Sans l'ombre d'un doute, mon vingt-huitième anniversaire sera le meilleur de ma vie. Bien sûr, ce n'est pas très difficile, vu que je n'ai jamais pris le moindre plaisir jusqu'à ce jour à célébrer la date de ma naissance. Cette année, c'est différent. Grâce à Anastasia. Je suis toujours sur un petit nuage parce qu'elle a accepté de m'épouser. Rien ne peut être meilleur que ce premier cadeau qu'elle m'a donné. Et pourtant, elle réussit à me surprendre.
Le sexe entre nous a toujours été splendide, mais ça devient... de mieux en mieux.
Maintenant qu'elle peut me toucher, ça crée une connexion unique. Anastasia est très prudente, elle connaît ma phobie. Chaque fois qu'elle s'apprête à poser la main sur moi, elle va tout doucement, elle demande la permission. Petit à petit, j'oublie ma peur. Jamais auparavant je n'ai ressenti ce sentiment : faire un tel plaisir à quelqu'un, ce qui, en contrepartie, me rend heureux. C'est incroyable. Je ne mérite pas cet amour qu'elle a pour moi, mais l'accident d'hier avec Charlie Tango m'a obligé à affronter ma propre mortalité. Dorénavant, j'accepterai à deux mains le moindre des cadeaux que m'offre la vie, et je veillerai à le rendre centuple à Anastasia ; elle mérite absolument tout ce que je peux lui donner.
Quelle douche longue et merveilleuse nous avons connue ensemble ! Quelle merveilleuse façon de terminer une journée qui aurait pu être la dernière ?
Et là, maintenant, Anastasia me demande de la « traiter avec brutalité » ?
Après l'avoir entraînée jusqu'à l'étage, je sors la clé de la salle de jeu, et je la regarde avec attention.
- Tu es sûre que c'est ce que tu veux ? Dis-je, afin de vérifier qu'elle ne le fait pas uniquement pour moi.
- Oui
- Il y a quelque chose que tu ne veux pas faire ? Dis-je, machinalement, en pensant que si j'ai enlevé mes triques, il me reste quand même des instruments effrayants : fouets, battoirs, palettes...
- Je ne veux pas que tu prennes de photos de moi.
Là, Anastasia me laisse bouche bée. Pourquoi diable dit-elle une chose pareille ? Je n'ai jamais suggéré de prendre des photos d'elle ! Dans le passé, bien sûr, c'était différent, j'ai dû...
En surveillant Ana, je vois la grimace de dégoût qu'elle ne peut retenir. Que sait-elle au juste ? Ces photos que je prenais de mes soumises ne sont pas pornographiques, c'est simplement une assurance... et qui aurait pu lui en parler ? Anastasia n'a pu ouvrir mon coffre. Est-ce que Leila...?
Pour le moment, je ne veux pas pénétrer dans ce terrain miné. Nous verrons plus tard...
Je l'entraîne donc dans la salle de jeu et verrouille la porte derrière nous. C'est la première fois que nous envisageons une session depuis le jour où elle m'a quitté. Je compte bien qu'elle trouve ici une jouissance incroyable, afin d'effacer les horribles souvenirs que nous gardons tous les deux de cet endroit.
Elle m'a pris par surprise, aussi je n'ai rien de prévu. Mais le défi est intéressant - j'ai beaucoup d'imagination, aussi je suis certain de lui concocter quelque chose de jouissif.
Je commence par choisir une musique rythmée et érotique, histoire de nous mettre dans l'ambiance. Ensuite, une dernière fois, je lui demande :
- Sommes-nous là parce que tu penses que j'ai envie d'y être ?
- Non. J'ai envie aussi.
Elle est sincère. Son visage est un livre ouvert : elle a les yeux brillants, les lèvres écartées, le souffle court. Ses pupilles sont déjà dilatées par l'excitation. Quant à sa voix, sa raucité m'indique qu'Ana est prête. Ainsi, c'est vrai. Miss Steele possède elle aussi un côté obscur, mais rien de dangereux. Ça signifie juste que nous sommes assortis, nous pouvons nous distraire de façon aussi érotique que fantastique. Je me passerai tout à fait de mes anciens désirs extrêmes, parce qu'il y a bien plus de plaisir à trouver avec elle.
Je commence par lui réclamer un strip-tease : j'adore la voir nue, j'adore la confiance qu'elle prend peu à peu dans son corps sublime. Elle n'a pas grand-chose à enlever, juste un peignoir en soie et une nuisette assortie. En la regardant, je m'émerveille de ma chance : elle est à moi.
J'examine ensuite la pochette surprise qu'elle m'a offerte. Il y a d'abord ma cravate grise - devenue, depuis que je connais Anastasia, une de mes favorites. Pour changer, je ne vais pas l'attacher avec, mais simplement la lui faire porter. Je lui fais un joli nœud autour du cou - étrangement, elle est encore plus nue une fois que j'en ai terminé. Le spectacle est charmant.
Tirant sur la cravate pour faire venir Ana jusqu'à moi, je l'embrasse avec passion, tout en empoignant à pleines mains son cul d'enfer. Nous sommes tous les deux tellement excités que le moindre contact en devient électrique. Il faut que je me calme, sinon cette session ne durera pas longtemps.
Je retourne Anastasia pour lui tresser les cheveux - une sorte d'instinct, puisque je suis dans ma salle de jeu. J'adore la masse luxuriante de ses boucles magnifiques. Jamais je ne l'autoriserai à les couper. Je suis bien certain que Franco, qui me connaît bien, ne s'avisera pas de proposer un tel massacre. Il sera le seul styliste à s'approcher d'Anastasia.
Elle est tellement innocente ! Elle a choisi des objets au hasard et la plupart ne sont mal adaptés aux circonstances. Je soulève d'abord le plug anal. Je suis vraiment enchanté de voir qu'Ana l'a sélectionné, ça signifie qu'un jour - bientôt... - elle m'offrira son autre virginité. Pas aujourd'hui... c'est un plaisir que j'ai l'intention de savourer après une préparation minutieuse. C'est bien pour ça que le plug ne convient pas. Il est trop gros, surtout pour une première fois.
J'ai été brutal en la déflorant, j'en suis conscient, mais l'hymen féminin est destiné à être déchiré. Malgré un léger saignement, la cicatrisation est rapide. C'est très différent avec une première sodomie. Sans préparation, sans soin, elle risque de laisser des séquelles et des cicatrices, aussi bien physiques que mentales. Jamais je ne soumettrai Ana à un tel calvaire. Je lui explique donc que, aujourd'hui, je n'utiliserai sur elle que mon auriculaire - je le dresse en guise d'explication.
Très choquée, elle écarquille les yeux, et je vois la terreur apparaitre sur son visage. Elle évoque sans doute les techniques détaillées dans mon contrat de soumission. Est-il possible que tout ça date seulement de quelques semaines ? J'ai l'impression qu'il y a une éternité.
Elle a tort de s'inquiéter. Il n'y aura jamais pour elle de fisting anal ou vaginal. Devinant ses craintes, je la rassure avec un sourire moqueur :
- Juste un doigt. Au singulier.
Quand je la vois se détendre, les joues très rouges, je passe aux clips qu'elle a choisis. Ana a des seins incroyablement sensibles - je n'oublie pas lui avoir donné son tout premier orgasme juste en suçant ses mamelons. Elle aurait horriblement mal avec des pinces aussi vicieuses. Je les remets dans le tiroir d'où je sors une autre paire, beaucoup plus grosses certes, mais ajustables.
Elle me regarde en buvant mes explications. Ça me rend fou. J'aime pouvoir l'éduquer ainsi concernant les techniques érotiques ; j'aime qu'elle ait envie de les essayer avec moi - quelque part, je suis aux commandes, et ça me plaît.
D'accord, je ne suis pas son dominant, mais Anastasia a beaucoup de chance d'avoir un expert à son service. Je reste son maître, dans ce domaine de découverte, ce qui me satisfait grandement. J'aurais toujours un besoin de contrôle. J'ai la ferme intention que cette expérience soit pour elle très intense. Après tout, nous célébrons une autre première : mon premier anniversaire ensemble.
Me trouvant trop mystérieux, elle me demande si je compte lui expliquer à l'avance ce que je vais lui faire
- Non, dis-je en toute sincérité. J'improvise au fur et à mesure. Ce n'est pas une scène BDSM habituelle, Ana.
- Comment dois-je me comporter ? Rétorque-t-elle, les yeux brillants.
- Comme tu veux.
Et là, à ma grande surprise, elle se renfrogne. S'attendait-elle à ce que j'agisse comme son dominant ? S'attendait-elle à trouver mon alter ego - celui qu'elle a toujours connu dans cette pièce ?
- Eh bien, oui, admet-elle quand je lui pose la question. Je l'aime bien.
- Je suis ton amant, Anastasia, pas ton dominant, dis-je avec passion.
Je ne veux pas d'une Ana soumise, docile et silencieuse. J'aime trop l'entendre rire. J'aime trop la voir détendue et heureuse. C'est pour ça que ces portraits que le photographe a faits d'elle m'ont tellement atteint au cœur : ils sont l'essence même d'Anastasia. Je ne veux pas lui faire perdre son esprit, sa vivacité, son unicité.
D'un autre côté, Grey, si elle veut un peu de brutalité dans ta salle de jeu, vas-tu t'en plaindre ?
Non, bien sûr, je peux jouer ce rôle.
Je l'entraîne jusqu'à la table sur laquelle je la fais monter et s'agenouiller, face à moi, les cuisses écartées, les mains dans le dos. J'ai l'intention de la menotter. Je sais qu'elle adore ça. Je sais qu'elle apprécie cette forme de soumission qui n'implique aucune douleur. Dès que je me penche pour lui passer les menottes autour des bras, elle frotte son visage contre le mien. Non ! Je m'écarte, les sourcils froncés. Je menace de la bâillonner - et l'image qui me vient en tête est incroyablement excitante. Je menace aussi de la fesser - et si j'en juge par son expression, elle est presque tentée.
Hmmm...
Appréciant la confiance qu'elle me fait, j'imagine, l'esprit en vrille, tout ce qui nous attend dans le futur.
Une fois qu'Anastasia se montre obéissante, je m'active et, très vite, elle est attachée, immobile ; je lui pose un masque sur les yeux. Ça rendra l'expérience plus intense pour elle. Ensuite, j'enlève ma cravate que je ne veux pas tacher ; j'ai récupéré dans ma commode un flacon d'huiles essentielles avec laquelle nous je vais l'oindre et la masser. Je regarde ma cravate avec un sourire. Dans le plus ennuyeux des rendez-vous ou des diners de gala, j'aurai toujours d'heureux souvenirs qui me reviendront en mémoire. Cette idée m'enchante.
Je commence à couvrir sa peau soyeuse d'huile odorante. Anastasia apprécie mes caresses, elle geint et gémit doucement, en se tortillant sous mes doigts. Tout en la vénérant, je ne cesse de lui répéter combien elle est belle, qu'elle sera bientôt ma femme... En fait, je récite les vœux du mariage, et mon cœur enfle d'une joie délirante.
J'aimerais que le monde entier soit déjà au courant de notre engagement ; j'aimerais voir ma bague au doigt d'Anastasia. Je voudrais que notre mariage soit déjà un fait accompli. Je déteste l'idée de devoir patienter.
D'un autre côté, j'ai désormais un but à atteindre. Et il me plaît infiniment.
Après avoir caressé tout le corps d'Anastasia, j'arrive à la jointure de ses jambes. Je sors un vibromasseur que je vais bientôt utiliser sur elle. Je le lui mets d'abord dans la bouche, afin de le réchauffer et de le lubrifier. Je sais qu'elle va s'inquiéter de sa taille - et de l'endroit où elle va le recevoir.
Ah, Grey... l'anticipation doit commencer à la ronger.
En attendant, je travaille sur ses seins et ses mamelons - je ne veux pas laisser un seul endroit de son corps sans stimulation. Je veux que son orgasme soit si intense qu'elle en oublie le reste du monde. J'étire la pointe de ses seins en les roulant entre deux doigts, avant de le resserrer sur l'un d'eux la première pince. Sous la morsure, Anastasia gémit - malgré le plug qu'elle a dans la bouche. Je m'écarte un peu pour la regarder, perdue dans sa passion : elle est sublime ! Un vrai tableau érotique, avec les sex-toys aux lèvres et aux seins. J'applique la deuxième pince, tout en titillant de la langue ses mamelons engorgés. Douleur et plaisir, toujours les deux aspects du même écu.
Je remets de l'huile sur mes doigts, avant de retirer le godemiché de sa bouche. Je le glisse en elle, puis j'allume le contact. Anastasia fait un tel bond de surprise qu'elle manque tomber de la table. Mais je n'en ai pas fini. J'ai l'intention de repousser ses limites. Je tire doucement sur la chaîne qui relie les deux clips, pour intensifier ses sensations.
Elle pousse un gémissement et se met à me supplier.
- Christian, je t'en prie !
Je l'embrasse sous l'oreille, en lui chuchotant des mots d'amour, des paroles apaisantes, des compliments. Je ne veux pas qu'elle ait peur. Je veux qu'elle savoure la moindre des pulsions qu'elle éprouve. Je sais que c'est énorme pour elle, mais je suis certain qu'elle peut le supporter - et son orgasme final en vaudra le coup. Déjà, elle tremble, réagissant à tous les stimuli... elle doit avoir la tête qui tourne, mais de plaisir, je veux la noyer sous une jouissance sans pareille.
Elle est belle, elle est si belle. Je la tiens contre moi et surveille les étapes de son plaisir, prêt à l'envoyer par-dessus bord. J'empoigne à deux mains les globes de son cul parfait, tout excité à l'idée de ce que je m'apprête à lui faire.
- Si belle, Ana, dis-je encore.
Au même moment, tout doucement, je la pénètre de mon petit doigt huilé, savourant ce contact ultime, l'anneau serré de ses muscles résiste brièvement, puis cède... et mon doigt tout entier est en elle. Je devine à quel point cette sensation nouvelle doit lui paraître étrange, mais c'est également érotique. Une autre première, ô combien sensuelle.
Entre la musique, le masque, les menottes, le vibromasseur, les pinces, et maintenant mon doigt... Anastasia n'en peut plus. Elle pousse un hurlement aigu et explose de jouissance. Je sens ses muscles se convulser, tout son corps tremble et frémit. Je détache d'abord les clips - et elle crie encore, la douleur exquise du sang qui pulse dans ses mamelons l'envoyant encore plus haut. Je la serre très fort contre moi, tandis que ses spasmes continuent, encore et encore.
Elle est merveilleuse. Je n'arrive pas à croire qu'elle réponde avec autant de passion. Elle me surprend toujours. Elle ne me déçoit jamais. J'arrache d'elle le plug, ce qui la fait encore crier, et enfin, je retire mon doigt. Elle retombe lentement sur terre, épuisée. Dès que je détache ses menottes, elle s'écroule contre moi. La soulevant dans mes bras, je l'emmène jusqu'au lit, où je l'étends doucement. Je lui masse les bras, afin qu'elle ne garde pas de crampes de sa position bizarre, puis je lui retire son masque. Elle n'ouvre pas les yeux. Pour l'aider à se détendre, je défais sa tresse et lui masse le cuir chevelu. Enfin, elle lève les paupières et me jette un regard éperdu, éblouissant d'amour.
- C'est assez de brutalité pour toi ? Dis-je doucement.
- Je crois que tu essaies de me tuer, marmonne-t-elle avec difficulté.
- Mourir d'orgasme. Il y a de pires façons de partir !
J'ai voulu plaisanter, mais à peine les mots sortis de ma bouche, je réalise ne pas supporter d'évoquer la mort d'Anastasia.
Dès qu'elle a un peu repris ses esprits, je me penche vers elle et je lui fais l'amour. ***
Je revois ce jour où Anastasia est tombée à quatre pattes dans mon bureau. La première fois que je l'ai touchée en me précipitant pour la relever... étonné de ne pas être en colère devant une telle maladresse. J'évoque la connexion - l'électricité même - dès que nos doigts se sont effleurés. Dès la première minute, j'ai été addict. Avant elle, je n'avais pas le désir de combler le vide qui existait en moi. Je ne ressentais rien et, sans émotion, il n'y a pas de vie. Mon succès professionnel réussissait, quelque part, à satisfaire mon besoin de contrôler ma vie, mais c'était insuffisant. Mon existence me paraissait monotone, grisâtre, sinistre. J'étais seul, et je l'ignorais. Je cherchais de plus en plus de violence, d'exercice, de brutalité, dans l'espoir de calmer ce désespoir qui montait peu à peu. Je pensais être incapable de changer, je pensais que mes cinquante nuances de folie m'empêchaient de mener une vie normale. Et Anastasia est arrivée. Près d'elle, j'ai appris que la lumière existait même pour moi. Elle m'est devenue plus nécessaire que l'oxygène que je respirais.
L'amour au premier regard ? J'aurais éclaté de rire, autrefois, si on en avait parlé devant moi. N'ayant jamais connu l'amour, comment aurais-je pu reconnaître ce sentiment qui, dès le début, m'a attiré vers Anastasia ?
Je l'aime.
Au même moment, je réalise qu'elle pleure dans mes bras. Ce qui m'affole... Elle secoue la tête pour me rassurer et m'indique que c'est un excès d'émotion parce qu'elle m'aime « trop ». Comme c'est étrange ! Elle ressent les mêmes sentiments que moi, presque au même moment.
Ensuite, collés l'un contre l'autre, nous parlons, de tout et de rien, comme deux amants qui ont tout l'avenir devant eux.
- Tu sais, dis-je dans un aveu soudain, j'ai eu terriblement peur après cette séance photo, à Portland, de te demander de venir prendre un café avec moi.
- Quoi ? Se moque-t-elle en riant. Christian Grey ayant peur ? Je ne te crois pas.
- Tu as tort. J'ai eu peur de te perdre avant même d'avoir une chance de t'approcher. Ana fronce les sourcils en se remémorant ce premier rendez-vous.
- Tu ne m'as pas embrassée, grogne-t-elle. Tu m'as rejetée. Je suis à peine arrivée jusqu'à ma voiture avant de pleurer comme une madeleine.
Je la serre plus fort encore contre moi.
- Je suis désolé, baby. J'avais réalisé à quel point tu étais jeune, innocente, timide. J'ai eu peur de t'attirer dans mon monde trop obscur. J'ai eu peur de te souiller. (Je lui souris béatement.) Ensuite, j'ai craqué. Et je suis revenu à la charge.
- Eh bien, Mr Grey, j'en suis ravie. Dire que si Katherine n'avait pas été malade...
Elle frissonne - et moi aussi. Je ne cesse de remercier la divine providence que cette virago ne soit pas venue m'interviewer ce jour-là. Mon ange gardien, une fois de plus, devait veiller sur moi. D'un ton moqueur, je déclare :
- Elle n'est pas du tout mon genre !
- Je sais, répond Anastasia les sourcils froncés. C'est une blonde... Et tu n'aimes que les brunes.
Je sens que le terrain devient miné. J'embrasse Ana sur le bout du nez, tout en affirmant avec toute la conviction nécessaire :
- C'est au passé. Depuis que je te connais, Ana, je n'aime que toi. (Une idée me venant, je reprends, les sourcils froncés :) Je n'arrive pas à comprendre que tu m'en veuilles de chercher à te contrôler, je suis bien certain que Miss Kavanagh a fait la même chose durant quatre ans. Bon Dieu, qu'elle est autoritaire ! Durant cette séance photo, la première fois où je l'ai rencontrée, j'ai réalisé à quel point elle me déplaisait.
Anastasia se rassied dans le lit et me fait une imitation très réussie de sa colocataire : « Mr Grey, pourriez-vous vous asseoir ici, s'il vous plaît ? Attention, il y a des câbles. Ensuite, on prendra quelques photos de vous debout. Assez de photos assises. Mr Grey, pourriez-vous vous lever ? »
Nous éclatons de rire ensemble.
- Elle était vraiment ravie que tu fasses cette séance photo, tu sais, ajoute Anastasia.
- Baby, je ne l'ai faite que pour toi. Crois-moi, j'aurais fait n'importe quoi pour passer un moment de plus en ta compagnie.
Puis réalisant que j'aurais pu ne jamais la rencontrer, je déclare d'un ton fervent : - Je remercie le ciel d'avoir inventé le rhume !
Peu après, Anastasia change de sujet, en regardant autour d'elle d'un air étonné :
- Toutes les triques ont disparu.
- Je ne pensais pas que tu pourrais franchir cette limite majeure.
- Non, tu as raison.
J'ai fait enlever toutes les triques de leur râtelier de mon mur. Quelque part, ces instruments étaient ce que je préférais autrefois, ma signature. Je tenais absolument à m'en séparer : Anastasia les ayant citées parmi ce qui la terrorisait. Tout à l'heure, elle a aussi parlé des fouets - ils seront les prochains à partir. D'ailleurs, je m'en fiche. J'ai tant d'autres façons de savourer la vie avec Anastasia.
Anastasia examine le reste de mon matériel avec une moue, aussi je lui propose aussitôt :
- Tu veux que je m'en débarrasse aussi ?
- Pas la cravache... la marron. Ni ce martinet en daim... euh, tu sais.
Elle est toute rouge, ce qui m'excite une fois de plus. Elle me surprendra toujours. Elle me fait le même compliment, puis se couche sur moi et commence à me détailler tout ce qu'elle aime chez moi, ma bouche, mon cerveau, mon cœur...
Tout ça ? Oh baby...
Elle te trouve admirable ? Grey, elle est frapadingue - c'est manifeste.
Je ressens une confusion étrange, je ne suis pas habitué à la timidité. C'est... déstabilisant. Heureusement, Anastasia se met à rire et se jette sur moi, ce qui interrompt ce moment délicat.
C'est la première fois de ma vie que j'ai avec un autre être une telle intimité. J'en savoure la moindre seconde.
Plus tard, quand Ana me propose de se charger du repas, je me lève à contrecœur et décide d'aller consulter les messages sur mon BlackBerry. Après notre black-out d'hier, il y a certainement de nombreux détails à régler.
Même le jour de mon anniversaire, je ne peux échapper longtemps à la réalité. ***
Je vais jusqu'à mon bureau. D'abord, j'écoute ma messagerie vocale. Il y a un appel d'Anastasia : « Salut... euh... c'est moi... Ana. Tu vas bien ? Appelle-moi ». J'ai un sourire, c'est le premier message qu'elle m'ait jamais laissé. Sa voix est haletante, anxieuse, elle s'inquiétait pour moi. Je sauvegarde précieusement ces quelques mots.
Le message suivant provient d'Elena: «Christian, j'ai entendu parler de ton accident d'hélicoptère. Rappelle-moi. » Je l'efface. Le second message est également d'elle : « Je t'ai vu sur Seattle News. Tu rentrais à l'Escala. Tu m'as paru plutôt échevelé. Rappelle-moi. » Je l'efface également. Je supprime aussi - sans les écouter - les quatre messages suivants qu'elle m'a adressés.
Ensuite, c'est Gwen, qui me remercie d'une voix émue de mes talents de pilote grâce auxquels Ros a pu rentrer saine et sauve. Un dernier appel, de ce matin, vient de Welch : il a localisé mon hélicoptère. Parfait.
Ensuite, je trie mes mails. Je souris en lisant celui d'Anastasia, la veille - elle s'inquiétait que je ne lui parle plus. À la même heure, Ros et moi étions en pleine nature, marchant en direction de l'autoroute. Je ne pensais qu'à une chose : revenir vers Ana le plus vite possible. J'ai un frisson en réalisant ce qui aurait pu se passer.
Plusieurs mails sont d'Elena, répétant tous la même chose : « rappelle-moi. » Ana ne supporte pas mon ex-dominatrix et je n'ai pas l'intention de la rappeler. Elle sait que je suis sain et sauf ; pour le moment, ça suffira.
Je trouve un mail de Welch concernant l'enquête que j'ai ordonnée sur Dan McAlester. Le contenu confirme tout ce que le routier nous a dit hier soir. Aucun doute à son sujet : il a vraiment besoin d'un coup de pouce. Je compte voir avec Ros la meilleure façon de l'aider.
Auparavant, j'appelle Taylor dans mon bureau afin de discuter avec lui de la récupération de Charlie Tango.
- Je suis vraiment désolé de ne pas avoir été avec vous hier, dit-il, les poings serrés, le visage crispé. Mon ex a paniqué...
- Taylor, votre présence à bord n'aurait rien changé. Nous nous serions écrasés quand même. Vous ne vous seriez jamais pardonné de ne pas avoir été au chevet de votre fille, et vous le savez. Vous auriez été bien plus en colère contre votre ex si elle ne vous avait pas prévenu.
- Bien sûr, monsieur, mais quand vous devez utiliser Charlie Tango, je suis très attentif. J'aurais remarqué que le GPS ne fonctionnait pas - et insisté pour qu'on revérifie entièrement l'appareil avant que vous décolliez avec. Parce que, un problème technique qui enflamme les deux moteurs en même temps, à mon avis, c'est hautement suspect.
- Je suis d'accord. J'ai regardé les premiers rapports que Welch m'a envoyés. Graff est un mécanicien hors pair. Je ne pense pas que la défaillance vienne de lui. Malheureusement, il semble y avoir un problème de sécurité à Boeing Fields. Ils ont cherché à réduire les coûts. Ces modifications ne correspondent pas à nos exigences contractuelles. En clair, n'importe qui aurait pu s'approcher de Charlie Tango durant les deux derniers jours.
- Vraiment ? Ils encaissent le maximum avec un service minimum ? Ça doit être très récent, ni Welch ni moi n'étions au courant. Nous effectuons des vérifications imprévues dans tous les endroits où vous vous rendez régulièrement.
- Je sais. Dorénavant, nous aurons nos propres équipes de sécurité pour surveiller mon hélicoptère. Nous ne pouvons plus nous fier aux services de l'aéroport. J'attendrai pour en décider que les experts aient terminé leur rapport sur Charlie Tango. Ça ne devrait pas tarder.
- C'est Alex Pella qui doit s'en occuper, monsieur.
Je sais qu'il s'agit un des meilleurs experts du pays, je suis certain qu'il repérera un sabotage. Charlie Tango est parfaitement entretenu, jamais mon mécanicien n'aurait pu rater un problème sur les deux moteurs en même temps. Au fait...
- Welch m'a prévenu que Charlie Tango avait été retrouvé avec mes indications.
- Oui monsieur. L'équipe est déjà sur place. L'hélicoptère devait être à Boeing dans la journée.
- Très bien. Nous verrons ensuite s'il est récupérable ou pas. Bien, maintenant je voudrais vous
parler de Luke Sawyer. Je veux qu'il soit attribué à plein temps à la sécurité de Miss Steele.
- Oui monsieur. Nous en avions déjà parlé, le contrat est prêt ; Sawyer le signera quand vous le voudrez.
- Engagez aussi une femme pour l'aider... pourquoi pas celle qui a suivi Miss Steele en Géorgie ?
Je me rappelle que ses rapports étaient particulièrement complets et détaillés.
- Prescott ? Oui monsieur, je vais vérifier si elle est disponible - et, dans le cas contraire, la faire rappeler.
- Je veux qu'elle soit disponible, Taylor, dis-je, fermement. Arrangez-vous pour que le prix que nous lui proposons la décide. J'ai besoin que ce soit rapide. Il va y avoir de gros changements dans ma vie.
- Des changements ? Répète Taylor, les sourcils foncés.
Je sais que le responsable de ma sécurité doit être tenu au courant de tout ce qui concerne ma vie privée, je n'ai jamais cherché à cacher quoi que ce soit à Taylor. Il en sait plus sur moi que tout le monde, ma famille y compris. Tout le monde, sauf Anastasia.
- Je compte l'annoncer ce soir au cours de la soirée à Bellevue, mais vous en aurez la primeur, Taylor : Miss Steele a accepté de devenir ma femme.
J'entends la fierté qui résonne dans ma voix. Quel pied, vraiment, de pouvoir dire ces mots à haute voix. J'ai eu tellement peur qu'Anastasia refuse...
- Je vois. C'est une heureuse nouvelle. (Taylor fait un pas, en me tendant la main.) Puis-je vous offrir mes plus sincères félicitations, monsieur ?
Il m'accorde un de ses rares sourires bourrus. Il a une poigne de main très ferme, solide et fiable.
- Merci, Taylor, dis-je lorsqu'il recule. Dès que cette information deviendra publique, Miss Steele sera la cible des paparazzis - ou même d'éventuels kidnappeurs. Je veux qu'elle soit protégée 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, en particulier lorsque je ne suis pas avec elle. C'est pour ça que je veux aussi un agent féminin en plus de Sawyer.
- Bien entendu, monsieur. Je vais voir avec Welch et organiser tout ça avant ce soir.
- N'ébruitez pas la nouvelle de nos fiançailles tant que nos familles respectives ne sont pas au courant, Taylor.
- M'autoriseriez-vous à partager cette nouvelle avec Mrs Jones ? Demande Taylor. Je peux vous certifier qu'elle sera d'une discrétion totale.
- Je sais. Je lui fais confiance. Bien entendu, Taylor, si vous pensez que c'est mieux, dites-le-lui.
- Merci monsieur ! (Il y a un monde de reconnaissance derrière ces deux mots.) Je pense qu'elle m'aurait assassiné en découvrant plus tard avoir été tenue à l'écart.
Je jette un coup d'œil étonné à Taylor, mais il a déjà repris son masque impassible. J'ai du mal à retenir un ricanement. Apparemment, il est très épris de sa maîtresse - et très inquiet à l'idée de la contrarier.
Comme toi, Grey !
- Une dernière chose, Taylor, c'est au sujet du routier qui nous a raccompagnés hier, Ros Bailey et moi. Il s'appelle McAlester. D'après ce qu'il m'a dit, son fils a été tué en Afghanistan. J'ai reçu un premier rapport de Welch - le garçon est mort en héros, en sauvant ses camarades. Il a obtenu une médaille à titre posthume.
Taylor a été soldat. Il sait mieux que personne que certains ne rentrent jamais chez eux pour retrouver leurs familles, leurs parents... Il hoche la tête en silence et attend mes instructions.
- Je m'étonne que ses parents ne reçoivent aucune aide de l'État, n'y a-t-il pas de fondations d'anciens soldats qui soutiennent leurs familles dans le besoin ?
- Si monsieur, bien sûr. C'est géré par des vétérans. Je vais leur transmettre tous les détails concernant ce soldat, je m'en occupe personnellement.
- Merci, Taylor. Ce sera tout.
Il quitte mon bureau sur un signe de tête. J'entends du bruit dans la cuisine où Anastasia s'active avec ardeur. J'ai d'autres coups de téléphone à passer.
- Ros Bailey, annonce-t-elle, à la deuxième sonnerie.
- J'espère que vous avez tenu votre serment de ne plus fumer ? Dis-je, d'une voix sévère.
Elle éclate de rire.
- Ça ne vous regarde pas, patron.
Ainsi, elle n'a pas cessé. Je savais bien qu'elle ne le ferait pas. Gwen et moi tentons depuis des années de convaincre Ros d'abandonner cette habitude déplorable, mais elle s'y entête. C'est étrange, parce que dans tous les autres domaines, c'est une femme forte, à la volonté de fer. J'imagine que nous avons tous nos faiblesses et nos défauts.
Grey, tu es un sadique, tu es mal placé pour critiquer une fumeuse.
- Comment vont vos ampoules ?
- C'est douloureux, mais ça cicatrise. La prochaine fois que je monte dans votre hélicoptère, rappelez-moi d'emporter des ballerines dans mon sac. Bon sang, tant qu'à faire à traverser la moitié de l'État, autant être préparée.
- Ainsi, vous comptez remonter avec moi ? Je pensais vous avoir dégoûtée à vie.
- Mr Grey ! Je n'ai toujours pas compris comment vous aviez réussi à faire atterrir cet engin hier alors que nous n'avions plus de moteurs. En plus, vous étiez d'un calme impressionnant. Que pourrait- il nous arriver de pire, je me le demande ? Je remonterai avec vous, j'ai confiance dans vos talents de pilote.
- Bien, je vous remercie. Je ne vous ai pas téléphoné pour avoir le plaisir d'entendre votre voix de fumeuse, je voulais vous parler de McAlester. J'imagine que vous avez reçu un double de l'enquête de Welch sur son compte ?
- Ouaip. il a même minimisé ses ennuis. Il est dans une merde noire, vous ne croyez pas ?
- Je suis d'accord. Nous allons régler ça de toute urgence. D'abord, je veux que toutes ses dettes soient payées dès lundi matin. Je veux aussi voir verser 50 000 $ sur son compte. Enfin, je veux que vous me trouviez le meilleur expert en camion afin que Dan reçoive un nouveau modèle correspondant exactement à ce dont il a besoin...
- J'imagine que McAlester sait déjà de quel camion il rêve, coupe Ros, peut-être devrions-nous le laisser choisir.
- Vous avez raison. Je veux qu'il reçoive son camion le plus tôt possible... et même avant. Et faites-lui rencontrer un de nos financiers, pour lui proposer un plan de gestion. Quelque chose de simple qu'il puisse suivre sans difficulté, assorti d'un budget afin de convaincre ses interlocuteurs s'il doit discuter de ses prochains contrats.
- Vous n'êtes pas trop exigeant, Mr Grey, déclare Ros avec humour.
- Pourquoi ? Ça vous pose un problème ? McAlester nous a aidés hier, je vous signale que c'est le seul à s'être arrêté pour nous prendre. Sans lui, nous serions peut-être toujours au bord de la grand- route. Et j'ai bien remarqué votre expression d'extase en boustifaillant ses sandwiches.
Elle éclate de rire.
- Ne vous inquiétez pas, je m'en occupe, ça sera un plaisir. Je le rencontrerai moi-même avec un plan de gestion opérationnel. Mais vous n'avez rien dit concernant son épouse, Betty ? J'aimerais bien que nous fassions également quelque chose pour elle.
- Vous n'êtes pas médecin, Ms Bailey. Je vous ai chargée des tâches concernant votre domaine d'expertise, la finance. Je m'occupe de Mrs McAlester. Je vais demander à ma mère de me conseiller le meilleur spécialiste. Ensuite, nous organiserons le plus vite possible une consultation pour une prothèse de hanche. De plus, je vais demander à mon père de réviser les contrats que Dan a signés.
Je crains qu'il n'ait perdu son prêt à cause des intérêts inadmissibles qu'il paye encore. C'est presque criminel. Mon père adore épingler les requins. Faites-lui confiance, il récupérera ce qui a été indûment prélevé, plus dommages et intérêts. Il ne s'agit pas seulement d'argent, mais de principe. C'est lamentable de voler un brave homme qui ne ferait jamais de mal à une mouche.
- Je suis d'accord à 100 %, patron. Ce sera une bataille d'avocats. Je ne doute pas qu'avec une pointure comme votre père, ces gens-là s'écraseront très vite. Ce sont des lâches, ils n'abusent que des proies faciles.
Mon père et moi ne nous entendons pas toujours - parce que nous n'avons pas du tout la même façon d'aborder l'existence -, mais je dois lui accorder une chose : c'est un excellent avocat, tenace, juste et consciencieux.
Ros interrompt le cours de mes pensées :
- Avez-vous l'intention de racheter McAlester Trucking ? Vous allez l'intégrer à GEH - et le renommer Grey Trucking peut-être ?
- Non, certainement pas, laissons à notre sauveur sa joie et sa fierté. McAlester Trucking aura simplement un associé de l'ombre : nous nous contenterons de surveiller que tout va bien pour lui. Il choisira tout seul le modèle, le logo, et les couleurs de son nouveau camion.
- Et s'il refuse ? C'est un homme fier, il peut considérer qu'il s'agit d'une aumône déguisée.
- Ce sera votre boulot de le convaincre, Ms Bailey, histoire de gagner le salaire exorbitant que vous m'extorquez. Rappelez-lui ce qu'il nous a dit hier : où va le monde, si l'on ne peut pas de temps à autre donner un coup de main à son prochain ? (Une idée me vient.) Si vous voulez mon avis, laissez-le croire que c'est vous le patron. Il acceptera plus facilement de votre main que de la mienne.
- Vraiment ? Voilà une optique qui me plaît beaucoup, Mr Grey. Très bien, je ferai de mon mieux.
Cette promesse me suffit. Ros réussit toujours ce qu'elle entreprend. C'est bien pour ça qu'elle est mon bras droit, quasiment depuis le premier jour. Je l'ai rencontrée quand j'ai racheté ma première affaire - Seattle Independant Comms ou SIC, très vite renommée GC, Grey Communications. Au début, elle m'a considéré avec suspicion, sans doute parce que je n'avais que vingt-et-un ans. Dès que j'ai exposé mes projets, elle a été conquise - du moins, elle a cru en moi. Professionnellement, nous voyons le monde de la même façon. J'ai peut-être une vision plus intuitive, plus axée sur la perspective, tandis qu'elle aime les chiffres, le concret. En bref, nous nous accordons parfaitement.
À l'époque, mes parents étaient fous furieux et ne m'adressaient plus la parole parce que j'avais abandonné mes études à Harvard. Mon père m'avait coupé les fonds, espérant me faire changer d'avis ; ma mère ne cessait de pleurer, d'abord parce qu'elle s'inquiétait pour moi, ensuite, parce qu'elle ne supportait pas la querelle qui m'opposait à papa ; mon frère et ma sœur ne me comprenaient pas et prenaient plutôt parti pour les parents. Quant à Elena, elle m'a prêté les 100 000 $ dont j'avais besoin. Je les lui ai remboursés très vite, bien entendu, mais je n'ai jamais oublié son geste. Il a créé pour moi une dette envers elle... que je paye encore aujourd'hui, quelque part.
Je n'ai jamais utilisé les services de mon père comme avocat. J'ai cloisonné ma vie professionnelle, ma vie familiale - et ma vie privée. Mon père a tenté plusieurs fois, au cours des années, de combler ce gouffre entre nous, j'ai refusé. En fait, je lui rends service : je suis un client très exigeant envers mes avocats. Je préfère garder nos relations sur un autre plan.
- Une dernière chose, dis-je à Ros, obtenez pour Dan un rendez-vous avec un dentiste. Il a vraiment besoin d'implants. Ensuite, nous l'inviterons à dîner, je suis certain qu'il appréciera un bon steak. Qu'en pensez-vous ?
- C'est parfait, dit Ros d'une voix ravie. Je m'occupe de tout ça. Au fait, bon anniversaire ! Que faites-vous de beau pour cette occasion ?
- Je vais dîner ce soir chez mes parents.
- Certaines choses ne changent jamais, Mr Grey, dit-elle en soupirant.
Je sais à quoi elle fait allusion. Elle m'a souvent reproché de travailler le jour de mon anniversaire, comme s'il s'agissait d'une date particulière à célébrer. Une fois, elle m'a même invité à un déjeuner avec Gwen pour que je ne sois pas seul le jour de ma majorité... Sous un aspect plutôt bourru, Ros peut parfois se montrer romantique.
Je ne sais pas pourquoi, je me sens tenu de lui préciser :
- Je ne serai pas seul, Ros, j'emmène ma compagne, Anastasia Steele, avec moi ce soir chez mes parents.
Elle se tait. Sans doute est-ce dû au choc. Il est plus que rare que je fournisse, spontanément, une information personnelle. Ros le sait mieux que personne.
- Bon anniversaire, Mr Grey, dit-elle encore, d'un ton beaucoup plus exalté.
J'appelle ensuite Andrea, mon assistante, pour lui demander de convoquer mon avocat48, lundi matin, à la première heure. Je veux refaire mon testament. J'ai réalisé hier que si j'avais disparu, Anastasia n'aurait rien reçu de moi. Je veux rectifier au plus tôt ce manque de prévoyance. Machinalement, je vérifie aussi que les 50 000 $ que j'ai ordonnés de verser sur le compte d'Anastasia ont bien été transférés.
- Bien entendu, Mr Grey, réplique Andrea un peu choquée.
Elle a raison. Quand je lui donne un ordre, j'ai rarement besoin de me répéter. - Et la presse ? Comment ont-ils appris ma disparition ?
- C'est à cause de l'équipe de recherches de Boeing. Sam m'a expliqué que les paparazzis passaient leur temps à écouter leur fréquence, afin d'être tenus au courant d'une information intéressante. Nous avons tenté de maintenir le secret, mais dès qu'ils ont su que votre hélicoptère avait disparu, ils se sont emballés, bien entendu. Je dois avouer qu'Olivia a été remarquable en jouant l'idiote, elle a maintenu les journalistes sur une fausse piste aussi longtemps que possible. Nous avons veillé à ce que votre père soit prévenu directement, et non par les médias, afin qu'il puisse avertir le reste de votre famille.
- Très bien, je vois. Je vous remercie.
Andrea a contacté mon père, sachant que sa formation de légiste l'aiderait à garder la tête froide, malgré les circonstances.
- Quand Taylor est revenu, lui et votre père se sont installés dans votre appartement. C'est de là qu'ils ont géré les informations que leur transmettaient les autorités, tout en restant en rapport avec Olivia et moi, à Grey House.
- Un vrai comité d'urgence, hein ? C'était inutile, il ne s'agissait pas d'un accident, juste d'une petite panne. Mais les journaux ont l'habitude de faire une montagne d'une taupinière.
- Monsieur, nous sommes tous extrêmement soulagés qu'il se soit agi d'une fausse alerte. Hier... a été une des pires journées de ma vie, quand nous avons cru...
La voix tremblante, Andrea se tait, et je l'entends renifler au téléphone.
- Bordel, Andrea, ne vous y mettez pas aussi ! Dis-je, de mon ton le plus sec. On dirait Olivia. Je ne vous paye pas pour pleurnicher durant les heures ouvrables !
Andrea éclate de rire. Elle me connaît bien : elle sait que ma colère est fictive et que je cherche simplement à l'aider à retrouver sa contenance.
- Oui, Mr Grey. C'est un vrai plaisir de vous voir revenu.
Je me demande ce que dirait Taylor, qui surnomme Andrea « la reine des glaces » ou Barney, qui l'appelle « Freezer », s'ils la voyaient - ou l'entendaient - à présent.
Mes parents ont été là hier pour m'aider... Je réalise alors qu'il me faut les prévenir avant la réunion de ce soir. C'est ma mère qui répond ; elle s'inquiète d'abord de savoir comment je vais, après mon épreuve d'hier. Nous échangeons quelques phrases avant que je ne puisse lui indiquer la véritable raison de mon coup de téléphone.
- Maman, au sujet de ce soir...
- Christian, tu ne comptes quand même pas annuler ta présence à la fête ? S'inquiète-t-elle.
- Non, pas du tout, au contraire, je te téléphone pour t'annoncer une bonne nouvelle... Voilà, j'ai demandé à Anastasia de m'épouser. Elle a accepté
J'entends un bruit étrange à l'autre bout du fil, je crois que ma mère a hurlé - étrange.
- Maman?Çava?
- Chéri, bien sûr que ça va, je suis folle de joie. J'espère que je ne t'ai pas percé les tympans. Anastasia est une femme adorable. Je suis vraiment très heureuse pour toi.
- Je l'annoncerai ce soir au cours de la fête, mais je voulais que tu le saches la première.
- Tu veux des fleurs ?... et pour la bague, je peux...
- Ne t'inquiète pas, maman, je me charge de tout.
- Je vais en parler à ton père, bien sûr.
Je m'en doutais. Mais il m'est difficile de faire autrement. Je soupire. Mon père est discret, il gardera mon secret. J'explique ensuite à ma mère que nous viendrons ce soir, Ana et moi, avec plus d'agents de sécurité, comme le soir du bal masqué. Elle paraît un moment inquiète, mais elle ne proteste pas.
- Christian, ton père est là, il m'a entendu crier. Je te le passe.
- Bon anniversaire, mon fils, dit mon père.
Je lui explique en quelques mots mon intention d'épouser Anastasia. Il le cache bien, mais je pense qu'il est surpris par une décision qu'il doit trouver précipitée. Il prend immédiatement sa voix d'avocat, froide et sévère, professionnelle.
- Tu veux que je m'occupe du contrat de mariage pour la séparation des biens ? Propose-t-il.
- Il n'y aura pas de séparation, nous nous marierons sous le régime de la communauté, dis-je fermement.
- Mon fils, tu devrais être le premier à le savoir, ce n'est pas la bonne façon d'envisager un contrat quand les deux partis sont aussi déséquilibrés. Tu es l'un des hommes les plus riches du...
- Tu as épousé maman sous le régime de la communauté !
- Effectivement, mais nous nous sommes mariés alors que nous étions tous les deux étudiants. Anastasia est une femme charmante, mais elle n'a pas un sou. Si vous divorcez, ça te coûterait la moitié de ta fortune.
- Papa, je l'aime, elle m'aime, je n'ai rien besoin d'autre. Je ne veux pas envisager un divorce. Je ne lui ferai jamais signer une renonciation à ma fortune.
- Très bien, tu peux au moins y réfléchir. Qu'est-ce que ton avocat...
- Je viens juste d'obtenir l'accord d'Anastasia, je n'en ai pas parlé avec mon avocat. Ce n'est pas mon avocat que je vais mettre dans mon lit. Ce n'est pas à lui de m'indiquer comment je dois mener ma vie.
Je sens monter ma colère, brûlante, féroce, comme chaque fois qu'un obstacle se dresse sur ma route. J'entends ma mère protester en arrière-fond, cherchant manifestement à calmer les choses.
- Nous en reparlerons plus tard, dit mon père.
Hélas, j'en suis certain. Je raccroche avec hargne. Heureusement, Anastasia interrompt mes marmonnements rageurs par un mail plein d'humour qui m'annonce que le repas est presque prêt. En quelques mots, elle ranime ma bonne humeur.
Il me reste un dernier appel à passer. Mon père m'ayant contrarié, je n'ai pas eu l'occasion de prévenir ma mère de ma surprise à Ana ni de lui parler de ma fleuriste. Je vais être obligé d'utiliser les services de ma sœur.
Je téléphone d'abord à la fleuriste - avec laquelle je suis désormais intime. Dès qu'elle reconnaît mon nom, nous passons quelques minutes très animées tandis que je lui décris exactement ce que j'attends d'elle. J'entends grincer son stylo - elle prend des notes. J'approuve le travail sérieux.
Ensuite, je téléphone à Mia.
- Mia, j'ai besoin d'un service.
- Bonjour, Christian. Oui, je vais très bien, merci de m'avoir posé la question. D'accord, tu viens juste de survivre par miracle un accident terrible, mais ça n'est pas une raison pour oublier tes bonnes manières. Je suis ta sœur, pas une de tes employés, aussi j'apprécierais quelques mots aimables quand tu me téléphones.
- Je n'ai pas le temps... Écoute, ce soir, j'ai arrangé une petite surprise pour Anastasia dans le hangar à bateaux, j'ai besoin que tu...
- Une surprise ? Dans le hangar à bateaux ? Pourquoi ?
Merde, j'aurais sans doute dû demander à ma mère. Ma sœur ? Très mauvaise idée.
- Est-ce que tu pourrais m'écouter, bon Dieu ? Anastasia risque de débarquer d'un moment à l'autre dans mon bureau, je veux simplement que tu laisses ma fleuriste et son assistant entrer dans le hangar à bateaux, pour qu'ils puissent arranger ma surprise. Il s'agit de... quelques fleurs, c'est tout.
- Oh, super ! Si tu veux, j'irai les aider. J'adore les surprises. J'adore arranger les fleurs. Mais pourquoi veux-tu le hangar à bateaux ? Ce n'est pas romantique du tout. Ce serait beaucoup mieux que...
Je préfère interrompre ce bavardage inutile. Mia est vraiment crispante quand elle s'y met. Est-ce qu'elle ne pourrait pas se taire une fois dans sa vie ?
- J'aimerais aussi que tu distraies l'attention d'Ana à notre arrivée, pour que je puisse aller vérifier le hangar à bateaux sans qu'elle me voie.
- Bien sûr. Aucun problème. D'ailleurs, je voulais lui demander son avis sur... Oui, ça serait cool. Pour ta surprise, je suis sûre que je pourrais m'occuper moi-même de l'arrangement des fleurs.
- Laisse-les entrer et fiche-leur la paix. Tu as compris, Mia ?
- D'accord, pas besoin d'être aussi pète-sec. Bien sûr, j'ai compris. Je ne suis pas idiote. Je les laisserai entrer, sans me mêler de rien, puisque c'est ce que tu veux.
- Bien.
Quand je lève les yeux, je vois Anastasia debout à la porte, elle agite la main devant sa bouche, en faisant le geste de manger.
- J'espère que tu aimeras la petite réunion de ce soir, déclare Mia avec un rire aigu.
Je suis certain qu'elle a manigancé quelque chose, mais je n'ai pas le temps de l'interroger davantage... Eh bien, tant pis, moi aussi j'aurais une surprise pour toute ma famille.
- À tout à l'heure, dis-je, avant de raccrocher. (Je regarde Anastasia et lui demande :) J'ai droit à un autre appel ?
Elle hoche la tête. Je remarque alors ce qu'elle porte : une robe très courte qui exhibe ses jambes, et couvre à peine son cul délectable. En fait, c'est presque indécent. Une telle vue devrait m'être réservée, exclusivement. Je n'aime pas du tout l'idée que d'autres hommes puissent se repaître d'un aussi superbe spectacle.
Quand je lui en fais la réflexion, Ana monte sur ses grands chevaux, me signalant que nous sommes à la maison et que personne ne la voit, à part le personnel. J'admets qu'elle n'a pas tort. Taylor n'est pas fou, jamais il ne s'aviserait de mater les jambes Anastasia.
Le dernier appel que je veux passer est à Ray Steele, le beau-père d'Anastasia. Je veux lui parler avant de faire ma grande annonce le soir même, même si rien de ce qu'il me dira ne peut m'empêcher d'épouser sa fille. S'il fait des difficultés, il me faudra utiliser mes talents de négociateur pour le faire changer d'avis. Je le sais très proche d'Ana, aussi je désire sincèrement son approbation. Ce serait important pour elle. Et donc pour moi. D'un autre côté, je respecte ce mec qui deviendra bientôt mon beau-père.
- Mr Steele ? Ici Christian Grey. Je suis heureux d'avoir pu vous joindre, auriez-vous un moment à me consacrer ?
- Bonjour, Christian. Qu'est-ce qui se passe ? Il y a un problème ? C'est Annie ? Elle va bien ? J'ai vu les informations hier soir - est-ce que vous vous en êtes sorti sans casse ?
Il paraît inquiet de mon appel imprévu, je l'entends baisser le son d'une télévision en arrière-fond.
- Je vais très bien, Anastasia aussi, il n'y a aucun problème. Je vous téléphone juste pour vous poser une question très importante. Je suis désolé de ne pas pouvoir le faire face à face, mais c'est plutôt urgent, alors un coup de fil fera l'affaire.
- Oh ? Je ne comprends pas. Quelle question ?
- Mr Steele, j'ai demandé à Anastasia de m'épouser, et elle a accepté. J'aimerais donc vous demander la main de votre fille.
- Quoi. Vous épouser ? Est-ce que ce n'est pas un peu précipité ? Voyons, vous ne vous connaissez tous les deux que depuis quelques semaines, pourquoi voulez-vous déjà vous marier. Y aurait-il une raison à tant d'urgence... ? Insiste-t-il, d'une voix soupçonneuse.
Je me souviens que la mère d'Anastasia était enceinte quand elle a épousé son premier mari, aussi je vois très bien à quoi Ray Steele peut penser.
- Non monsieur, rien de ce genre. J'ai simplement trouvé la femme avec laquelle je veux passer le reste de ma vie, je ne vois pas l'intérêt d'attendre. De plus, je suis en position de lui offrir une vie agréable, comme vous le savez. Je vous promets de m'occuper d'elle de mon mieux.
- Est-ce que Annie est là ? J'aimerais lui parler.
- Bien entendu. Je vous la passe.
Le téléphone à la main, je vais jusqu'à la cuisine où se trouve Anastasia. J'aurais sans doute dû la prévenir que je m'apprêtais à téléphoner à son père, mais maintenant, c'est trop tard.
- J'ai Ray au téléphone pour toi, dis-je, en lui tendant mon BlackBerry.
- Tu lui as dit ! s'écrie-t-elle, affolée.
Je me contente de hocher la tête - conscient qu'elle n'est pas particulièrement heureuse de mon initiative
- Salut, papa, déclare Anastasia.
Elle passe sur la terrasse pour que je ne l'entende pas discuter avec son père. Je la regarde, les sourcils foncés, mais je respecte son besoin d'intimité. Malgré mon impatience, je me force à attendre, et ça me tue.
Au bout de quelques minutes, elle revient jusqu'à moi et me rend mon BlackBerry, le visage fermé. J'examine le pli de contrariété qui marque son front si pur. Elle est adorable, même en colère.
Ray Steele est toujours au téléphone, aussi je continue ma conversation avec lui en retournant jusqu'à mon bureau.
- Mr Steele ? C'est à nouveau Christian. Vous avez parlé avec votre fille, j'espère que vous êtes rassuré : elle éprouve les mêmes sentiments que moi, nous désirons nous marier. Avons-nous votre bénédiction ?
- Oui, mon garçon, Annie est décidée. D'expérience, je sais que plus rien ne l'arrête quand elle a pris sa décision. J'imagine qu'il me faut bien l'accepter.
- Ainsi, Mr Steele, vous m'accordez la main de votre fille ?
- Oui, je présume. Christian, vous me paraissez être un garçon tout à fait correct, j'imagine qu'elle aurait pu trouver pire. Rendez-la heureuse, prenez bien soin d'elle, et nous nous entendrons tous les deux.
- C'est bien mon intention, monsieur. Je veux l'épouser pour m'occuper d'elle tout le reste de ma vie, et je vous assure que rien ne sera plus important pour moi que son bonheur.
Je sens bien que Ray se fout que je sois millionnaire, ce n'est pas ce qui l'intéresse chez moi. Il veut juste que sa fille soit heureuse et en sécurité avec moi.
- Très bien, Christian, vous avez ma bénédiction. Je vous demande simplement quelque chose...
- Bien sûr, Mr Steele - ce que vous voudrez.
- Ça suffit avec « Mr Steele ». Appelez-moi Ray, je vous en prie. Peut-être pourrions-nous un de ces jours aller ensemble à la pêche ?
- Ça me plairait, Ray. C'est quand vous voulez.
Quand je retourne dans la cuisine, je me sens très fier : Ray Steele est un homme bien et il me considère digne d'épouser sa fille.
- J'ai la bénédiction de ton père, dis-je à Anastasia. (La franchise me pousse à ajouter :) Même s'il s'est montré un peu bourru.
Pour une raison étrange, la mauvaise humeur d'Ana se dissipe immédiatement : elle se met à glousser, ce qui me fait sourire. Je suis très satisfait d'avoir suivi les traditions et demandé sa main à son père. J'ai le sentiment de faire les choses bien. Quelque part, ça rend aussi notre mariage plus réel, plus solide, et c'est un sentiment qui plaît infiniment à un maniaque du contrôle dans mon genre.
Je m'assois à côté d'elle au comptoir et nous savourons ensemble le délicieux repas préparé par ma fiancée. Bon Dieu, ce mot m'enchante ! Ma fiancée...
Le saumon est délicieux et fondant, les pommes de terre moelleuses, la salade croquante ; c'est sans doute parce que je suis heureux que tout a un goût aussi parfait. Je complimente Anastasia de ses talents en levant un verre de vin blanc pour porter un toast à sa santé. Elle s'empourpre et m'adresse son merveilleux sourire.
Je repense aux photos que José a prises de ce sourire. Malheureusement, cela me rappelle aussi la réflexion qu'elle m'a faite ce matin... je m'étais promis d'aller au fond des choses.
Pourquoi pas maintenant, Grey ?
Je veux savoir pourquoi Anastasia m'a parlé de photos avant d'entrer dans ma salle de jeu. Pourquoi m'a-t-elle demandé de ne pas en prendre d'elle ? Quand je lui pose la question, elle baisse les yeux, rouge et embarrassée, les yeux fixés sur ses doigts noués. Elle fait toujours ça quand elle n'est pas sûre d'elle. Cette réaction m'inquiète. Je ne veux pas qu'elle la ressente avec moi.
- Ana ! Qu'est-ce qui se passe ? Dis-je, d'un ton ferme.
Je veux savoir ce qu'elle a. Je veux savoir ce qui la met dans cet état. - J'ai trouvé tes photos, chuchote-t-elle.
Et merde ! À voir sa réaction dans le contexte, je devine immédiatement de quelles photos il s'agit : celles que je prenais de chacune mes soumises - dans des positions... compromettantes -, afin de m'assurer qu'elles ne parlent jamais de ce qui s'était passé entre nous.
Mais comment... ?
- Tu as fouillé dans le coffre ? Dis-je, sidéré.
- Le coffre ? Non. Je ne savais pas que tu avais un coffre.
Et je sais qu'elle dit la vérité. Bon Dieu, comment ces vieilles photos ont-elles quitté mon coffre ? Anastasia m'explique les avoir trouvées dans mon dressing, sous le jean délavé que je porte toujours au cours de mes sessions BDSM - sauf aujourd'hui. Il n'y a donc qu'une seule explication : Leila. Elle a dû fouiller mon bureau de fond en comble pour trouver la combinaison de mon coffre. Elle savait que ces photos y étaient, je me souviens qu'elle m'en avait posé la question. Elle était très fière des photos que j'avais prises d'elle, j'imagine qu'elle les a laissées dans mon dressing en guise de message ou d'aide-mémoire. Selon moi, elle m'indique ainsi son accord pour redevenir ma soumise - tout en me démontrant, en images, ce que je peux obtenir avec elle. Elle nous a espionnés, Ana et moi, durant plusieurs jours, elle a dû deviner ou comprendre qu'Ana n'était pas ma soumise, aussi a-t-elle cru pouvoir m'offrir quelque chose de plus. Je parierais n'importe quoi que Leila a détruit les photos de mes autres soumises - ne laissant en évidence que les siennes.
Je sais qu'Ana s'inquiète souvent de ne pas être « assez » pour moi, aussi je ne lui expose pas ma théorie. Je lui explique juste que ces photos n'étaient qu'une sorte de police d'assurance contre les révélations ; et que c'est sûrement Leila qui les a sorties du coffre.
Je suis un peu gêné d'exposer ainsi ce passé qui m'apparait tout à coup sordide.
Je prends note de demander à Flynn d'interroger Leila. Elle s'avère de plus en plus manipulatrice et organisée, c'est assez effrayant.
J'avais tout oublié de ces photos, enfouies depuis des années dans mon coffre. Je n'en ai plus besoin, je vais les détruire. En attendant, il faut que je répare les dégâts : je connais la paranoïa d'Ana envers ce qu'elle croit connaître de mes « besoins » les plus extrêmes.
Je lui prends les deux mains dans les miennes, pour la regarder droit dans les yeux, afin qu'elle sache bien que je suis absolument sincère.
- Je ne veux plus de cette vie. Je veux la vie que nous avons ensemble. Ana, je croyais que nous avions exorcisé tous ces fantômes ce matin. Du moins, c'est mon impression. Pas toi ?
Elle cligne des yeux et reste silencieuse une minute, sans doute pour peser mes paroles.
- Oui, dit-elle enfin, avec un sourire timide. Oui, c'est aussi mon impression.
Avec un peu de chance, nous avons évité un drame. Par contre, je viens d'apprendre une leçon très importante : garder un secret n'est jamais une bonne idée, parce que le moindre squelette caché dans un placard - ou, dans ce cas précis, dans un coffre - s'arrange toujours pour venir vous hanter au pire moment.
Malheureusement, je n'ai pas l'occasion de m'attarder davantage. J'embrasse doucement Ana en lui expliquant :
- Il faut que j'aille travailler. Je suis désolé, baby, mais j'ai une montagne de choses à régler cet après-midi.
- Aucun problème. Je dois appeler ma mère. Puis j'aimerais faire quelques courses et te préparer un gâteau.
- Un gâteau ?
Il y a bien longtemps que je n'ai pas eu de gâteau pour mon anniversaire. La perspective d'un gâteau au chocolat m'aidera à passer l'après-midi.
Une demi-heure après, Anastasia passe dans mon bureau, m'annonçant qu'elle descend chez l'épicier. Merde ! Non ! Je ne veux pas qu'elle sorte dans cette robe !
J'ai beau protester, elle s'enfuit jusqu'à l'ascenseur en me laissant planté comme un con. Elle est rapide, je dois le reconnaitre - à contrecœur. À l'idée qu'elle m'a désobéi, un élan de rage monte en moi. J'aimerais l'empoigner et lui coller une raclée... en même temps, j'aimerais l'embrasser et la baiser. Passera-t-elle sa vie à me défier ? Pourquoi fait-elle exprès d'exciter ma jalousie, toujours prête à s'enflammer ? Étouffant un soupir de frustration, je retourne dans mon bureau, où du travail m'attend toujours.
Je suis en communication avec Welch quand elle revient - je remarque qu'elle parait contrite.
- Et le spécialiste Eurocopter doit venir lundi après-midi ? Dis-je en la fixant d'un regard sévère.
- Oui, monsieur. Il y aura aussi Alex Pella en personne.
- Bien. Tenez-moi informé.
- Il travaille déjà dessus.
- Dites-lui que j'ai besoin d'avoir un rapport sur ce qu'il aura trouvé lundi soir ou mardi matin. Après avoir raccroché, je pivote pour examiner d'un œil sévère ma fiancée rebelle.
- Tu es fâché ? demande-t-elle d'une petite voix.
J'examine ce que je ressens et opte pour la vérité :
- Oui.
D'un geste impulsif, je l'attire sur les genoux.
- Je suis désolée, dit-elle, serrée contre moi. Je ne sais pas ce qui m'est passé par la tête.
J'adore avoir Anastasia sur mes genoux, j'adore la façon dont elle se pelotonne comme un petit chaton. J'imagine qu'elle est aussi sensuelle et caressante qu'une chatte, parce que nous terminons toujours par baiser après ce genre de préliminaires. Là, c'est facile : elle est à califourchon sur mes genoux, la robe remontée jusqu'à la taille... notre dispute se termine de la façon habituelle. Un orgasme bref et brutal - très satisfaisant.
Je m'en souviendrai en travaillant, c'est une façon agréable de se réconcilier.
Anastasia m'a préparé un délicieux gâteau au chocolat. C'est un geste aimant, j'apprécie qu'elle ait pris le soin de le faire plutôt que de l'acheter. De plus, c'est une pâtissière émérite, je suis heureux de déguster le résultat de ses efforts. Elle a même mis une bougie que je souffle, en faisant un vœu.
Mon vœu : que nous soyons toujours aussi heureux ensemble qu'aujourd'hui ; que nous restions ensemble à jamais ; que notre amour perdure.
Je passe le reste de l'après-midi dans mon bureau à travailler. Ce soir, je pourrai ainsi me détendre sans arrière-pensée.
Je veux que la soirée soit absolument parfaite.
***
Nous partons enfin à Bellevue. Anastasia porte une robe cocktail d'un vert émeraude avec une large ceinture. Elle est superbe. Je prends la R8 que je conduis moi-même, Taylor nous suit avec l'Audi.
Mon père m'accueille avec enthousiasme, ce qui me surprend après notre échange de l'après-midi.
- Christian, bonsoir. Joyeux anniversaire, mon fils ! s'écrie-t-il en me serrant dans ses bras.
- Euh... merci, papa. Maman est juste derrière lui.
- Ana, comme c'est charmant de vous revoir.
Il semble que Miss Kavanagh ait une fois de plus décidé de foutre mes plans en l'air.
Dommage qu'elle ne soit pas restée à la Barbade, hein, Grey ?
À peine sommes-nous entrés dans la maison qu'elle se jette sur nous en agitant un papier. Elle parait folle de rage - le visage blême, les yeux durs.
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50 nuances de Grey version Christian. Tome 2 Passion
RomansaLa rencontre de Christian Grey, richissime homme d’affaires aux goûts extrêmes, avec Anastasia Steele, étudiante désargentée, l’a précipité dans une relation inhabituelle qui a irrémédiablement modifié son mode de vie. Quand Anastasia le q...