Je refuse de laisser Ros allumer une cigarette, même quand nous sommes très éloignés de l'endroit de l'accident. En vérité, la plus petite bouffée de fumée me rappelle des souvenirs atroces du mac de la pute à crack et de ses tortures. À l'instant présent, je n'en ai réellement pas besoin.
- À partir d'aujourd'hui, vous cessez officiellement de fumer, dis-je d'un ton ferme.
- Ah oui, et qui a dit ça ? Rétorque Ros.
- Votre employeur. Je vous signale que vous êtes la seule exception de tout GEH à ma règle de n'employer que des non-fumeurs. Il est vrai que vous êtes la première personne à avoir travaillé avec moi. Si je me rappelle bien, vous m'aviez déjà promis d'abandonner à l'époque, il y a près de... sept ans de ça. J'ai été bien trop complaisant. Voyons, faites un effort, ne serait-ce que pour la santé de Gwen si la vôtre ne vous intéresse pas. Vous savez t qu'elle s'inquiète à votre sujet. Je vous trouve très égoïste.
- D'accord, d'accord, j'abandonnerai demain. Au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, Mr Grey, je viens de vivre une expérience traumatisante. J'ai vraiment besoin d'une cigarette.
- Non, absolument pas. Économisez votre souffle pour marcher. Si vous vous passez de vos cigarettes quelques heures, vous réaliserez que ce n'est pas si difficile que ça.
Je récupère son sac et j'en sors le paquet de cigarettes... que je broie dans mon poing. - C'est pour vous rendre service, dis-je à Ros.
Elle en reste sans voix, mais ça ne dure pas longtemps.
- Grey ! Hurle-t-elle déchaînée. Allez vous faire foutre ! C'est de l'abus de pouvoir !
Sur ce, elle file tout droit en tapant des pieds. Je la suis, avec un sourire narquois. Ce silence me convient parfaitement. Bien entendu, ça ne dure pas. Pour une raison qui m'échappe, Ros Bailey considère qu'une petite balade en pleine nature, seuls tous les deux, l'autorise à m'interroger sur ma vie privée.
- Mr Grey, j'ai entendu parler de votre compagne, Anastasia... Steele - c'est ça ?
Je suis absolument enragé.
- Comment avez-vous entendu parler d'elle ? Qui s'est permis de répandre des ragots ?
J'évoque brièvement Andrea - avant de repousser cette idée. Ce n'est pas son genre. Elle n'a jamais ouvert la bouche sur ce qu'elle savait de moi ou de mon emploi du temps.
Ros éclate de rire.
- Mr Grey ! S'écrie-t-elle, quand elle reprend son souffle, je vous signale que votre photo est parue dans les journaux et qu'Olivia a commis l'erreur de confirmer à la presse la présence de Miss Steele à un gala - que vous avez, comme par hasard, annulé par la suite. Et puis, franchement, on ne peut pas dire que vous soyez vous-même ce dernier temps. Ce voyage en Géorgie, vos sautes d'humeur, la façon dont vous rentrez chez vous dorénavant à 18 heures... (Tout à coup, Ros se renfrogne.) Tout le monde en parle plus ou moins à GEH - sauf Andrea ; j'imagine que c'est parce qu'elle est au courant.
Non, plutôt parce qu'elle sait que je la ficherais à la porte si elle prononce un mot qui me déplaît.
- Bon Dieu ! Les gens n'ont-ils rien d'autre à faire que papoter à mon sujet ? D'accord, j'ai une compagne, je ne vois pas où est le problème ! (Je me passe une main exaspérée dans les cheveux.) À ce qu'il me semble, c'est arrivé à d'autres.
Ros éclate encore une fois de rire. Bon, d'accord... je pense qu'elle a été plus secouée que prévu par notre atterrissage forcé. Je la regarde d'un œil inquiet.
- C'est arrivé à d'autres, bien sûr, mais les circonstances sont un peu différentes. D'abord, vous avez l'étiquette du « célibataire le plus riche de Seattle ». La plupart des femmes - et quelques hommes, à mon avis - vous considèrent comme du sexe sur pattes. Évidemment, vous aviez aussi l'étiquette d'être gay et, tout à coup, on réalise que c'était faux. Il y a de quoi alimenter les potins. Vous devriez faire un roman de votre vie, je suis certaine que ça se vendrait.
Je grince des dents.
- Ros, occupez-vous de vos oignons, sinon, je vous abandonne en pleine nature et le premier ours venu fera de vous son casse-croûte.
J'ai beau la regarder de mon regard le plus féroce, elle n'est pas impressionnée. Ros est une des rares personnes de Grey House qui me parle comme si j'étais un être humain normal, et pas un Alien assis par hasard sur le fauteuil du P-DG.
- Ça doit être sérieux, Mr Grey, si vous réagissez de cette façon. (Elle marque une courte pause, puis m'adresse à un immense sourire.) Gwen va être enchantée. C'est une vraie romantique, elle a toujours souhaité que vous trouviez quelqu'un pour partager votre vie. Une femme qui plus est.
- Je n'ai jamais été gay !
Je parle d'un ton plus violent que je ne l'aurais souhaité, mais cette étiquette m'a été collée depuis si longtemps que c'est agréable, pour une fois, de pouvoir la réfuter. Je n'aurais eu aucun problème à l'admettre si je l'avais été... et merde, je ne vois pas en quoi mes préférences sexuelles devraient paraître sur Google !
- J'ai toujours su que vous ne l'étiez pas, répond calmement Ros. Vous avez beau le cacher bien mieux que la plupart des hommes, mais vous regardez toujours les seins d'une femme avant son visage. Je vous ai vu également vous enflammer devant un joli petit cul.
Là, je suis franchement choqué. Jamais Ros ne s'est permis de commentaires aussi crus - ou aussi personnels. Jamais non plus je n'aurais imaginé qu'elle puisse si bien me déchiffrer. Je prends mon visage le plus impassible, je n'ai pas l'intention de lui donner la satisfaction de savoir que son commentaire m'a touché.
- Prétendriez-vous être une spécialiste du langage corporel, Ms Bailey ? Dis-je, glacial. Quand vous vous retrouverez sur le marché du travail, peut-être pourrez-vous utiliser vos dons pour une nouvelle carrière.
- Ce que je n'ai jamais compris, continue Ros comme si je n'avais pas parlé, c'est pourquoi on ne vous voyait jamais accompagné. C'est rare chez un mec qui n'a pas trente ans, avec un corps et un visage comme les vôtres... (Elle ricane.) Et puis, il y a aussi cette... violente énergie qu'on sent vibrer en vous. J'ai toujours cru que vous aviez une call-girl discrète, planquée quelque part, et que vous la rencontriez de temps à autre. Je me disais que Taylor la connaissait, mais bien entendu, il n'en a jamais dit un mot. Dans le genre porte de prison, il est très efficace, je vous assure.
- Je suis tout à fait conscient des qualités de Taylor.
- Alors ? J'ai raison ou pas ?
- Sans commentaire. Ça ne vous regarde pas.
- Je me demande comment elle a pris la nouvelle de...
- Ça suffit, Ros !
Ses paroles m'évoquent le souvenir de Leila. Et puis, je considère que Ros s'approche beaucoup trop de la vérité. Elle hoche la tête, comprenant que ma vie privée doit rester... privée ; elle se tait. À son sourire, elle sait avoir touché un nerf - mais elle n'en dira pas plus. Ros est très discrète, à sa manière, j'en suis conscient : elle gardera pour elle ce qu'elle croit avoir compris.
- Vous savez, Mr Grey, reprend-elle, je n'ai que Gwen dans ma vie. Ma mère ne m'a jamais pardonné de ne pas être la fille qu'elle espérait. Quant à mon père, je le dégoûte. Et ils m'ont jetée dehors dès que mes particularités sont devenues flagrantes. Il est très difficile parfois de vivre en étant différent.
Oh, ça, je le sais. Je sais aussi combien il est dur de décevoir ses parents. À mon avis, je pourrais écrire un bouquin sur le sujet. J'évoque soudain ma famille, qui a accepté avec enthousiasme l'arrivée d'Ana à mon bras. J'aurais été extrêmement blessé que ce ne soit pas le cas.
Tout à coup, avec étonnement, je réalise être impatient de revoir toute ma famille, demain, pour mon anniversaire.
***
Quatre heures plus tard, nous atteignons la grand-route. J'aurais pu faire le trajet deux fois plus vite, mais Ros a vraiment eu du mal. Elle a fini par devoir enlever ses hauts talons, tout en refusant de les abandonner dans un ravin, comme je le lui conseillais. Je vais insister, à partir de maintenant, pour qu'elle fasse davantage d'exercice. Elle n'est pas assez endurante, ses performances sur le terrain ont été lamentables. Il faut qu'elle soit plus attentive à sa santé. Je sais que Gwen me soutiendra sur ce point.
Faire du stop sur l'autoroute n'est pas aussi simple qu'on le croirait dans un film. La plupart des camions et des voitures nous passent devant, sans s'arrêter, en nous aspergeant d'une volée de gravillons. Il nous faut patienter vingt bonnes minutes pour qu'un vieux camion déglingué, avec une inscription fanée indiquant « McAlester Trucking » ralentisse enfin - il s'arrête dans un grincement de freins quelques mètres plus loin.
Quand nous nous approchons, le chauffeur descend la vitre et nous demande :
- Vous avez un problème ?
- Nous aimerions rejoindre Seattle le plus vite possible, répond Ros avec un grand sourire.
J'examine le camion d'un air sceptique, mais je n'ai pas trop le choix. Nos deux téléphones ont rendu l'âme en chemin et, apparemment, personne d'autre ne s'arrêtera pour nous.
- Montez, montez, je vais vers Seattle. Je vous emmènerai aussi loin que possible.
- Ne dites rien, laissez-moi parler, dis-je à Ros avant de me hisser sur la banquette.
Elle lève les sourcils et me jette un curieux regard, mais je présume qu'elle est épuisée, aussi elle ne se donne pas la peine de discuter.
Je m'assois entre le chauffeur et Ros - au cas où ce serait un tordu. Au fond, je comprends que les gens ne se soient pas arrêtés pour nous prendre. Qui s'aviserait de mettre dans sa voiture deux étrangers en nage, couverts de poussière, sans le moindre bagage à la main ? Je surveille le routier : la cinquantaine, il est un peu obèse, mal rasé ; il porte un jean et une chemise écossaise, avec une casquette de base-ball sur la tête. Quand je regarde autour de moi dans l'habitacle de son camion, je vois les photos d'une femme. La sienne, probablement. De plus, j'ai un don pour discerner la véritable nature des êtres que je rencontre, et je ne reçois de lui aucune vibration douteuse.
- Vous n'auriez pas une cigarette par hasard ? Demande Ros.
Je lui jette un regard noir, qu'elle ignore avec ostentation.
- Je suis désolé, madame, je ne fume pas, répond le mec.
J'adresse à Ros à un grand sourire victorieux. Elle me tire la langue. Franchement puéril de sa part, je n'arrive pas à comprendre ce qui lui prend aujourd'hui.
Elle a failli mourir, Grey, elle a marché pendant quatre heures - dont deux avec tes chaussures. Elle a des circonstances atténuantes.
J'en conviens.
- Je suis Dan McAlester de McAlester Trucking, dit le mec, en agitant fièrement la main vers l'avant de son camion où est inscrit son nom.
- Moi, c'est Christian Trevelyan, dis-je. Et voici ma collaboratrice, Ros Bailey.
Je cherche à attacher nos ceintures de sécurité récalcitrantes, ce qui amuse beaucoup Dan tandis qu'il redémarre. Je préfère ne pas dévoiler nos identités. Aussi bien Taylor que Welch insistent lourdement pour que, en cas d'urgence, je ne dévoile jamais mon vrai nom. Pas besoin de risquer un enlèvement avec demande de rançon.
- Enchanté de faire votre connaissance. Comment vous êtes-vous retrouvés sur la route ? Vous ne ressemblez pas exactement aux jeunes qui font du trekking dans le coin, sans vouloir vous vexer.
Il jette un coup d'œil sur mon costume, poussiéreux certes, mais parfaitement coupé. Quant à Ros, elle tient ses Manolo Blahnik à la main. En même temps, elle enlève les chaussures que je lui ai prêtées avec un soupir de soulagement.
J'imagine qu'elle ne va pas tarder à inspecter le nombre de ses ampoules.
- Nous avons eu un accident au milieu de nulle part et nous avons marché au hasard. Nos deux téléphones portables n'ont plus de batterie. Pourriez-vous nous prêter le vôtre pour passer un appel ? Bien sûr, nous vous rembourserons ; nous vous paierons également le plein de votre camion si vous nous emmenez jusqu'à Seattle.
Dan McAlester aboie de rire. Comme je suis relativement proche de lui, je remarque qu'il a une maladie parodontale avancée. Il lui manque de nombreuses dents.
- Je n'ai pas de portable, mon garçon. Ces dernières années, la vie a été un peu difficile. Le gasoil coûte de plus en plus cher, et puis il y a la récession, les factures qui s'accumulent. Je ne vois pas l'intérêt de perdre mes dollars difficilement gagnés pour un appareil qui ne fonctionnerait pas la moitié du temps dans cette région. Quand je suis sur la route, je ne veux pas qu'on me sonne ; je veux simplement échapper un moment à tous mes ennuis, si vous voyez ce que je veux dire.
Je réfléchis tout à coup à ma vie, mon BlackBerry ne cesse jamais de sonner, même quand je suis avec Anastasia. Oui, je vois très bien ce que veut dire le vieux routier.
- Très bien, je vous comprends, dis-je. Accepteriez-vous cependant de nous emmener jusqu'à Seattle ? J'ai vraiment besoin de rentrer en urgence et, comme je vous l'ai dit, nous avons de quoi vous payer.
Le soir est déjà tombé, aussi je m'inquiète de ce qui peut se passer dans mon appartement... où Ana est seule avec José Rodriguez. Si la fille de Taylor a été opérée, il n'est certainement pas rentré. Je suis certain qu'il voudra rester avec elle jusqu'à ce qu'elle aille mieux.
- Gardez votre argent, mon garçon. Où va le monde si on ne peut rendre un service sans espérer de l'argent en retour ? Ne vous inquiétez pas, ça ne me fera pas un gros détour, je vais vous déposer en ville.
Avec un grand sourire, il me tapote le genou. Très amusée, Ros ricane et lève les soucis d'un air suggestif. Je lui fais les gros yeux, désignant du menton la femme sur les photos. McAlester n'est pas gay, bon Dieu, son geste est simplement... euh, amical, j'imagine. Sauf que je n'arrive pas à me souvenir quelqu'un m'ayant jamais touché le genou comme ça.
Ros se penche pour s'adresser au chauffeur.
- C'est vraiment très aimable de votre part, Mr McAlester. Pourriez-vous vous arrêter en chemin afin que je passe un coup de fil à ma copine ?
Et acheter des cigarettes, j'imagine. Je fronce des sourcils à cette idée. Manifestement, Ros n'a pas pris au sérieux mon conseil - ou mon ordre - d'arrêter de fumer. Je la regarde d'un œil féroce. Je ne veux pas perdre de temps, merde, je veux rentrer à Seattle le plus vite possible. C'est d'ailleurs pourquoi j'ai choisi de partir avec Charlie Tango et non pas en voiture. Je ne voulais pas me retrouver coincé dans la circulation, afin de ne pas être en retard.
L'ironie de la situation me fait presque sourire.
- Appelez-moi Dan, ma petite dame, sinon j'ai l'impression que vous êtes mon banquier - et bon sang, je déteste vraiment parler à mon banquier. Vous savez, nous ne pourrons pas nous arrêter avant d'arriver à Seattle. Tout est fermé à cette heure-là. Je suis désolé, surtout si votre copine s'inquiète pour vous.
- Gwen pensera probablement que nous avons été retardés par notre travail, dit Ros fataliste, en haussant les épaules. Et puis, elle sait que j'oublie souvent de recharger mon téléphone portable. À partir du moment où nous rentrons à temps pour dîner, elle ne s'inquiétera pas trop.
- Très bien, dans ce cas c'est réglé, déclare Dan. À propos de diner... (Il tend la main derrière lui et ramène un sac en plastique.) J'imagine que vous n'avez pas pu casser la croûte. Si vous nous avez marché longtemps, vous devez avoir la dalle. Regardez là-dedans, il y a des sandwiches.
Mon estomac émet un gargouillement terrible, ce qui fait rire les deux autres.
- Servez-vous, servez-vous, dit le routier. Ma femme m'en fait toujours trop. C'est pour ça que j'ai le même tour de taille que Homer Simpson.
Je ne peux m'empêcher de sourire. Effectivement, Dan ressemble à Homer - en moins râleur.
Me rappelant mes bonnes manières, j'essaie de protester que nous ne pouvons abuser de sa bonté, mais il insiste, prétendant même qu'il serait vexé de nous voir refuser ce qu'il nous propose.
- J'ai de l'eau, aussi. Pas de bière, bien sûr, parce que je conduis.
Il y a dans le sac des sandwiches au beurre de cacahouète avec de la gelée de myrtille, des fruits et des barres chocolatées. Rien de sophistiqué, mais c'est nourrissant. Ros et moi ne faisons pas la fine bouche. En fait, quand on a véritablement faim, un bon sandwich peut paraître le plus délicieux des repas.
D'après l'air extasié que prend Ros en mordant dans son sandwich, je suis certain qu'elle partage mon avis.
- Je tiens à vous rembourser ces sandwiches, Dan, dis-je, très reconnaissant.
- Non, mon garçon, gardez votre argent. Je ne suis pas à un dollar près. (Il secoue la tête.) D'un autre côté, c'est sans doute pour ça que je suis dans un tel merdier.
- Que voulez-vous dire ? Dis-je, soudain intéressé.
- Rien, excusez-moi, je ne veux pas vous saouler avec mes ennuis.
- Ça ne me saoule pas. Au contraire, c'est mon travail de régler les problèmes financiers. Et puis, ça nous fera passer le temps.
Réfléchir à la meilleure façon d'aider ce brave homme m'aidera à oublier ce que fabriquent Anastasia et son photographe. Surtout que, pour le moment, je ne peux rien faire pour y remédier.
- Oui, allez-y Dan, insiste Ros. Christian est très doué avec les chiffres, je vous assure.
- Oh ? S'étonne-t-il. Il travaille pour vous ?
Je manque m'étouffer avec mon sandwich
- Quelque chose comme ça, répond Ros avec un sourire béat. (Elle me tend la bouteille d'eau.) C'est passé du mauvais côté ?
Il s'avère que Dan est un self-made-man, qui ne possède que son camion. Il conduit et transporte des marchandises d'un point à l'autre dans tout le pays. C'est ce qu'il a toujours fait. Il adore son camion, son meilleur ami selon lui. Du moins, après sa femme, Betty - à l'entendre, elle est la huitième merveille du monde. Malheureusement, tout comme lui, son camion prend de l'âge et devient de plus en plus goulu en gasoil ; il n'a pas la capacité et les spécificités techniques des véhicules modernes. Aussi, Dan a cru bon d'aller voir son banquier, afin d'obtenir un prêt pour acheter un camion neuf.
- Ça me paraît être un investissement sensé, dis-je.
- Oui, mais question paperasserie, je ne suis pas au top. Ma comptabilité est un véritable merdier, j'oublie mes factures ou bien je les paye deux fois. Je n'ai pas l'argent nécessaire pour charger un comptable de régler ma trésorerie. Alors, quand la banque m'a demandé un bilan prévisionnel sur cinq ans et un budget des trois prochaines années avant de m'accorder mon prêt, j'ai réalisé que je n'avais aucune chance de l'obtenir. Et c'est vraiment dommage, parce que ça m'empêche d'accepter des contrats intéressants et de remonter la pente.
- Les banquiers ont besoin de documents pour s'assurer où va leur argent, dis-je, en guise d'explication.
- Oui, ce n'est pas un comme au bon vieux temps, grommelle Dan. Mon banquier à vingt ans de moins que moi et il s'imagine tout connaître.
- Auriez-vous envisagé une association, un partenaire pourrait investir dans votre société ?
- Je n'aime pas trop l'idée d'avoir un partenaire, je suis trop indépendant. De plus, qui pourrait être assez fou pour avoir confiance en moi actuellement ? Et puis, j'ai vu cette émission à la télévision, qui proposait des crédits revolving...
Je jette un coup d'œil à Ros, aussi horrifiée que moi.
- Dites-moi que vous n'avez pas fait ça ? Dis-je, effondré.
Les intérêts de ce genre de prêt sont si lourds que les gens se retrouvent surendettés sans même le réaliser, ils payent des intérêts sur les intérêts...
- Non, j'ai déjà commis cette erreur il y a quelques années. Mais j'ai besoin d'argent, Betty est malade et je n'ai pas de mutuelle. (Il secoue la tête.) Je ferais n'importe quoi pour elle.
- De quoi souffre votre femme ? Demande doucement Ros.
- D'arthrose. Elle a besoin d'une prothèse de la hanche. En attendant, elle est obligée de prendre des médicaments. Ça me tue de la voir souffrir.
J'imagine ce que j'éprouverai en voyant Ana dans un tel état, sans rien pouvoir faire pour l'aider. Ros a le front plissé, je sais qu'elle pense la même chose au sujet de Gwen.
- Et vous savez le plus beau ! S'exclame Dan avec un sourire. C'est que jamais Betty ne se plaint. C'est moi qui râle, c'est moi qui regrette de ne pas pouvoir en faire davantage. Elle ne cesse de me dire que nous sommes heureux et que beaucoup de gens sur terre n'ont pas notre chance.
- Elle me semble être une femme remarquable, dit Ros. Vous avez des enfants ?
Il y a soudain un grand silence dans l'habitacle. J'en ai un frémissement d'anticipation. Je sais que je ne vais pas aimer ce qui va suivre.
- Nous avions un fils, dit enfin Dan d'une voix éteinte. Il était soldat. Il a été tué en Afghanistan.
- Je suis désolé.
C'est tout ce que je peux dire. Qu'y a-t-il d'autre à offrir que des condoléances devant une telle douleur ?
- Ma femme et moi savons avoir été bénis avec notre fils. Il aurait eu vingt-huit ans demain - samedi.
Ros me regarde. Demain, c'est également mon anniversaire. J'aurai également vingt-huit ans. Ni elle ni moi n'en parlons ; Dan reste muet, les yeux fixés sur la route, plongé dans le souvenir de son fils. Et nous respectons son silence, son deuil, sa calme acceptation des épouvantables réalités de l'existence.
Peu après, Ros s'endort, la tête appuyée contre la portière. Quant à moi, je réfléchis, tout le reste du trajet jusqu'à Seattle.
Les gens s'imaginent que, pour être heureux, il suffit d'avoir l'argent et la santé. Quelque part, c'est sans doute vrai : ça rend la vie bien plus agréable et facile. L'argent vous aide aussi en cas de maladie. J'ai envie de retrouver mon Anastasia, de m'assurer que tout va bien, de la serrer dans mes bras et de remercier ma bonne étoile.
Je veux qu'elle accepte de m'épouser, je ferais n'importe quoi pour ça.
Mais je sais déjà que, à peine arrivé dans mon bureau, lundi matin, je demanderai à mon chef comptable de vérifier les affaires de McAlester Trucking. Dan aura bientôt son nouveau camion et des implants dentaires ; sa femme, une nouvelle prothèse...
Après tout, je viens de manger le meilleur sandwich au beurre de cacahouète de ma vie.
Sa femme a probablement choisi le smoothy46 plutôt que le crunchy parce que McAlester n'a pas de dents, Grey.
***
Nous déposons d'abord Ros à son appartement, à quelques rues à peine de l'Escala. Avant de descendre, elle se tourne vers moi :
- Je vais prévenir Andrea de notre retour. Ce serait bien aussi que Sam - des relations publiques - gère le plus vite possible la conférence de presse concernant l'accident d'hélicoptère.
- Très bien, dis-je, je vous laisse vous en charger.
- Christian ? Dit-elle encore, en me regardant droit dans les yeux. Merci de nous avoir sauvés aujourd'hui. Vous êtes un sacré pilote.
Elle me serre la main et me rend mes chaussures. Je les regarde, en réalisant que je ne peux pas les remettre. Mes chaussettes sont couvertes de terre, de boue, et pleines de trous.
Dan me conduit ensuite jusqu'à l'Escala. Une fois encore, il refuse d'accepter de l'argent pour son aide.
- C'était agréable d'avoir de la compagnie, mon garçon. C'est pourquoi je ramasse souvent des auto-stoppeurs, on trouve des gens tout à fait différents, il y a toujours une expérience à partager. Christian, vous m'avez laissé bavarder tout le long du trajet, mais vous ne m'avez pas dit ce que vous faites dans la vie.
- Mon boulot, c'est de gérer les bilans, les comptes, les budgets et les prévisions.
- On le prétend, dis-je avec un sourire. Je vais vous donner ma carte, afin que...
- Non, ne vous préoccupez pas de moi, mon garçon. Vous étiez pressé de rentrer. Je suis sûr que votre femme vous attend avec impatience et qu'elle s'inquiète à chaque minute que vous perdez.
Sur ce, Dan m'adresse un clin d'œil et remonte sa vitre, en agitant la main.
Anastasia. Quelques heures plus tôt, j'ai vraiment cru que je ne la reverrais jamais. Il est près de minuit déjà. J'espère qu'elle n'est pas furieuse contre moi pour ne pas l'avoir prévenue. Je vais lui expliquer les circonstances de mon retard, je suis sûr qu'elle comprendra.
Il y a plusieurs journalistes agglutinés devant l'entrée de l'Escala. Au début, vu mon aspect dépenaillé, ils ne s'occupent pas de moi, mais quand je m'approche, l'un d'eux me reconnaît.
- Mr Grey ! Je suis John Battle du Seattle Times. Comment avez-vous réussi à vous en sortir ? Que s'est-il passé ? Votre hélicoptère a-t-il eu une défaillance technique ? Où étiez-vous ? Comment êtes-vous rentré à Seattle ?
Ils crient tous en même temps et plusieurs flashs m'éblouissent, mais je les ignore, le visage fermé, tout continuant à avancer en direction de la porte d'entrée. Frank, le gardien de nuit les empêche de pénétrer dans le hall de l'immeuble.
- Je suis heureux de vous voir rentrer sain et sauf, monsieur, dit-il avec un sourire.
Dans l'ascenseur, je m'appuie contre la paroi, sonné par tout ce qui s'est passé. J'enlève mes chaussettes, puis ma veste...
Je rêve déjà d'une douche brûlante en compagnie d'Anastasia.
Mais, quand je pénètre dans mon appartement et dans mon salon, je reste absolument sidéré par le spectacle qui m'attend. Toute la famille est ici, y compris Elliot et Kate. À ma vue, ma mère pousse un hurlement et se jette sur moi - alors que je me suis figé, mes chaussettes croupies, mes chaussures, et ma veste à la main. Elle me heurte avec la force d'un linebacker. Je réussis à la retenir, en lâchant tout ce que je tiens.
- Christian !
- Maman ?
- J'ai cru de ne plus jamais te revoir ! Crie-t-elle, jetant les bras autour de mon cou.
Merde, je n'ai pas pensé qu'ils apprendraient mon accident d'hélicoptère. Sur le coup, j'ai eu très peur, bien sûr, mais ensuite, c'est devenu un simple incident de parcours - comme si ma voiture avait pété un joint de culasse.
Je ne me souviens pas avoir vu ma mère me serrer dans ses bras comme ça ; en général, elle garde ses distances, connaissant ma phobie d'être touché. À sa réaction, je devine qu'elle s'est beaucoup inquiétée pour moi, qu'elle a eu peur, et qu'elle en oublie les règles imposées. Par chance, aujourd'hui, je suis capable de le supporter sans difficulté.
Ma mère est solide et composée, aussi la voir dans cet état est déstabilisant. Elle se met à sangloter contre mon épaule, à mon grand désarroi. Ne sachant que faire, je réagis d'instinct, en la serrant contre moi, la câlinant pour la rassurer ; elle me paraît fragile et vulnérable. Elle me croyait mort ? Elle s'est rendue malade à cause de moi ? J'aurais préféré qu'elle n'apprenne pas cet accident ; j'aurais préféré que cette épreuve lui soit épargnée. Ça me fait un drôle d'effet, mais c'est agréable d'être capable de réconforter ma mère. Je réalise qu'Anastasia a commencé à me guérir de mon haptophobie. Bien sûr, un contact physique évoquera pour moi toujours d'horribles souvenirs de douleur atroce, mais aujourd'hui, j'ai des associations plus agréables qui me permettent de résister à ma panique.
Tout à coup, mon père arrive en courant avec un hurlement :
- Il est en vie ! (Quand il me voit, il se fige, les yeux écarquillés, et s'exclame :) Merde, tu es là !
Il se jette sur le groupe que maman et moi formons, et nous serre lui aussi très fort. Puis ma sœur, Mia, se joint à notre groupe. Elle me frappe, fort, en m'accusant de l'avoir terrorisée. Je regarde, éberlué, toute ma famille qui crie, rie, et s'exclame à qui mieux mieux.
Quand mon père s'écarte, je le vois s'essuyer les yeux, avant de me frapper d'une bourrade dans le dos. Maman me relâche à son tour. Quand elle veut savoir ce qui s'est passé, je ne réponds pas tout de suite, parce que je cherche Anastasia.
Elle est là... ma douce compagne si merveilleuse. Elle est là, elle va bien. Je vois les larmes lui dégouliner sur les joues et j'imagine qu'elle aussi s'est inquiétée à mon sujet. Elle n'était pas en train de s'amuser ou, pire encore, de se débattre contre une agression de Rodriguez, comme je l'imaginais. Par contre, il est à côté d'elle, lui tenant la main - il la lâche immédiatement devant le regard que je lui jette. Je n'avais aucun souci à me faire : toute ma famille jouait les chaperons.
En vérité, c'est presque comique.
J'écoute à peine les protestations et récriminations qui jaillissent autour de moi : on me reproche de ne pas avoir téléphoné au cours de mon voyage retour afin de prévenir tout le monde que j'allais bien.
Mais comment aurais-je pu me douter qu'ils s'inquiétaient tellement ? Même Elliot me serre contre lui avec une sentimentalité que je lui ai jamais vue. Il s'amollit en prenant de l'âge, c'est évident.
J'en ai assez, je veux tenir Anastasia dans mes bras.
- Je vais maintenant saluer ma copine, dis-je à mes parents.
Ils s'écartent immédiatement ; j'ai à peine le temps de faire quelques pas qu'Ana se relève et se jette sur moi. Enfin, elle est dans mes bras.
Enfin, je suis vraiment à la maison.
- Christian ! S'écrie-t-elle dans un sanglot. - Chut.
Je la tiens serrée, l'embrasse, me penche sur elle ; je suis certain que c'est d'avoir pensé à elle qui m'a aidé à poser cet hélicoptère alors que toutes les chances étaient contre moi. Je relève la tête, la regarde et chuchote :
- Salut, toi.
J'ai le nez enfoui dans ses cheveux odorants. Tout le reste de la pièce a disparu autour de moi. Il n'y a plus que nous deux, qui nous retrouvons. Je sens un grand calme descendre sur moi, maintenant que mon univers a recommencé à tourner autour de son axe. Toute la journée, j'ai eu la sensation qu'une partie de moi était amputée, parce que je ne pouvais contacter ma compagne. J'aurais toujours besoin d'elle au bout du fil ; je veux pouvoir la joindre, où qu'elle soit.
Sans elle, je ne suis rien.
- Je t'ai manqué ? Dis-je, pour alléger l'atmosphère
- Un peu.
Elle renifle ; elle a le nez qui coule ; elle continue à pleurer. Elle est si belle ! J'essuie doucement ses larmes en souriant.
- Je vois ça.
Anastasia cherche à m'expliquer ses craintes, mais elle n'arrive pas à parler. Je la rassure, je lui répète que je suis là, que je suis désolé, que je n'ai pas pensé qu'elle s'inquiéterait autant. Maintenant, je regrette intensément de ne pas avoir pris le temps de m'arrêter pour téléphoner. Mais réellement, je n'ai pas cru que tant de monde se ferait pour moi tant de souci.
Anastasia esquisse le geste de bouger pour aller me chercher quelque chose à boire et à manger... non ! Je resserre mes bras contre elle. Je ne veux pas qu'elle s'en aille.
Je sens que Rodriguez nous surveille - l'air morose. Je me tourne vers lui, et nous nous serrons la main. Je réussis même à paraître poli. En y réfléchissant, je ne peux pas lui en vouloir de désirer Anastasia. Il est évident que le pauvre mec est amoureux d'elle depuis très longtemps - j'ai vu les photos qu'il a prises d'elle. C'est pour ça qu'il est là, après tout : pour livrer ses photos. Et maintenant, il doit endurer notre réunion, il voit la femme qu'il aime pleurer dans les bras d'un autre. Ça doit être atroce pour lui. S'il connaît bien Anastasia, il sait ce qu'elle ressent pour moi. Elle ne sera jamais sienne. Il faut bien qu'il le comprenne.
Jeu, set, et match, gamin. Elle est à moi. Tu es out.
Je remarque tout à coup Mrs Jones, elle s'est approchée et me surveille d'un air inquiet. En principe, elle ne travaille pas le vendredi soir, ce qui explique pourquoi elle porte une tenue aussi décontractée. Elle a les yeux rouges, aurait-elle pleuré ? Je n'arrive pas à croire que toutes ces larmes aient coulé pour moi. Ça me... sidère.
Je lui demande une bière et quelque chose à grignoter. Les sandwiches au beurre de cacahouète ont disparu depuis longtemps. Je suis affamé. Je prends la bouteille quand elle me la ramène, et en sirote une longue gorgée. Mmm... C'est vraiment un nectar digne des dieux.
Malheureusement, ma famille considère que le répit est terminé, aussi l'interrogatoire commence.
Elliot attaque le premier, en appelant Tango Charlie un « coucou ». C'est une vieille plaisanterie entre nous - comme tout pilote qui se respecte, je ne supporte pas ce manque de respect envers mon appareil. Bien entendu, je sais qu'Elliot appelle aussi sa queue son « coucou », ce qui, quelque part, désacralise encore davantage le mot. Je ne vois pas du tout l'humour de la situation, mais mon frère est resté très juvénile par certains côtés.
Alors que je m'apprête à expliquer ce qui s'est passé, Taylor apparait au seuil du salon. Ainsi, il est revenu. J'en suis heureux. Quelque part, je me décontracte plus facilement quand il est là. Je lui demande des nouvelles de sa fille : c'était une fausse alerte, elle n'avait pas d'appendicite. Tant mieux.
Nous échangeons quelques mots au sujet de l'hélicoptère. Il y a eu un problème, je suis certain que Charlie Tango a été saboté et Taylor le détecte immédiatement dans mon regard.
- Maintenant ? Demande-t-il, très calme. Ou ça peut attendre demain matin ?
- Demain matin, je pense, Taylor.
Avec un hochement de tête et un sourire, il s'éloigne. Un sourire ? Taylor ne sourit jamais ! Il existe entre nous une relation plus forte que celle d'un employeur à son employé. C'est presque une amitié... Je l'ai toujours su. Ce soir, c'est évident.
D'un autre côté, Grey, était-ce réellement un sourire ? Taylor ne sourit jamais. Peut-être avait-il simplement des gaz...
Cette fois, je ne peux plus y échapper, aussi je fais un compte rendu rapide de ce qui s'est passé : notre détour pour survoler le volcan ; le feu ; notre atterrissage d'urgence. Mon père insiste immédiatement sur la coïncidence étrange d'un incendie qui se déclenche en même temps sur les deux moteurs - mais je suis trop fatigué pour y penser. De plus, je ne veux pas inquiéter ma mère et ma compagne. À nouveau, on me reproche de ne pas avoir téléphoné... Pour détourner l'attention, j'évoque Dan, ce routier au grand cœur qui nous a pris en stop et qui ne possédait pas de portable. Ça existe encore de nos jours, c'est surprenant.
Anastasia commence à peine à se détendre contre moi. Sans se soucier que je sois poussiéreux, elle frotte son visage contre ma poitrine. Et tout à coup, elle se met à pleurer.
- Hey, dis-je doucement. Arrête de pleurer.
- Alors, arrête de disparaître, rétorque-t-elle en reniflant. Comme d'habitude, elle me fait sourire.
J'apprécie beaucoup que toute ma famille se soit déplacée pour m'accueillir, mais je suis néanmoins soulagé quand ils décident de nous laisser tranquilles, Ana et moi. Maintenant que je suis sain et sauf, ils peuvent rentrer chez eux et prendre un repos bien mérité. Katherine Kavanagh tente bien de s'attarder et de jouer à la journaliste. Je la regarde d'un œil froid. Dieu que cette femme est déplaisante ! Je sais bien que la presse a exagéré l'incident, Andrea et mon service de relations publiques veilleront demain à régler le problème. Pour le moment, ça ne m'intéresse pas du tout.
Maman m'étreint encore avant de partir. Quand je lui affirme aller très bien, elle hoche la tête et adresse un sourire reconnaissant à Anastasia - qui s'empourpre, gênée de tant d'attention.
L'ascenseur part enfin. Sauf que nous ne sommes pas seuls : José Rodriguez est resté avec nous.
Bien sûr, Grey, rappelle-toi qu'il dort chez toi.
Étrangement, alors que j'ai passé toute la journée à me ronger d'inquiétude à son sujet, je ressens brutalement un élan de sympathie pour lui. Il a perdu. Je peux faire un geste. Je peux me montrer magnanime. Aussi, j'annonce à Anastasia que je vais manger, dans la cuisine, ce que Mrs Jones m'a préparé, les laissant seuls tous les deux.
Mon portable étant déchargé, je passe rapidement dans mon bureau pour appeler Welch. Je ne veux pas m'inquiéter tout de suite du crash, il faudra faire une enquête approfondie et le grand jour simplifiera les choses - par contre, je viens de décider de ne pas attendre à lundi pour payer mes dettes.
- Je veux une enquête complète sur un mec nommé Dan McAlester qui dirige une petite compagnie appelée McAlester Trucking. Je veux absolument tout savoir à son sujet, ses bilans, ses dettes, ses problèmes. Je veux également tout savoir sur sa femme, Betty. En particulier le traitement médical qu'il lui faudrait pour son arthrose.
- Très bien, Mr Grey. Vous aurez tout ça demain, promet-il. Et... euh, je suis vraiment heureux de voir que vous vous en êtes sorti sain et sauf. Vous aurez également demain le premier rapport concernant l'accident de votre hélicoptère.
***
Il est plus de minuit aussi, techniquement, c'est mon anniversaire.
Anastasia me permet enfin d'ouvrir mon cadeau. Dieu merci ! Très rapidement, j'arrache le papier et j'ouvre la boîte. C'est un porte-clefs. J'en reste sidéré. Pourquoi m'a-t-elle donné un porte-clefs de Seattle, un clinquant petit colifichet de touriste ? C'est ça que j'ai transporté avec moi durant tout ce temps ? Je ne comprends pas. Je la dévisage, les yeux écarquillés.
- Retourne-le, dit-elle, avec un grand sourire malicieux.
Un mot clignote quand on retourne le porte-clefs. « YES ».
Oui ?
Ainsi, c'est sa réponse. Elle accepte ma proposition de mariage. Voilà ce que signifie son cadeau. Quand je regarde Ana, je réalise que je ne me trompe pas : son regard est illuminé d'amour.
Son sourire me fait tourner la tête.
- Joyeux anniversaire, dit-elle.
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50 nuances de Grey version Christian. Tome 2 Passion
Любовные романыLa rencontre de Christian Grey, richissime homme d’affaires aux goûts extrêmes, avec Anastasia Steele, étudiante désargentée, l’a précipité dans une relation inhabituelle qui a irrémédiablement modifié son mode de vie. Quand Anastasia le q...