Chapitre 19

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Les effluves des restes de ragoûts se dispersent peu-à-peu. Les rayons du soleil tiédissent le cuir du fauteuil, dehors l'herbe luit encore de l'averse. Papa abat ses cartes sur la table basse, s'esclaffant de plaisir. Mon beau-frère bon joueur accepte volontiers cette cinquième défaite. Peter a cessé de pleurer, je crois bien qu'Abaigh a réussi à le coucher pour la sieste. Maman fait la vaisselle dans la cuisine, je lui avais pourtant dit de me faire savoir si elle avait besoin de moi. Comme d'habitude, bien trop fière pour demander de l'aide et bien trop heureuse de nous avoir à la maison.

« Ta mère, tu la connais ! Une vraie tête de mule !

- On ne se demande plus de qui tient Eanna...

- Ah ça ta soeur a de qui tenir, soupire-t-il avec tristesse. »

Je sais combien Eanna lui manque. Elle qui était revenue vivre à la maison et s'occuper de le distraire. Je sais qu'il espérait qu'elle accepte le travail à la paroisse que le prêtre lui avait proposé. La savoir en Irlande loin de nous lui brise autant le coeur qu'à maman, mais contrairement à elle mon père est incapable de dissimuler ses émotions. Nialh a de qui tenir. Sa main dans la mienne est ridé et sèche, soudainement bien fragile. Lui qui m'a toujours apparu comme l'homme de tête, l'indéracinable patriarche... n'est finalement pas aussi dur qui a toujours bien voulu nous le faire croire lorsqu'on était petit.

« Je vais lui donner un coup de main.

- Si jamais elle te laisse l'aider ! »

J'embrasse sa joue. Dans le hall, Abaigh au milieu des escaliers m'intercepte. Elle a la mine inquiète et me fait m'assoir sur les premières marches. Oh, elle ne veut sans doute pas que maman l'entende. Sa main caresse doucement son ventre rond.

« Nialh a peut être réussi à faire croire à maman que tout allait bien mais on ne va pas me dire qu'il est en pleine forme alors qu'il est allongé dans sa chambre de gosse le regard dans le vide. »

Ma sœur a toujours était très lucide et d'une acuité maternelle relevant presque du pouvoir surnaturel. Elle me décoche un regard inquiet.

« Qu'est-ce qui lui est arrivé ? Je sais bien qu'il ne me dit rien à moi... »

Je perçois dans sa voix sa frustration et presque une pointe d'envie lorsqu'elle me décoche un regard. Je lui souris.

« Il a eu un weekend difficile avec sa petite-amie.

- Oh, d'accord... Je vais lui faire un chocolat chaud. »

Avec une lenteur prudente elle se relève et file vers la cuisine, guidée par cette inconditionnelle affection qui marque chaque petit geste qu'elle a toujours eu envers nous, les petits, les cadets : Sibby et Nia. Le bois de l'escalier craque sous mes pieds alors que je monte à l'étage. Tachant de ne pas réveiller mon neveu j'avance en silence jusqu'à la chambre d'enfant de Nialh. Elle n'a pas changé depuis qu'il l'a quitté pour l'université. Ses statues de Dragon Ball Z sont encore là, témoignage de sa passion pour les mangas quand il était ado. Sur le mur sont encore accrochés des posters de groupes de rock aujourd'hui complètement oubliés. Les portes de l'armoire sont recouvertes de stickers des 20 états américain qu'il a visité pendant un road trip de trois mois à la fin de ses études à Ilvermorny. Il est quant à lui allongé sur le dos dans son lit où les draps sont toujours à l'effigie de Buz l'éclair. Mon cœur se serre, mon petit frère toujours si optimiste et étourdi, que j'ai presque fini par croire intouchable, se dévoile soudainement dans toute sa tristesse.

« Hey.. »

Je viens m'assoir sur le rebord du lit, il tourne son regard vers moi. Pas une larme dans ses yeux pourtant gonflés d'une bouleversante lassitude. La colère gronde dans ma gorge, me serrant la mâchoire.

Au fait, il se passe quoi en salle des profs ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant