Chapitre 22

14.3K 160 24
                                    

Je suis extrêmement surpris par la réaction d'Anastasia, qui fait montre envers Katherine d'une agressivité que je ne lui ai jamais vue. Qu'y a-t-il donc sur ce papier ? Serait-ce la lettre d'un ancien amoureux ? Il ne peut s'agir d'un amant, j'en suis certain, elle n'en a jamais eu. Mais l'idée qu'elle ait pu me cacher une lettre d'amour me trouble intensément.
- Ana, qu'est-ce qui se passe ? Dis-je, d'un ton crispé.
Elle ne me répond pas. Elle se concentre entièrement sur Katherine Kavanagh. Et je sens un frisson très désagréable me parcourir - je me souviens du vieux dicton : quelqu'un vient de marcher sur ma tombe.
- Kate ! Cela ne te regarde pas ! Aboie Anastasia, enragée.
Manifestement, sa colocataire n'est pas habituée à entendre Ana lui parler avec tant de venin. Elle cligne des yeux, l'air hébété. Je sens bien qu'Ana aimerait me laisser à l'écart de leur querelle, d'ailleurs elle finit par me l'ordonner d'un ton sec :
- Christian, tu veux bien nous laisser, s'il te plaît ?
Quoi ? Il n'en est pas question. D'inquiet, je passe à carrément furieux. Je tends la main, décidé à savoir de quoi il s'agit.
- Non. Montre-moi.
Elle reconnaît l'autorité dans ma voix, et me tend le papier. Il me suffit d'un seul coup d'œil pour réaliser que c'est le mail d'Anastasia réclamant des explications sur mon contrat de soumission, celui qu'elle m'avait envoyé alors que nous en discutions encore...
J'ai la sensation de sombrer. De très loin, j'entends la voix affolée de Miss Kavanagh.
- Qu'est-ce qu'il t'a fait ? S'écrie-t-elle
À ma grande surprise, c'est Anastasia qui contre-attaque avec une efficacité impressionnante. - Ça ne te regarde pas, Kate ! Répond Anastasia exaspérée.
Le sang s'est glacé dans mes veines. C'est la première fois qu'une personne proche de mon cercle familial obtient un indice sur mon mode de vie. Une seule chose m'importe, c'est l'impact que cette découverte aura sur ma relation avec Anastasia. Vont-ils essayer de me l'enlever ? Je serais prêt à tuer pour que ça n'arrive pas. À qui cette sale fouineuse a-t-elle pu parler de sa découverte ? À Elliot ? À mes parents ? Où a-t-elle trouvé ce message ?
- Où avez-vous trouvé ça ?
Je reconnais à peine ma voix, elle est d'un calme létal ; je surveille la réponse de Miss Kavanagh avec une attention que je réserve en temps normal à mes marchés les plus importants. Elle réalise la menace, et s'empourpre. Elle cherche d'abord à esquiver, puis cède et admet :
- C'était dans la poche d'une veste - la tienne, je suppose - que j'ai trouvée accrochée à la porte de la chambre d'Ana.
Je me rappelle avoir imprimé ce mail à l'hôtel Heathman, pour en discuter avec Ana - ma future soumise. Je l'avais mis dans la poche du veston... que j'ai ensuite posé sur les épaules d'Anastasia pour qu'elle n'ait pas froid. Elle a dû l'oublier au cours du déménagement.
Et comment Katherine Kavanagh serait-elle tombée dessus sans fouiller dans les affaires d'Ana, Grey ?
- Vous en avez parlé à quelqu'un ?
- Non ! Bien sûr que non.
Elle est sincère. Je le sais. J'ai du mal à ne pas vaciller sous le tsunami de soulagement qui se déverse en moi. D'un geste décidé, j'emporte le document compromettant jusqu'à la cheminée où je le fais brûler, en m'assurant qu'il n'en reste rien.
Quelque part, malgré moi, j'apprécie que Kate soit aussi protectrice envers Anastasia, mais son timing déplorable. Quelle ironie vraiment que ma famille découvre de ma vie secrète au moment où je compte l'abandonner !
Katherine affirme à plusieurs reprises que son seul but était de veiller au bien-être d'Ana. Il lui faut un moment pour admettre enfin que tout va bien dans le meilleur des mondes.
Je finis par abattre mon dernier atout :
- Ana a accepté de devenir ma femme, Katherine.
- Ta femme !
À entendre sa voix, elle s'inquiète sur la santé mentale de... qui ? - la mienne ou celle d'Ana ? Elle est choquée, furieuse... et vexée aussi de ne pas avoir été tenue au courant. Mais plus que tout, elle réalise être impuissante à s'opposer à deux adultes consentants qui se fichent complètement de son avis.
- Je l'aime et il m'aime, chuchote Anastasia d'un ton suppliant. Ne fais pas ça. Ne gâche pas son anniversaire et notre soirée.
Je déteste la voir s'abaisser et supplier cette femme ! En même temps, j'aime la façon dont elle défend notre amour, envers et contre tout.
Miss Kavanagh insistant encore pour être rassurée, Anastasia finit par déclarer :
- Je n'ai jamais été aussi heureuse.
J'ai la sensation étrange de tomber une fois encore amoureux d'elle. En silence, j'essaie d'analyser le millier de sentiments qui tourbillonnent en moi : parmi les plus forts, la terreur - aussi bien de perdre Anastasia que de décevoir, une fois encore, ma famille - et la rage, que je maîtrise à grand- peine - contre moi, d'avoir été aussi imprudent, et contre cette femme, qui intervient dans nos affaires.
Elle a beau s'excuser, je n'ai pas envie de lui pardonner. D'ailleurs au même moment, il y a un coup à la porte, et ma mère passe sa tête pour s'assurer que tout va bien. Elle scrute d'un air inquiet Anastasia et Katherine - la trouble-fête - qui s'empresse de la rassurer :
- Tout va très bien, Mrs Grey.
- Ça va, maman, dis-je à mon tour.
Au milieu de ce désastre, Miss Fout-la-merde Kavanagh a réussi au moins une chose : ne pas prévenir mon frère. Maintenant que le papier compromettant est brûlé, j'espère que nous en resterons là. Anastasia faisant confiance à sa colocataire pour se taire, je suis bien obligé d'en faire autant.
Je n'oublierai pas de sitôt ce petit intermède déplaisant.
Ma mère me serre dans ses bras et m'exprime une fois encore à quel point elle est heureuse, aussi bien de m'avoir retrouvé en vie que d'apprendre mon prochain mariage.
- Est-ce que ta mère est au courant pour nous deux ? S'étonne Anastasia lorsque nous quittons tous ensemble la pièce.
- Oui.
- Oh.
Elle paraît surprise, puis soulagée. Elle me regarde avec un grand sourire radieux et déclare :
- Eh bien, la soirée a débuté de manière intéressante.
- Comme toujours, Miss Steele, tu as un don pour l'euphémisme.
En quelques mots, elle a dissipé ma colère ; elle m'a aussi donné envie de rire. Personne n'est capable de voir la vie à travers les yeux d'Ana. Quand elle s'énerve, c'est comme un coup de tonnerre en plein désert : très violent, mais ça disparaît en quelques minutes. Je lui embrasse le dos de la main et nous rentrons ensemble dans le salon de mes parents, où nous sommes accueillis par un tonnerre d'applaudissements mêlés à des cris de « bon anniversaire ».
J'aperçois la petite bonne Allemande - dont j'oublie toujours le nom - s'approcher de moi avec un plateau de coupes de Champagne.
- Je crois bien que je vais avoir besoin d'un verre.
Avec un soupir résigné, j'inspecte la foule qui m'entoure... Mia n'a pas chômé ! Il y a là toute ma famille, ainsi que quelques amis : John Flynn et son épouse, Rhianne ; Ros Bailey et Gwen ; Liam McConnell (Mac), Claude Bastille... Malheureusement, il y a aussi Elena. Je sens Anastasia se raidir dès qu'elle l'aperçoit. J'aurais préféré éviter une tension, surtout ce soir, mais Elena est une vieille amie de la famille, elle participe souvent à nos réunions. Pour être franc, elle ne m'est devenue pénible que depuis peu.
Elle se précipite sur moi, le visage marqué d'inquiétude et d'intérêt. La connaissant bien, je note la façon dont ses yeux bleus glacés et réprobateurs examinent Anastasia, collée contre moi. Elena pince les lèvres. Je sais qu'elle n'apprécie pas un comportement aussi expansif en public. Je me contrefous de son opinion, je lui ai déjà exprimé qu'Anastasia était ma compagne : si elle veut me parler, il lui faudra accepter sa présence constante à mes côtés.
Anastasia est superbe dans sa robe verte, fraîche et lumineuse comme une matinée de printemps. Au contraire, Elena porte du noir, déesse de l'ombre, vénéneuse et perverse. Autrefois, je la trouvais très élégante ; aujourd'hui, cette monochromie me parait ennuyeuse et prévisible.
- Christian, j'étais tellement inquiète ! S'exclame-t-elle, avec une exaltation un peu trop dramatique.
- Je vais bien, Elena, dis-je, fraîchement.
- Pourquoi ne m'as-tu pas appelée ? Insiste-t-elle, d'un ton plus sec
Parce que ça me gonfle qu'elle me harcèleet soit aussi possessive vis-à-vis de moi. Les circonstances ont changé. Elle paraît ne pas l'avoir réalisé. Je veux prendre du recul avec elle. Je ne l'ai pas rappelée délibérément.
- J'ai été occupé.
Elle n'apprécie pas du tout ma réponse et insiste sur ses nombreux messages, je lui renvoie un regard indéchiffrable. Ne sachant que faire, elle se tourne vers Anastasia, un sourire faux aux lèvres :
- Ana. Vous êtes ravissante, ma chère.
Ana répond tout aussi hypocritement. Je soupire... une chance qu'elles aient opté pour la guerre froide - mais polie. Je décide de séparer ces deux femmes autant que possible tout le reste de la soirée. D'ailleurs, je vois le regard étonné que ma mère jette vers notre trio. Hôtesse parfaite, elle a dû réaliser la tension entre nous.
Je vois bien qu'Elena aimerait un aparté, ça ne m'intéresse pas, j'ai une annonce à faire, aussi je la repousse, ce qu'elle prend avec une mauvaise grâce évidente.
Levant mon verre de Champagne, j'attire l'attention générale avant d'indiquer que Miss Anastasia Steele a accepté de devenir ma femme. Bien entendu, ma famille, toujours exubérante, se met à hululer, crier et applaudir. Tous se jettent sur moi - et sur Anastasia la pauvre -, pour d'affectueuses étreintes et félicitations. Maman a les larmes aux yeux tellement elle est heureuse, ce qui me fait plaisir. Il est rare pour moi de réussir à satisfaire ma mère, aussi je savoure l'occasion.
- Oh Ana, je suis tellement ravie que tu fasses bientôt partie de la famille ! dit-elle en serrant ma fiancée dans ses bras. Ce changement chez Christian. Il est... heureux. Je t'en suis tellement reconnaissante.
Anastasia s'empourpre, très gênée, mais je sais bien qu'elle est ravie d'une acceptation aussi enthousiaste. Et la voir heureuse me plait infiniment.
Malheureusement, Mia intervient avec une question que j'aurais préféré ne pas entendre, pour le moment.
- Où est la bague ?
Ma sœur est d'un lourd ! Qu'a-t-elle besoin d'exprimer tout ce qui lui passe par la tête sans se donner la peine de réfléchir deux secondes. À son avis, pourquoi ai-je fait venir un fleuriste dans le hangar à bateaux ? Je ne veux pas qu'elle me gâche ma surprise.
- Nous en choisirons une ensemble, dis-je, les dents serrées, en fusillant Mia du regard.
Pour la faire taire, je la menace de prendre l'avion dès demain pour Vegas - afin d'avoir un mariage en tête-à-tête, sans interférence. En réalité, Anastasia et moi n'avons pas encore discuté de nos projets concernant ce mariage. Tout est tellement récent.
Je repère tout à coup un visage maussade dans l'assemblée. Lily, la pimbêche que Mia affirme être sa meilleure amie. Je ne l'avais pas vue. Apparemment, elle digère mal son champagne. C'est pourtant une excellente cuvée.
Quand John s'approche, accompagné de sa ravissante épouse, Rhianne, je fais les présentations, parce qu'Anastasia ne la connaît pas encore. Très amusé, je remarque la façon dont Ana l'étudie avec attention. Ce doit être inné, ce besoin d'examiner une adversaire potentielle. Mais Rhianne, que j'embrasse avec affection, n'a rien d'une rivale, c'est une mère dévouée et une épouse fidèle ; Ana se détend vite en le réalisant. Laissant les deux femmes échanger quelques mots, je prends le Dr Flynn à l'écart pour lui parler de Leila.
- Elle va mieux, Christian, répond-il avec chaleur. Elle réagit bien au traitement. Encore deux semaines et nous pourrons envisager un programme externe.
- Demandez-lui quelque chose pour moi, dis-je, en baissant la voix. Apparemment, quand elle a pénétré dans mon appartement, elle a réussi à ouvrir mon coffre-fort. Elle en a sorti des photos d'ordre privé qu'elle a laissées dans mon dressing. Je pense qu'il s'agit d'un message. Elle voulait que je les trouve.
- Quel genre de photos ? S'étonne John.
- À votre avis ? Dis-je, avec un ricanement moqueur. Je les ai prises dans la salle de jeu.
John y réfléchit durant une minute. Il est au courant de ma façon de me protéger d'éventuelles révélations après rupture de contrat.
- Pourquoi les avoir gardées, Christian ?
- Parce que je les avais oubliées. Je les ai détruites ce matin. Je voudrais simplement savoir pourquoi Leila a laissé les siennes dans mon placard.
- Encore une fois, c'est un signe d'obsession assez inquiétant. Êtes-vous certain que ce soit elle ?
- Je ne vois pas qui d'autre aurait eu l'occasion de fouiller mon bureau de fond en comble pour découvrir la combinaison de mon coffre. Leila est la seule déséquilibrée dont j'ai eu à souffrir récemment.
- Je suis très déçu, admet John, en secouant la tête. Leila ne m'en a pas parlé, ce qui signifie qu'elle me cache encore des choses. Dans ce cas, la thérapie est loin d'être aussi avancée que je l'espérais.
Il soupire et se rembrunit.
- Tenez-moi au courant... pour ces photos, dis-je.
- Bien entendu. Pour le moment, c'est votre anniversaire, oublions ce genre de problème.
Je vois bien qu'Anastasia me regarde avec curiosité, elle doit se demander de quoi John et moi parlons. Peut-être a-t-elle même compris qu'il s'agissait de Leila.
Je présente ensuite Anastasia à Ros et Gwen. Ros examine ma fiancée et m'adresse ensuite un signe appréciateur du pouce - pendant qu'Ana ne la regarde pas. Pour la première fois, je ressens un élan de jalousie envers une autre femme, bien que je m'efforce de ne pas le montrer. Je me renfrogne également quand Gwen embrasse Ana avec chaleur. Bien sûr, je sais que ces deux-là forment un couple solide, mais quand même... je récupère Ana à mes côtés. Je préfère ne courir aucun risque.
Ros se lance dans un récit extrêmement fantaisiste de notre accident, vantant mes talents de pilote et la façon dont j'ai fait atterrir Charlie Tango en agitant ma baguette magique. Anastasia rit de bon cœur.
- Mr Grey est un bon pilote, mais il a parfois des réflexions étranges, déclare Ros. Imaginez- vous un peu, il a cherché à me faire abandonner mes chaussures en pleine nature ! Des Manolo Blahnik !
Les trois femmes se retournent vers moi, avec le même regard indigné. Parfois, il est difficile de comprendre le beau sexe. Ros et moi étions à pleine nature, après un accident d'hélicoptère qui aurait pu s'avérer fatal, et les voilà qui se préoccupent d'une putain de paire de chaussures ?
Gwen se tourne à nouveau vers Ana pour dire :
- J'ai vraiment eu un choc quand Ros est apparue sur le seuil, pieds nus, avec des ampoules et couverte de terre ; elle n'est jamais dans un état aussi déplorable.
- Dan m'avait heureusement laissée juste devant la maison, précise Ros.
- Où habitez-vous ? Demande à savoir Anastasia.
- Pas très loin de l'Escala, répondent les deux femmes en même temps.
Peu après, Mia demande à parler avec Anastasia et l'entraîne avec une mine de conspiratrice dans la salle à manger, en prétendant avoir besoin de son avis. Pour une fois, elle agit selon mes consignes, ce qui me laisse le temps d'aller vérifier dans le hangar à bateaux que tout a été organisé selon mes instructions. C'est le cas. Je regarde autour de moi avec une satisfaction béate ; j'espère qu'Anastasia sera contente.
Pour la centième fois de la soirée, je vérifie dans ma poche, afin de m'assurer que je n'ai pas perdu l'anneau. Cartier me l'a fait délivrer par porteur spécial, ce matin seulement, puisque la journée d'hier a été quelque peu bouleversée par mon équipée en pleine nature. J'ai trouvé sur ma messagerie vocale de nombreux messages de Josh Andrew, très inquiet que je ne sois pas passé récupérer ma commande.
Quand je reviens auprès des invités, Anastasia n'y est pas. Et merde ! Je me demande ce que ma sœur a inventé pour la retenir aussi longtemps. Le buffet est déjà servi dans la cuisine. J'en profite pour discuter un moment avec Mac : je veux qu'il donne à Anastasia des leçons de voile, pour que nous puissions partir tous les deux, quelques jours en pleine mer. Il accepte avec enthousiasme, ce qui me satisfait.
Tout à coup, je me souviens que Mia a offert à Ana un des Martinis-citron que fait mon père - c'est un cocktail extrêmement fort pour une néophyte. Anastasia avait déjà bu deux verres de champagne, le mélange a pu la rendre malade. Je sais aussi qu'elle supporte mal l'alcool. Je décide de partir à sa recherche.
Je n'ai pas à aller loin...
- ... n'avez aucune idée de ce qui vous attend. Et si vous croyez qu'il va être heureux avec une
minable petite croqueuse de diamants comme vous...
- Comment osez-vous me dire ce qui m'attend ! Quand allez-vous enfin comprendre ? Ça ne vous regarde pas !
Je dois forcer la porte de la salle à manger derrière laquelle j'entends hurler. Dès que je l'ouvre, je tombe en plein drame.
Elena dégouline d'un liquide sirupeux qu'elle a manifestement pris en plein visage. À l'odeur, c'est un des cocktails Martini-citron de mon père. Quant à Anastasia, elle est livide et tremble de rage. Pour une raison étrange, elle vient de jeter le contenu de son verre sur Elena. C'est envers mon ex- dominatrix que je dirige ma fureur, alimentée par mon incompréhension et mon inquiétude.
- Bordel, mais qu'est-ce que tu fous, Elena ?
Instinctivement, je me place entre les deux femmes, je ressens le besoin instinctif de protéger Anastasia, petite et mince, d'Elena, qui doit faire une vingtaine de kilos de plus qu'elle. C'est ironique, mais Ana avait pris la même posture, il y a peu, pour me protéger de Katherine Kavanagh.
La soirée ne cesse de s'aggraver on dirait, Grey !
Elena parait surprise de me voir prendre parti contre elle
- Elle ne te convient pas, Christian, déclare-t-elle à mi-voix, tout en fusillant Ana du regard.
Je ne m'attendais pas à une déclaration pareille. Comment ose-t-elle prétendre savoir ce qui me convient ou pas ?
- Quoi?
Ma voix est si mauvaise que j'ai du mal à la reconnaître. Encore une qui cherche à m'enlever Ana ? J'ai des envies de meurtre.
- Tu as des besoins, Christian, chuchote-t-elle d'une voix sirupeuse.
Je lis la satisfaction dans ses yeux - son sourire - son expression. Elle s'imagine jouer là son atout. Des besoins ? Elle m'a introduit au monde BDSM... elle a réussi à me faire croire, des années durant, que je ne pourrais trouver satisfaction et soulagement sans violence sous la forme la plus extrême. En fait, elle n'est rien qu'une mère maquerelle. Elle a créé en moi une addiction, tout aussi destructrice que la drogue.
La rage me pousse à monter le ton.
- Je te l'ai déjà dit ! Ça ne te regarde pas ! Merde ! (Et tout à coup, une idée me vient : est-ce
que par hasard...) Qu'est-ce qui te prend ? Tu crois que c'est toi ?
Je lis la réponse dans ses yeux « oui » - en plus, elle hoche la tête. Je n'arrive pas à y croire ! Le
mépris et le dégoût me font frissonner d'un rejet de tout mon être. Je reprends de plus belle :
- Toi ? Tu crois que TOI, tu me conviendrais ?
Elena réagit d'instinct. Elle se redresse de toute sa taille, la tête en arrière comme un cobra qui va frapper - c'est sa posture de dominatrix. Elle avance vers moi et cherche à m'intimider. Pauvre conne ! Je n'ai plus quinze ans ! Il y a des années que son petit jeu ne me touche absolument plus.
Quand elle le réalise, ça la met en colère. D'une voix sifflante, elle me crache :
- J'ai été la meilleure chose qui te soit jamais arrivée. Regarde-toi aujourd'hui. Tu es l'un des hommes d'affaires les plus riches et les plus brillants des États-Unis. Tu es contrôlé, déterminé, autonome. Tu es le maître de l'univers.
Elle jette à Ana un regard de mépris, comme si j'étais bien supérieur à elle.
Sous le choc, je recule d'un pas. Je n'arrive pas à croire à l'arrogance de cette femme. Est-ce que par hasard elle se croirait l'instigatrice de mon succès ? Elle s'imagine que je le lui dois ? Du coup, elle croit me posséder - comme un animal de compagnie ? J'évoque brièvement les longues heures de travail de ces dernières années... L'incrédulité me laisse sans voix.
Elena en profite. Elle n'en a pas terminé, elle cherche à réveiller d'anciens souvenirs :
- Tu aimais ça, Christian, n'essaie pas de te mentir. Tu étais sur le chemin de l'autodestruction et je t'ai sauvé. Je t'ai sauvé d'une vie derrière les barreaux. Crois-moi, baby, c'est là que tu aurais fini. Je t'ai appris tout ce que tu sais, tout ce dont tu as besoin.
Si j'aimais ça ? Je revois les coups, les abus... et la dernière fois où j'ai été son soumis, quand elle a cherché à forcer ma limite majeure - cette femme en rouge qu'elle incitait à me toucher... Je frissonne de dégoût.
C'était la façon d'Elena d'assurer son pouvoir, Grey !
Sa voix mauvaise ranime des souvenirs immondes.
Je me rappelle ce que John Flynn m'a dit et redit : tout aurait pu être différent. Elena aurait pu assouvir mes désirs de façon plus humaine, plus aimante. Dire qu'il m'a fallu toutes ces années de violence et de haine pour réaliser que je n'existais pas avant Anastasia. Ma douce compagne a commencé à guérir les dégâts qu'Elena avait commis : son amour cicatrise mes plaies à vif.
Je ne ressens pour Elena que du mépris - auquel se mêle une sorte de compassion, parce qu'elle ne comprendra jamais ce qu'elle perd, ce qu'elle n'a jamais connu...
Les mots s'échappent de moi presque malgré moi :
- Tu m'as appris à baiser, Elena. Mais tout cela est creux. Comme toi. Pas étonnant que Linc t'ait quittée. Tu ne m'as jamais pris dans tes bras. Tu ne m'as jamais dit que tu m'aimais.
Elle se durcit, la lèvre hautaine et arrogante. Et elle lâche son credo :
- L'amour, c'est pour les imbéciles, Christian.
- Sors de chez moi !
Ce hurlement inattendu me fait sursauter, Anastasia et Elena sont tout aussi surprises que moi. Nous nous retournons et... il y a ma mère à l'entrée de la salle à manger.
Bordel, ce coup-là, c'est la catastrophe, Grey.
Depuis combien de temps est-elle là ? Qu'a-t-elle entendu au juste ? Suffisamment pour savoir qu'Elena et moi avons eu une liaison. D'ailleurs, ce n'est pas vrai, une liaison implique une émotion. Nous avons baisé. Point final.
Je n'ai jamais vu ma mère aussi en colère. Elle a le visage livide marqué de taches rouges aux pommettes, les yeux incandescents. Elle avance jusqu'à Elena, vibrante comme un ange vengeur, et la gifle en travers de la figure de toute la force de son bras levé. Le son claque avec une violence qui renvoie des échos dans la pièce silencieuse.
Je n'arrive pas à y croire. Je n'aurais jamais pensé ma mère capable d'un tel geste. Je ne l'aurais sans doute pas cru si je ne l'avais pas vu de mes propres yeux.
Anastasia est en état de choc - figée, la bouche ouverte, le teint cendreux.
- Ôte tes sales pattes de mon fils, immonde pétasse ! Crache ma mère d'une voix venimeuse. Et sors de chez moi ! Tout de suite !
Tout d'abord, Elena reste plantée, à cligner des yeux - à réaliser peut-être l'étendue du désastre -, puis elle se reprend et s'enfuit, la main accrochée à la joue. J'imagine qu'elle portera longtemps la trace de cette gifle.
Ce n'est pas le moment idéal pour te vanter de ton expertise en la matière, Grey.
Effectivement, c'est à moi désormais d'affronter ma mère. Elle demande, d'une voix contenue, à Ana de lui accorder une minute ou deux en privé avec moi. Ana accepte, bien entendu, sort à la hâte. Je souhaite désespérément pouvoir la suivre, j'aimerais lui parler, la réconforter, savoir ce qu'elle pense... Je suis tellement désolé qu'elle ait dû assister à tout ça. Surtout ce soir !
Je dois rester et faire face à ma mère. Le silence est si pesant qu'il en est assourdissant. Je fixe le visage de cet ange qui m'a adopté autrefois et sauvé de la misère. Elle ne cache rien de ce qu'elle ressent : choc, colère, déception... mais par-dessus tout, douleur. J'évoque les Pietà49 italiennes de la Renaissance. Tant de souffrance silencieuse...
- Combien de temps, Christian? Demande ma mère d'une voix basse qui trahit son bouleversement.
Je préférerais qu'elle hurle et qu'elle me gifle aussi. Ce serait moins difficile.
- Quelle importance, dis-je, de façon évasive, c'était il y a longtemps.
- Quel âge avais-tu ?
- Maman, c'est fini depuis des années. C'est du passé...
En fait, je me le demande. Est-ce qu'Elena ne vient pas de me faire une proposition, là ? Je ne sais plus...
- Dis-moi, coupe sévèrement ma mère, m'arrachant à mes pensées. Quel âge avais-tu quand tout cela a commencé ?
Cette fois, je réalise qu'il m'est impossible d'éviter des aveux. Elle insistera jusqu'à ce que je cède. Autant le faire le plus vite possible.
J'inspire profondément.
- Quinze ans.
Choquée, ma mère étouffe un cri. Apparemment, elle ne s'attendait pas à une réponse pareille.
- Christian, tu n'étais qu'un enfant.
- Non maman. J'étais un ado en colère qui partait en vrille. J'étais déjà un jeune homme. Tu te rappelles à quel point j'étais pénible.
- Bien sûr, je m'en rappelle. Mais tu étais quand même un enfant. Aux yeux de la loi - aux miens en particulier - tu l'étais. Comment tout ceci a-t-il commencé ?
- Tu es certaine de vouloir le savoir ?
J'espère encore éviter des aveux complets, mais ma mère refuse formellement mon échappatoire.
- Oui, j'en ai besoin, dit-elle, en secouant la tête. Je veux savoir ce qui s'est passé sous mon nez, sans que je le réalise.
- Ça a commencé l'été de mes quinze ans. Je travaillais dans le jardin, chez Elena. Elle m'a fait des propositions. Elle m'a poussé à travailler, à cesser de boire, à me calmer... en échange de... sexe.
Ma mère ferme les yeux et cherche à contrôler sa respiration. J'imagine qu'elle lutte contre des images de « sexe » entre Elena et moi. Grâce au ciel, elle n'a aucune idée de ce qui s'est vraiment passé. Et j'espère bien qu'elle ne le saura jamais.
- Tu n'as travaillé qu'un été chez elle.
Et merde !
- Toi et papa pensiez que je restais le soir au lycée, pour participer à des activités extrascolaires... en fait, j'allais chez Elena.
- Je m'en souviens. Nous étions très heureux, nous pensions que tu avais enfin des amis, que tu t'amusais comme les autres... une vie normale d'adolescent. Et maintenant, je réalise que tu m'as menti, et que tu allais voir cette... pétasse.
- Je suis désolé, maman. Vraiment désolé. À l'époque, ça m'a paru être une amélioration. Je me sentais plus calme, plus concentré. D'ailleurs, toi et papa étiez heureux que je cesse de me battre et d'être sans arrêt renvoyé du lycée. Je me suis mis à travailler dur parce qu'Elena l'exigeait. Grâce à elle, tout est devenu plus simple dans ma vie.
- Christian, est-ce que tu ne le vois pas ? Elle a abusé de toi. C'était une adulte, une femme mariée, elle a fait semblant d'être mon amie, alors qu'en fait elle... séduisait mon fils. Elle savait parfaitement que c'était illégal, mais elle t'a manipulé quand même. En plus, elle a pu le faire à cause de mes confidences - je lui avais expliqué tes problèmes... C'est misérable. Cette femme est le diable incarné. Ça a duré combien de temps ?
- Jusqu'à mes vingt-et-un ans.
- Six ans ? Tu l'as fréquentée pendant six ans ? Et durant tout ce temps, elle t'a empêché d'avoir une relation normale avec une jeune fille de ton âge ? Ainsi, c'est la véritable raison pour laquelle tu n'as jamais amené de fille à la maison ?
- Maman, je n'aurais jamais pu fréquenter de fille, tu sais très bien que je ne supportais pas qu'on me touche.
- Non, ce n'est pas vrai. Nous ne saurons jamais ce qui aurait pu se passer. Cette misérable avait planté ses griffes en toi bien trop profond. Et ça s'est terminé quand ? Qui de vous deux a fini par rompre ?
- Ça s'est terminé quand Linc l'a découvert. (Je secoue la tête.) D'ailleurs, nous avions déjà décidé d'arrêter d'un commun accord. Nous sommes restés de simples amis.
En réalité, je ne supportais plus d'être le soumis d'Elena, j'avais découvert que ma nature était plutôt de dominer. Ma mère n'a pas besoin d'apprendre ce genre de détails.
- Linc l'a découvert ? C'est pour ça qu'il a divorcé ?
- Je crois qu'il aurait quand même divorcé, mais je présume que ça a été un catalyseur.
- Christian, voyons, tu te rends bien compte que c'était mal. Nous t'avons élevé avec le sens des valeurs, tu dois distinguer le bien du mal.
- Maman, bien sûr. Ce n'est pas de ta faute. Disons qu'à l'époque, j'ai considéré que c'était le moindre mal.
- Ce n'est pas de ma faute, peut-être, mais c'est certainement de celle d'Elena. C'est une putain une salope. Non, pire encore, c'est une pédophile.
- Oui, Ana l'appelle aussi comme ça, dis-je à mi-voix. Elle a vraiment eu du mal à accepter notre relation.
- Ainsi, Anastasia est au courant... concernant Elena ?
- Oui, je n'ai aucun secret pour elle. Je lui ai tout dit.
Absolument tout. Et elle est restée avec moi. C'est une femme merveilleuse - mon ange sauveur.
- Très bien, c'est la solution la plus sage dans un couple. Et puis, c'est la première chose sensée que je t'entends dire. Alors, que s'est-il passé ce soir ?
- Je ne sais pas au juste... une dispute. J'étais sur le point de le découvrir quand tu as fait irruption. Tout ce que je sais, c'est qu'Ana ne peut supporter Elena.
- Je suis absolument d'accord. Moi aussi, je ne peux la supporter. Cette espèce de garce n'a pas arrêté, depuis qu'Ana est dans ta vie, à chercher à te faire rompre. Elle est jalouse d'Ana. Je savais bien que quelque chose n'allait pas quand je l'ai vue la saluer, plus tôt dans la soirée. Elle avait ce faux sourire... mais je n'arrivais pas à comprendre ce qui la motivait. Maintenant, je sais.
- Elena a toujours veillé sur moi, dis-je machinalement. Elle a du mal à abandonner cette habitude.
- Je l'ai entendue te dire que l'amour, c'était pour les imbéciles. Tu sais qu'elle a tort, j'espère ?
- Oui. Maintenant, je le sais. Ana m'a démontré la véritable signification de l'amour. Avec Elena, c'était juste du sexe.
- Bien, tu ferais mieux d'aller retrouver la ravissante fiancée et de t'assurer qu'elle va bien, après cette scène épouvantable. Pour le moment, je pense avoir entendu tout ce que je peux supporter.
Tu sais, je t'en veux beaucoup de m'avoir menti durant tant d'années, mais je suis bien plus en colère contre Elena d'avoir corrompu mon fils, mon petit garçon innocent et vulnérable.
- Tout ce que je peux dire pour ma défense, c'est que sur le moment, je n'ai pas vu les choses comme ça. Maman, tu as raison, je vais chercher Ana. Au fait... Est-ce que tu vas le dire à papa ?
J'imagine déjà le sermon que je vais me taper ! Mon père n'appréciera pas ma liaison avec Elena. Il va recommencer comme quand j'étais adolescent, à me traiter d'irresponsable, d'inconscient, et j'en passe. Et nous finirons par nous quereller - comme autrefois.
Je préférerais l'éviter.
- Oui, Christian, j'en parlerai à ton père. Je n'ai aucun secret avec lui. Comme toi, avec Ana. Il faut que je lui dise. Par contre, nous n'en parlerons à personne. Ton frère et ta sœur n'ont pas besoin de l'apprendre.
- Bien, je m'en doutais, dis-je, avec un soupir résigné.
Je quitte la salle à manger pour chercher Anastasia.
Au début, je ne la trouve pas. Heureusement, tous les invités sont devant le buffet, inconscients du drame qui vient de se jouer dans la salle à manger. Ana est dans la maison, sinon Taylor m'aurait prévenu. Où peut-elle être ?
Et tout à coup, j'ai une illumination : je sais où elle s'est réfugiée. Je commence à grimper les escaliers quand je la vois descendre. J'avais raison. Elle était dans ma chambre d'enfant.
Nous restons assis tous les deux un moment au sommet des marches, à parler. Ana comprend tout à fait pourquoi ma mère a été si violente envers Elena. Toutes deux éprouvent la même chose : Elena a abusé de moi ; elle m'a manipulé ; elle s'est montrée vile et égoïste. J'ai du mal à l'admettre. J'ai toujours considéré que son intervention m'avait sauvé de la catastrophe. Maintenant, je commence à me demander si je n'ai pas été aveugle. Aussi bien ma mère qu'Ana et John affirment la même chose - et s'ils avaient raison ? Peut-être n'étais-je pas aussi intelligent que je m'en suis toujours flatté... Dire que j'ai toujours cru avoir une claire vision des choses ! Ça me déplaît infiniment d'imaginer avoir été influencé durant toutes ces années - sans même le réaliser.
Peut-être était-ce le sexe ? J'ai été aveuglé par du sexe extrême, violent, sadique. Je ne connaissais rien de tout ça avant qu'Elena me le fasse découvrir, pas vrai ? Et je n'ai rien appris question douceur ou tendresse, parce qu'Elena m'affirmait que ce n'était pas pour moi. Oui, comme je l'ai déjà copris plus tôt, c'est à cause d'elle que je suis devenu accro au BDSM. Bon, je dois quand même admettre avoir été facile à convaincre. Tout ce qu'elle m'a montré convenait si bien à ma nature tourmentée. Que ce serait-il passé au juste si j'avais rencontré à l'époque quelqu'un d'aussi tendre qu'Ana ? Franchement, je ne suis pas certain que je l'aurais acceptée. J'étais bien trop en colère, bien trop incontrôlable.
- Alors comment te sens-tu ? demande-t-elle doucement.
- Je me sens libéré.
C'est la vérité. Plus de secret. Je n'aurai plus à tenir ma famille à distance de peur qu'ils découvrent ma double vie.
Bien sûr, toute relation avec Elena est terminée. Elle n'a plus sa place dans ma vie. J'ai l'intention dès lundi de demander à mon avocat de transférer à Elena toutes mes parts dans ses salons de beauté - en guise de cadeau d'adieu.
- Plus de Mrs Robinson ? Demande Anastasia avec un grand sourire.
- Disparue.
Elle est heureuse, ça me suffit. Je suis certain d'avoir pris la bonne décision.
***
Tous les invités ont fini par partir, il ne reste que ma famille et les Kavanagh. Chacun est occupé : dans le salon à jouer sur la Wii - côté femmes - ; à boire et à manger dans la cuisine - côté hommes.
C'est l'heure. Me tournant vers Ana, je lui tends la main et ordonne :
- Viens, je veux te montrer quelque chose.
Bien entendu, Elliot se croit obligé de faire une réflexion débile au moment où nous passons devant lui. Je suis tellement nerveux que je ne me donne même pas la peine de l'envoyer se faire foutre. En fait, c'est mon père qui s'en charge - d'un simple coup d'œil autoritaire, il réussit à faire taire mon abruti de frère.
J'entraîne Ana dans le jardin, en direction du hangar à bateaux. La nuit est parfaite, lumineuse et claire ; la vue somptueuse, avec Seattle qui brille de l'autre côté de la baie.
- Christian, j'aimerais aller à l'église demain, déclare tout à coup Anastasia.
- Oh?
Cette décision m'étonne, mais Ana m'annonce avoir prié pour que je revienne en vie après mon accident. Comme son vœu a été exaucé, elle veut rendre grâce. Moi-même, j'ai fait quelques prières, aussi je l'accompagnerai à l'église. Le Seigneur et moi avons un contrat à clore.
Ana enlève ses talons pour traverser la pelouse, puis elle me demande où je compte accrocher les portraits de José. Je lui réponds que ce sera dans notre nouvelle maison.
- Tu l'as achetée ? S'étonne-t-elle.
Merde, elle ne paraît pas contente. Me serais-je trompé ? J'ai signé les papiers avant de m'envoler pour Portland. Je croyais qu'elle aimait cette maison...
Je lui pose la question, un peu inquiet.
- Bien sûr ! Répond-elle avec entrain. Quand l'as-tu achetée ?
- Hier matin. Maintenant, nous devons décider ce que nous allons en faire.
Bon elle l'aime, c'est une chance. J'imagine qu'elle n'est pas habituée à ma façon d'agir immédiatement après qu'une décision soit prise. J'ai acheté cette propriété comptant, aussi il n'y a plus rien qui puisse retarder mon acquisition. Je ne voulais pas risquer de perdre un tel emplacement ! Ils sont très rares, j'en sais quelque chose, il y a des mois que j'étais aux aguets. Et dès que j'ai autorisé le transfert d'argent, le contrat était bloqué, notre future demeure assurée.
- Ne la démolis pas, me demande Anastasia. Je t'en prie. C'est une si belle maison. Elle a juste besoin qu'on s'occupe d'elle.
Aucun problème. J'en parlerai à Elliot. Il connaît une architecte... Ana peut obtenir de moi tout ce qu'elle veut. J'aurais préféré abattre la vieille bâtisse et construire pour nous une maison neuve, sans passé, exactement à ma convenance, mais puisqu'Ana s'est entichée de la maison, je m'y ferai. Gia Matteo a travaillé dans mon chalet, à Aspen elle est douée, j'utiliserai volontiers à nouveau ses services. Et j'espère que cette fois, Elliot évitera de la baiser. Je ne pense pas que Miss Kavanagh apprécierait que mon frère renoue avec son ex. Ça m'ennuierait de devoir changer d'architecte au milieu du projet à cause des couillonnades d'Elliot.
Ana réalise tout à coup l'endroit où je la conduis ; elle se souvient aussi de ce qui s'est passé la dernière fois où je l'ai emmenée dans le hangar à bateaux. Je n'ai rien oublié.
- Oh, c'était plutôt marrant. En fait...
Je me rappelle le plaisir que j'avais eu à la porter, aussi je recommence. Dès qu'elle est sur mon épaule, elle pousse un cri de surprise et de joie.
- Tu étais vraiment en colère si je me rappelle bien, dit-elle, le souffle court.
Sa position lui comprime les poumons et ses longs cheveux effleurent la jambe de mon pantalon. Je secoue la tête. En colère ? Je suis toujours en colère. Non... c'est inexact. Plus maintenant, plus depuis que je suis avec elle.
Par jeu, je claque vivement son cul adorable, puis je la remets sur ses pieds une fois que nous sommes à l'intérieur du hangar. Je la regarde, émerveillé, avant de l'embrasser. Elle a remplacé ma colère par un amour si fort et entêtant qu'il m'enivre.
- J'ai quelque chose à te montrer à l'intérieur, dis-je, le cœur battant. Viens.
J'espère qu'elle aimera ma surprise ! Je n'ai jamais rien fait de tel auparavant. Je ne suis pas du tout dans mon domaine de prédilection. J'espère ne pas m'être trompé. Anastasia semble deviner que je suis inquiet, elle tend la main et me caresse doucement la joue, puis les lèvres. Comme de coutume, son toucher m'apaise et me calme.
Quand j'ouvre la porte du grenier, après avoir monté l'escalier de bois, je retiens mon souffle, en attendant la réaction d'Ana.
Elle reste figée tandis qu'elle regarde autour d'elle les fleurs innombrables qui remplissent le grenier du sol au plafond. J'ai bien spécifié à la fleuriste que je ne voulais plus voir un seul lambris de bois ; je voulais que les fleurs recouvrent tout ; je voulais également des luminaires pour qu'Anastasia puisse distinguer la scène dans le noir - les néons sont bien trop froids, ils manquent de romantisme. Je voulais que les fleurs ressemblent à une clairière en pleine nature, éclairée par un rayon de lune.
Ana se tourne vers moi, les yeux éblouis, la bouche ouverte. Elle est surprise - personne n'a gâché mon plan - mais est-ce que ça lui plaît ?
- Tu voulais des cœurs et des fleurs, dis-je, d'une voix un peu rauque, au cas où elle n'aurait pas compris...
Le jour de notre première rencontre, je lui avais dit que ce n'était pas mon truc. C'est un peu ma façon de lui montrer que j'ai changé. Pour elle.
- Tu as mon cœur et...
-... et voici les fleurs, chuchote-t-elle, très émue. Christian, c'est merveilleux.
Je lui prends la main et l'attire dans la pièce. La première fois que je lui ai demandé de m'épouser, elle m'a dit que ma proposition manquait de romantisme. Cette fois-ci, je veux faire les choses bien, à l'ancienne, selon les traditions.
Aussi, je m'agenouille devant elle.
Après avoir récupéré dans ma poche l'anneau, je regarde Ana et... je me noie dans ses magnifiques yeux bleus. Ils m'ont ensorcelé dès le premier jour, quand Ana est tombée dans mon bureau - et dans ma vie. J'ai perdu mon cœur, ce jour-là, sans même le réaliser. Aujourd'hui, ces mêmes yeux me fixent, brillants d'amour.
- Anastasia Steele, je t'aime. Je veux t'aimer, te chérir et te protéger pour le restant de mes jours. Sois mienne. Pour toujours. Partage ma vie. Épouse-moi.
- Oui.
Elle pleure - mais je n'ai pas peur, ce sont des larmes de bonheur. Ces larmes me prouvent qu'Ana est émue, heureuse... qu'elle m'aime autant que je l'aime. Je n'aurais jamais cru pouvoir un jour ressentir un tel bonheur !
Je lui prends la main et glisse doucement l'anneau à son doigt. Elle est à moi. Enfin, le monde entier le saura. Je suis satisfait de voir à quel point la bague que j'ai choisie pour elle lui convient. Exactement comme je l'avais envisagé. Le diamant est magnifique, simple, pur, le symbole parfait d'Anastasia elle-même.
« Un diamant est éternel », notre amour lui-aussi est éternel. Du moins, j'en ai bien l'intention
- Oh, Christian ! S'exclame Anastasia.
Elle tombe à genoux à côté de moi et nous nous embrassons, les mains jointes. Quand les doigts d'Ana se nouent dans mes cheveux, je la tiens très fort contre moi. J'aimerais que ce moment dure éternellement...
Jamais je ne l'oublierai.
Aujourd'hui, commence réellement ma nouvelle vie.
Fin du livre II. Suite prochainement !

50 nuances de Grey version Christian. Tome 2 PassionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant