui vous déchire violemment le cœur en même temps »

Parce qu'Ava a toujours admiré Haruki Murakami.

Parce que c'est lui qui lui a donné envie de se lancer.

Parce qu'il y a quelques mois, je n'aurais pu qu'acquiescer.

Parce qu'aujourd'hui, j'ai évolué.

Parce que les souvenirs ne déchirent pas le cœur, ils sont sources de bonheur.

Parce qu'un jour, par malheur, Ava s'effacera peut-être de ma mémoire.

Parce que grâce à ses photos, ses vidéos et ses textes les plus beaux, Ava restera à jamais gravée en moi.

Parce que les souvenirs l'empêchent de définitivement partir.

✯ ✯ ☼ ✯ ✯

Après avoir lamentablement perdu plusieurs parties qui se sont terminées en Chifoumi entre Simon et moi, nous avons décidé de nous allier pour avoir une chance. On a essayé de cacher nos cartes un peu partout mais, sans grande surprise, nous avons quand même été déclarés grands perdants de la soirée. Alors, en tant que bons mauvais perdants qui se respectent, nous décidons de les défier à des jeux où nous sommes imbattables. Jusqu'à ce qu'ils craquent.

Simon part chercher un paquet de post-it et un stylo et on improvise une partie de devine tête. Profitant du fait que personne ne semble remarquer que nous nous sommes alliés pour le reste de la soirée, je décide d'être à l'origine du mot de Simon. En souvenir de notre première partie ensemble, j'écris «bouffon» sur son front, persuadée qu'il n'aura pas trop de mal à deviner. Des protestations se font entendre du côté de Jade et de ma mère mais elles savent très bien que trop de réactions ne pourront qu'aider Simon à trouver.

Une fois que tout le monde est décoré de son papier fluo, les questions commencent à fuser. C'est la règle chez les Lamprelli, tout le monde pose et répond au question en même temps et si quelqu'un veut une minute pour trouver, il doit résoudre une énigme et poser ses questions en faisant un poirier. Les questions les plus basiques commencent par sortir, Lulu demande si elle est un objet, Elisabeth veut savoir la taille de son mot, mon père demande s'il est de la nourriture et Simon cherche désespérément des questions à poser. Tout-à-coup, il semble avoir une illumination et demande la minute d'exclusivité. Je savais bien qu'il finirait par trouver ! Il pioche alors son énigme et, accompagné d'un roulement de tambour, mon père lit le papier :

— Je suis quelque chose qui t'appartient mais que les gens utilisent plus que toi, qui suis-je ? demande-t-il en de façon mystérieuse

— Trop facile, répond Simon sûr de lui, mon prénom !

— Et c'est une bonne réponse ! renchérit mon père. Simon, tu as une minute pour poser autant de questions que tu veux dont la réponse tient en trois mots maximum. On est obligé de répondre à chacune de tes questions et de dire la vérité, explique—t—il hyper sérieusement comme si on était pas juste dans le salon avec des post-it collés sur le front. Le chrono démarre quand tu es en place. Bonne chance.

En quelques instants, Simon a la tête à l'envers, et le dos plaqué contre le mur. Il commence alors à poser des questions :

— Je suis vivant ?

— Oui ! répond Lulu.

— Je suis un homme ?

— Souvent oui, renchérit Elisabeth.

— Je suis beau ?

— Non, réagissons-nous tous en riant aux éclats.

—Vraiment pas, ajoute Jade, faisant redoubler les rires.

— Ok, euh, je sais pas, je suis vivant ?

— C'est compliqué, reformule, lance Luc.

— Je suis un personnage imaginaire ?

— Non Simon, fais un effort, je m'impatiente.

— Elaïa tu triches, gronde ma mère.

— T'as pas osé faire ça ? demande Simon dont les yeux s'écarquillent.

Je lui répond d'un sourire et il ne lui en faut pas plus pour se mettre à rire à son tour :

— Je suis un bouffon ! assure-t-il

— On n'osait pas te le dire, lance Marc qui s'était jusque-là montré discret. Avoue que tu n'aurais pas trouvé si Elaïa n'avait pas triché.

— C'est vrai, t'as triché, s'offusque Lulu en me pointant du doigt de façon menaçante. Vous étiez trop nuls pour gagner à la loyal ? Je pense qu'on devrait se venger ! s'écrit-elle.

J'ai à peine le temps de prendre un air outré qu'un oreiller m'arrive en pleine face suivi de près par Lulu qui s'étale littéralement sur moi. Je n'essaie même pas de me défendre et me tords de rire quand je vois d'autres coussins voler aux quatres coins de la pièce. Les équipes sont formées : Simon, Lulu, qui a subitement changé de côté, et moi, contre tous les autres. Très vite, Luc et Jade rejoignent notre cause et la guerre est déclarée. Simon décide d'être un chevalier et entreprend la construction d'un château fort qui ne ressemble à rien d'autre qu'un tas de coussins et de couvertures.

Lucie semble elle aussi conquise par l'idée et décrète qu'elle a besoin d'un cheval. Mon ami se retrouve donc par terre à hennir chaque fois que sa maîtresse hurle au galop et plante ses talons dans ses côtes. Très vite, plus personne ne participe à la bataille, trop épuisé pour bouger et bien plus intrigué par la scène qui est en train de se dérouler.

✵✵✵

— Ce que j'aime cette photo ! lance Elisabeth alors que nous venons de passer à table.

Tout le monde se tourne pour regarder la photo que pointe le bout de son doigt. Je me rappelle de ce jour-là comme si c'était hier. Ava, Simon, Jade, Luc et moi étions partis en vacances trois semaines chez mes grands-parents. Ava rêvait de faire le tour du monde, c'était son voeux le plus cher. Et à douze ans, la Grèce nous paraissait être l'autre bout de la planète. On avait passé des semaines à s'imaginer à quel point ce voyage serait mémorable. Les derniers jours précédant le départ, nous n'arrivions même plus à dormir tant l'excitation se faisait forte.

On était vraiment loin du compte : arrivé là-bas, tout nous avait semblé grandiose. Cette photo, on l'avait prise quelques jours après notre arrivée. On venait de plonger pour la première fois. C'est tout naturellement qu'une idée me vient. Dès qu'elle me traverse l'esprit, je suis persuadée que c'est ce qu'il y a de mieux à faire et m'empresse de partager mes pensées au reste de la tablée :

— On devrait y retourner tous ensemble, pour Ava. On devrait faire le tour du monde pour Ava.

Voyant les regards sceptiques et surpris autour de moi, je reprend :

— C'est vrai quoi, on est neuf, on peut tous voyager un peu, on aura vite fait de découvrir le monde.

— Mais Elaïa, tu es prête, toi, pour tout ça, s'inquiète ma mère, ressasser le passé, te créer de nouveaux souvenirs, quitter le centre ?

— Pas encore, mais je sens que les choses commencent à bouger. Tout le monde croit en moi, je crois en moi, je réponds fièrement. Je me suis mis en tête de sortir avant mon anniversaire. Et j'ai envie d'y croire. Je veux retrouver ma liberté, je veux vous retrouver. En étant là avec vous, je réalise à quel point ce genre de moments m'ont manqué. Et puis, en vérité, c'est fatiguant de constamment lutter. 

𝐏𝐚𝐫 𝐮𝐧𝐞 𝐍𝐮𝐢𝐭 𝐝'𝐀𝐮𝐭𝐨𝐦𝐧𝐞Où les histoires vivent. Découvrez maintenant