Dans le silence des premières heures du jour, lorsque l'ennui se lasse peu à peu des corps insomniaques, une porte grince misérablement dans l'un des miteux appartements du onzième étage, interrompant San dans ses réflexions.
𝐒𝐀𝐍
Where have you been ?Seonghwa lui glisse un sourire désolé pour seule réponse. Il n'est pas nécessaire qu'il sache qui lui tient compagnie chaque nuit. Surtout quand des mensonges tapissent ses lèvres derrière les ombres esclaves de la nuit et que lui, se lamente de chérir sa némésis.
Quant à San, ses yeux vomissent des reproches qui resteront à jamais coincées dans sa gorge tandis qu'il s'appuie contre le battant du volet, les paupières froissées par des inquiétudes qui le démangent inlassablement.
Seonghwa enjambe leurs couches rongées par les mites - celles-là même qu'il a déserté la nuit dernière. La conversation fuyant sous ses pas alors qu'il quitte le salon pour emprunter un couloir minuscule empestant d'une odeur nauséabonde. Sur les murs le papier peint s'écaille par endroits et même si leur espace de vie se réduit à quelques mètres carrés seulement et qu'ils ne baignent pas dans le confort, ils se suffisent amplement de cette colocation.
Jongho et Mingi relèvent le nez de leur jeu de cartes tandis que le poste radio crachote péniblement quelques airs mélancoliques. Ils ravalent les interrogations bouffant leurs visages d'une perverse curiosité et repoussent ces non-dits qui leur piétinent le cœur pour l'inviter plutôt à disputer une nouvelle partie. Seonghwa tire un tabouret qui râcle le sol crasseux dans un geignement désagréable effrayant sûrement quelques cafards tapis dans les recoins poussiéreux. Et bien que navré de ses cachotteries, il se joint à eux.
⭒
D'ici, ils n'ont vu que sur une poignée de magasins, coincés entre d'immenses bâtiments. Des grilles aux fenêtres viennent surpeupler les façades où un agrégat de tuyaux et de fils serpente déjà, empêchant le soleil de pénétrer jusque dans les appartements. Tandis que sur les balcons donnant sur d'étroits puits de ventilation, errent un ou deux chats en quête d'un pauvre éclairci. Les conduits d'aération eux, s'emmêlent aux câbles lézardant les murs où exercent des tatoueurs sans licence, quelques commerces populaires et même une laverie automatique.
Là où les immeubles s'entassent de manière anarchique et forment un labyrinthe d'enchevêtrements de couloirs dans lequel même plusieurs étages plus haut, le dédale de voies se poursuit, émerge une mégastructure presque organique d'où les artères s'enfoncent jusqu'à parvenir au coeur du chaos qu'est Kowloon, la cité des ténèbres.
Les intérieurs de ce bidonville vertical, seuls ceux ayant grandi entre ses entrailles peuvent les dompter car quiconque d'autre s'y perdrait s'il osait même y pénétrer. C'est pour fuir la tyrannie qu'ils ont donné vie à ce quartier qui ne jure et ne jouit que d'une seule valeur : la tolérance. Eux qui ont subi trop d'horreurs pour réussir ne serait-ce qu'à nouveau à faire confiance.
Les gamins se dépêchent sur les toits à la recherche d'air frais et d'espace pour courir, puis près des réservoirs d'eau, s'installent pour admirer les avions raser la ville. Car quand vient la nuit, c'est dans leur placard qu'ils se recroquevillent, les mains sur la bouche, sans plus oser faire un bruit. Face aux fréquentes descentes de police et passages à tabac, tous se barricadent dans les viscères de leur forteresse sans oser s'insurger contre ceux qui méprisent ainsi leurs libertés.
Parce qu'à jamais désignée comme la honte d'Hongkong, cette zone de non droit qui ne connait ni limites ni interdits est en effet, souvent prise d'assaut par les forces de l'ordre pour ses fumeries et bordels où pleuvent les péchés. N'étant pas même inhabituel de trouver, dans les coins sombres de ces divans plongés dans la stupeur de l'opium, quelques bêtes se tordant de douleur sous l'effet de la drogue.
Mais malgré sa mauvaise réputation, jamais des hommes n'ont autant resplendi dans leur souffrance. Et bien que que le crime domine ce quartier aux squatters hostiles, au manque de civilisation et aux innombrables vices, personne ne pourra jamais les chasser car ils sont chez eux ici.
Il y a dans les tripes de chaque habitant, des criminels aux mendiants, des ouvriers démunis aux adolescents déchus, une étrange fraternité. Eux qui se sont réfugiés ici dans l'espoir d'une vie meilleure, eux qui luttent chaque jour pour survivre et qui se sont serrés les coudes jusqu'à devenir une famille...
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San admire l'horizon obstrué par les gratte-ciels qui écrasent de leurs vertigineuses hauteurs, les insignifiants comme eux, destinés à crever comme des rats d'égouts aux portes d'un monde, plus cruel encore.
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𝓝𝐄𝐎𝐍𝐒
Historia CortaDerrière ses néons et ses gratte-ciels aux hauteurs hallucinantes, Hongkong cède lentement à la tyrannie. Pour Seonghwa, dont la révolte saigne les veines, absolu martyr que de se déchirer entre la fureur de la révolution et les secrets de son aman...