VIII. Pacte

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Tel que le lui avait promis sa geôlière, elle lui rendit visite régulièrement.

Il lui arrivait d'ouvrir simplement la lourde porte de fer sans bruit et de rester sur le chambranle sans un mot. Elle pouvait aussi surgir subitement devant la princesse étendue sur son lit, endormie.

Parfois, elle choisissait d'apparaître à sa guise dans un coin sombre de la chambre sans passer par la porte, et se délectait du frisson d'angoisse qui s'emparait de sa prisonnière lorsqu'elle la voyait se détacher de l'ombre à quelques centimètres d'elle.

Mais jamais elle ne lui adressa la parole.

Les semaines passèrent et Juliette désespérait de parler à nouveau à quelqu'un. Qui que ce fut. Le silence était son pire ennemi.

Elle pouvait sentir cette femme l'observer pendant de longues heures alors que la jeune fille était incapable de remarquer sa présence. Mais toujours, elle s'éclipsait dès que Juliette tentait d'entrer en contact avec elle ; que ce soit par les mots ou par les gestes.

Au creux de ses nuits, il lui arrivait de rêver au contact de ces doigts longs et fins sur sa peau.

Effleurant.

Enflammant.

Promettant.

Mais pour le plus grand soulagement de la princesse, ce traitement d'indifférence ne dura pas éternellement.

Une nuit, la magicienne décida de se matérialiser sur la petite chaise de bois placée à quelques mètres du lit dans lequel était toujours allongée la princesse, supposément endormie. Juliette n'était plus paralysée par la peur, par l'appât des ténèbres, l'angoisse de parler et de ne jamais recevoir une réponse. Elle était simplement fatiguée de faire semblant de ne rien voir, ne rien entendre.

Ne rien ressentir.

Alors Juliette marmonna à travers le tissu du drap, sans cesser de fixer le plafond au dessus d'elle.

— Je sais que vous êtes là.

La femme vêtue de noir s'immobilisa, étonnée. Juliette ne pouvait la voir, la chambre étant plongée dans une obscurité totale, pas un rayon de lune ne venait troubler la noirceur de la nuit.

La surprise eut raison de la magicienne, et elle laissa échapper quelques mots malgré elle.

— Comment avez-vous pu me distinguer dans le noir ?

Un long soupir, tremblant, sanglotant, s'échappa de la gorge de Juliette.

Le bonheur d'entendre une autre voix que la sienne.

Des mots qui lui étaient adressés.

À elle et à elle seule.

— Je n'ai pas dit que je vous avais vue. J'ai dit que je savais que vous étiez là. Et soit dit en passant, je vous remercie de daigner enfin m'adresser la parole. Madame est trop bonne ! grinça Juliette.

— Mais comment êtes-vous parvenue à deviner que j'étais là, puisque vous ne m'avez pas vue ? demanda la magicienne, son ton ralenti par la méfiance, ignorant avec brio l'attaque de la jeune fille.

— Le léger froissement presque inaudible de votre manteau, le souffle régulier de votre respiration, le flottement de cette fumée dans laquelle vous apparaissez et disparaissez. Après ces jours... ou ces mois, ou... – Pff, je ne sais plus ! – de solitude, j'ai appris à sentir la moindre perturbation de l'air dans cette pièce. J'ai appris à reconnaître l'odeur de vos vêtements, de vos cheveux, de votre peau. J'ai appris à ressentir la froideur de votre souffle sur mon visage dès que vous êtes près de moi. Pendant tout ce temps où vous avez cru me regarder à mon insu, vous vous trompiez. Je ne suis peut-être pas sorcière, mais je suis capable de sentir et ressentir. Pendant tout ce temps, alors que vous croyiez m'espionner, je savais que vous étiez là. Mais je me taisais. Je savais que si je parlais, vous disparaîtriez. Alors, je me suis tue.

La Magicienne Sans Cœur (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant