XIX. Anormalité monotone

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Benzène, fréon, souffre et tétrachlorure de carbone. Une fois accumulés dans notre corps sans aucun moyen d'évacuation, les organes subissent une pression telle que les yeux sortent de leurs orbites et d'autres se liquéfient simplement. Le corps est en décomposition. Mais rien ne devrait réellement poser problème puisque absente de ce monde, la personne décédée ne trouverait aucun inconvénient à ce que des parties de son corps se fassent consommer par les insectes.

Il n'y a rien de pire que d'être conscient de sa condition lorsque la personne est encore vivante, lucide sur les troubles de notre fonctionnement cognitif et pourtant ne rien pouvoir y faire. Que se passe-t'il lorsque, malgré notre esprit au courant de la dépression qui l'habite, nous laissons les jours se confondre les uns après les autres?

On pourrit.

On se décompose.

Et cela, vivant, conscient de notre énergie drainée chaque jour.

Douleurs à la poitrine, lèvres mordues à sang, poings serrés,larmes versées sous la douche, meurtre mental, Blanche les expérimentait en boucle sans pour autant avoir la motivation que cela cesse. Lorsque la pluie s'abat sur la ville depuis notre naissance, avons-nous toujours conscience de la pression des gouttes de pluie sur notre peau? Cette descente de gouttes d'eau continue est-elle perçue comme des précipitations liées au cycle de l'eau? La confondons-nous avec la normalité? Est-il attendu de se retrouver trempé de la tête au pieds tous les jours sans aucun rayon de soleil apparent? Comment différencier une anomalie répétée de la normalité?

Assise sur le parquet de son appartement, une bouteille de rouge à la main, Blanche repassait les événements de la journée en boucle, comme à son habitude. Dérouler en continu, en retirer l'essentiel, le tisser, l'habiller.

« Je t'ai dit, va te reposer. »

Que pouvait-il lui rester si même le physique ne fonctionnait plus? S'était-elle tellement vidée de tout sens que cela en avait déteint sur son aspect extérieur? Était-elle devenue aussi pourrie à l'extérieure qu'à l'intérieure?

Une fois la bouteille de vin rouge vidée, Blanche en ouvrit une seconde la minute même. Elle n'était pas réellement certaine des limites de ces actions cette après-midi là,rester seule et risquer de finir par détruire son enveloppe extérieure? Sortir pour éviter tout accident et opter pour la destruction interne?

Boire à quatorze heures dans les cafés de Paris sans passer pour une alcoolique n'était pas une mince affaire. Il était beaucoup trop tôt pour les plans qu'elle s'était mise en tête.

Elle ne pouvait pas rappeler Angelo, la discussion entre eux n'aurait pas été si différente de celle de la veille. De plus, Blanche n'avait pas réellement envie de partager quoique ce soit, si ce n'est son corps, une bouteille ou un joint. Sonia travaille et Horace devait sûrement être occupé. Elle n'avait pas Matthias en ami mais savait qu'elle pouvait le trouver dans la liste d'amis de Sonia. Elle tapa rapidement le nom du colocataire dans la barre de recherche et lui envoya un message dans la seconde, ne lui laissant guère le temps d'hésiter, l'alcool forcément d'une très grande aide là-dedans.

«  Yo Matthias! C'est Blanche, l'amie de Sonia. Tu fais quelque chose cette aprem? »

Blanche croisa ses jambes et prit son téléphone de ses deux mains avant de se le taper contre son front de honte. Il n'y avait aucune raison pour que Matthias lui réponde par la positive. Il n'y avait aucune bonne raison pour qu'il lui réponde tout court.

Le téléphone vibra, une notification.

« Salut! Non je ne fais pas grand chose, pourquoi? »

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