II. Un rayon de soleil

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Blanche ouvrit la porte d'entrée de son appartement. Carlos, ayant entendu le bruit des clés dans la serrure, s'y trouvait juste derrière.
Il se frotta contre ses  jambes et miaula doucement. Elle le prit dans ses bras, embrassa le haut de son crâne avant de le re déposer.
« Je vais te nourrir, j'ai compris. »

Carlos, c'était son chat. Un bon gros chat noir qui ne demandait pas grand chose. C'est ce qui avait plu à Blanche lorsqu'elle le trouva dans un refuge, il était déjà vieux, une dizaine d'années, il avait tout vécu et n'était plus qu'un chat blasé de la vie sans envie de jouer ni de déchirer tout sur son passage. Il ne voulait que manger et ça, Blanche pouvait s'en occuper tandis que Carlos lui apporta la chaleur d'un appartement habité par une autre personne qu'elle-même. C'était donc un bon deal. Elle jeta ses talons au sol, ouvrit son tiroir à pharmacie et sorti une boîte de pansement. Ensuite, elle se releva et sorti une boîte de nourriture pour chat au saumon de l'armoire en bois, sous le lavabo de la cuisine. Elle miaula pour lui faire comprendre qu'il était temps de manger mais Carlos attendait déjà devant sa gamelle.  Elle se mit en pyjama, se démaquilla et prit enfin la décision de passer un coup de brosse dans ses cheveux qu'elle avait rabattu en chignon au matin, manquant de temps et de motivation pour les coiffer à ce moment là.

 
Elle prit son journal intime et se mit à relire ses déboires de la veille et des jours avant. Elle aimait se relire car cela lui rappelait que la vie continuait, que malgré tous ses pleurs et ses plaintes, un nouveau jour et une nouvelle page de son carnet s'écrivait. Elle écrivit à propos de James, y nota tous ses attributs physiques avant de passer à une description plutôt psychologique. Pourquoi lui avait-il proposer de la ramener en voiture? Avait-elle l'air d'une fille célibataire prête à rentrer avec le premier rencontré dans sa nouvelle boîte?

Blanche se mit à rire, à vrai dire oui, mais elle ne voulait pas le faire paraître trop vite. Elle n'était pas du genre à faire attention aux nombres d'hommes qu'elle ramenait en un laps de temps.
Tout comme ce matin en courant pour prendre son bus, Blanche avait la fâcheuse manie d'oublier que pour vivre, il faut respirer. Ce sentiment de vécu, elle ne l'avait que quand elle était accompagnée du sexe opposé dans son lit. Ce sentiment de proximité, de partage et surtout de vulnérabilité, c'est ce qu'il lui rappelait tous les jours qu'elle était en vie. Le reste du temps, elle avait l'impression de voir sa vie, une personne lui ressemblant, ayant le même prénom, essayant de vivre une vie plus ou moins correcte d'après les mœurs de la société. Observatrice c'est ce qu'elle était 80% de son temps. C'est à peine si elle avait le contrôle sur la plupart des choses qui lui arrivait.

 
Son boulot, c'était son frère qui le lui avait trouvé. En effet, Blanche a enchaîné les années d'études sans trouver de voie. Au bout de 7 ans à l'université, trois facultés différentes et cela sans décrocher un seul diplôme, sa famille prit la décision que cela fut  assez. Il fallait que Blanche décroche et bascule dans le vrai monde des adultes, celui du vrai 38 heures semaines et sûrement, du burn-out.
Blanche, malgré son travail dans l'édition, n'aimait pas forcément les livres. Son esprit était beaucoup trop rempli d'idées que pour pouvoir partager les siennes avec celui d'un écrivain.
C'est pour cela qu'elle prit la décision d'écrire tous les jours, écrire c'est aussi trier le bordel que la vie a décidé de créer dans nos têtes. Écrire c'est y laisser sa trace quand la vie nous pousse à la perdre. Écrire c'est pouvoir revenir sur tous nos moments du passé et se dire qu'au final, on a vécu pire. Mais écrire c'est également se donner un genre, un semblant de raison et de crédit à une vie qui n'a ni été demandée ni vraiment appréciée. Alors était-elle vraiment nécessaire d'être écrite ? Blanche se le demandait tous les soirs,ce qui mît fin à son moment d'écriture, elle referma son carnet.

 
Le téléphone sonna.
En grand sur l'écran était écrit « Maman ».
« Et merde, j'ai oublié de l'appeler »
« Allô, Blanche? Es-tu bien rentrée? »
Mise en haut parleur, sa mère se mit à lui raconter sa journée et ses interactions futiles avec ses amies du quartier qui, selon Blanche, l'étaient également.  Elle finit enfin par lui demander comment a été sa première journée à son nouveau travail. Blanche marmonna un semblant de oui sachant très bien que sa mère lui demandait par politesse mais se remettrait à parler de sa journée aussi tôt la réponse de Blanche terminée. Et c'est ce qu'elle fit.
« N'oublie pas que ta cousine t'a invité à son essayage de robe de mariée le week-end prochain. Samedi à 10h, tache d'être à l'heure s'il te plaît. » Sur ces derniers mots, Jada raccrocha.

Jada, c'était sa mère. Libanaise de 45 ans, elle a vécu une grande partie de sa jeunesse à Beyrouth, la capitale de son pays natal avant de rencontrer le futur père de ses 3 enfants : Majid, Blanche et Maya. Jeune, elle travailla dans l'entreprise textile de son père et c'est lors d'un voyage d'affaires où elle l'accompagna, qu'elle rencontra Alexandre, le fils d'un commercial et qui deviendra son mari quelques années après.

Blanche se coucha sur le dos, les deux bras croisés derrière sa tête et se mit à chantonner tout en contemplant  son petit studio de 35 mètres carré dans le 11 ème arrondissement de Paris. Il n'était pas très grand, peu lumineux mais c'était son premier chez-soi et ça, personne ne pouvait le lui critiquer. Elle était fière des peintures accrochées au mur, des oeuvres personnelles qu'elle a réalisé lorsqu'elle habitait encore chez ses parents, c'est à dire, il y a quelques mois. Deux plantes beaucoup trop longues pendaient de ses placards, il était temps d'en faire des boutures mais Blanche avait la fâcheuse manie de tout remettre au lendemain, ce qui agaçait ses parents lorsqu'elle était encore sous leur toit. Maintenant qu'elle vit seule, plus aucune règles et pourtant, il était temps qu'elle s'en impose avant que le petit appartement du 6ème étage sans ascenseur devienne une jungle.

Elle passa sa main sur son ventre et se rendit compte qu'elle n'avait rien avalé de la journée à force de courir partout pour subvenir aux besoins de son équipe au boulot.  Elle se leva, enfila ses chaussons et se mit à la recherche de quelque chose à grignoter dans ses placards. Elle n'avait aucune envie de cuisiner après une journée pareille. Cependant, elle prit quand même la peine de se faire un thé et alluma la télévision , histoire d'avoir un bruit en fond, mais ne s'attarda pas sur le reportage réalisé par la chaîne. Elle prit sa tasse et son paquet de biscuit, s'assit sur le canapé et se remit à relire son carnet dans lequel elle avait écrit sa journée et ,surtout, sa rencontre avec James.

Dans ses écrits, elle l'avait fait passé pour le rayon de soleil de sa journée. Pourtant, il n'était rien de tout ça et il lui faisait plus peur qu'autre chose. Rien de plus effrayant qu'un évènement qui ne suit pas le rythme des autres de la journée. Ces minutes dans l'ascenseur étaient intemporels alors que celles passées dans son bureau étaient bien définies par la lourdeur des secondes qui défilaient sur l'horloge. Au final, c'était peut-être bien un rayon de soleil mais à chaque lueur resplendissante venait une fin illustrée par un coucher de soleil qui traduisait la fin d'un chapitre, de sa journée et peut-être pour certains, d'une vie. James n'avait pas l'air fort méchant mais il allait s'éteindre, une fois son voile de jeune ténébreux lui proposant un ride retour  tombé. "Il est temps que notre soleil se couche." Ecrit Blanche dans son livre en riant.

Elle le connaissait à peine, ne lui avait proposé qu'un retour en voiture et la voilà déjà entrain de rompre dans son carnet.

Demain, le voile tombera et le soleil avec.

Passer le capOù les histoires vivent. Découvrez maintenant