XIV. Erreur

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Juliette observa la magicienne et son rictus pourpre pendant de longues secondes.

— Qu... Quoi ? Mais je croyais que la malédiction me pousserait inexorablement et rapidement vers la mort...

— Inexorablement, certes, reconnut Saphira. Comme vous tous humains. Mais rapidement ? Je n'ai jamais prédit cela. Ma malédiction avait pour but de vous précipiter vers la mort si votre Innocence était irrémédiablement brisée, ce qu'allait sans nul doute provoquer votre père. Il ne sait tout simplement pas protéger l'innocence d'un être, et encore moins celle d'une femme.

— Mais vous venez de dire que mon Innocence était en train de se fissurer...

— Oui, elle se fissure peu à peu, mais elle n'a pas été brisée. Car, en lieu et place de la prison des hommes, vous avez choisi la prison des femmes.

— Pardonnez-moi, grinça la princesse, mais je ne vois pas en quoi j'ai bien fait. Vous avouez vous-même que vous aviez prévu de faire tout ce qui était en votre pouvoir pour briser mon Innocence et permettre à la malédiction de s'accomplir.

— J'avais dans l'idée de mener la malédiction à son terme telle que je l'avais imaginée il y a dix-huit ans de cela, en effet. C'est la raison pour laquelle je vous ai poussée à quitter les murs de la Bastille Noire.

— Très bien, marmonna Juliette, l'amertume polluant sa voix. Vous vouliez me briser vous-même, je le comprends bien. Alors pourquoi ne suis-je pas déjà morte, détruite par la malédiction ?

— Croyez bien que si je vous avais désirée morte, vous le seriez.

La froideur de ces mots, la puissance de cette voix coupèrent le souffle de la princesse pendant un court instant. Lorsqu'elle reprit, un nouvel élan de détermination, teintée d'une pointe d'impatience, gorgeait ses mots.

— Oui, cela, je l'ai bien compris. D'où ma question : pourquoi ne suis-je pas morte, Saphira ?

Silence.

Puis un murmure, comme le flot d'une cascade qui frappe contre la roche.

— À votre avis ?

Un fin rictus habilla les lèvres roses de la princesse, comme une victoire minuscule.

— Parce que vous avez renoncé. Vous avez renoncé à votre vengeance et à la malédiction.

Pour toute réponse, Juliette ne reçut que la ligne ferme de cette bouche violette, indéchiffrable.

Pourquoi, Saphira ?

— Est-ce là votre question ?

Juliette ouvrit la bouche, la referma.

— Pardon ?

La tête de velours noir était dirigée vers elle, uniquement vers elle. Le loup émit un doux grondement venant du plus profond de ses entrailles, comme pour exprimer son accord.

— Souhaitez-vous réitérer notre marché ? demanda la magicienne, sa voix grave pénétrant le silence du donjon. Chaque jour qui passe, une question pour une réponse.

Une moue rechignante s'imprima sur la bouche de la princesse, froissant ses joues rondes.

— Je ne vois pas bien l'intérêt. Maintenant j'ai dix-huit ans, il est trop tard pour m'épargner. Je peux poser toutes les questions que je souhaite, cela ne changera rien.

Crudelis émit un petit rire, crissant comme du verre.

— Oh, mais je ne vous propose pas de réitérer notre marché pour vous protéger.

La Magicienne Sans Cœur (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant