III. Impuissance

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La jeune princesse était suivie dans ses moindres mouvements par sa dame de compagnie, Charlotte. Cette dernière ne la quittait pas des yeux. Où qu'elle aille, Charlotte était toujours sur ses talons, que ce soit dans le dédale des couloirs de la Bastille Noire ou dans les labyrinthes chatoyants des jardins.

Charlotte était une jeune femme potelée au sourire généreux et aux yeux bruns emplis d'une tendresse infinie. Des fables circulaient entre les murs du château, vantant sa gentillesse prodigue qui l'amenait parfois jusqu'à recueillir des enfants orphelins, maltraités ou abandonnés, de tous royaumes confondus. Dans cet orphelinat, qu'elle avait ensuite transformé en auberge, elle offrait aux enfants sans toit ni famille une maison et un travail rémunéré, aux confins de Percée dans le grand Est. D'aucuns murmuraient qu'elle était la fille du Dieu Devon lui-même, divinité de la Dévotion, tant la beauté et la grandeur de son cœur ne semblaient connaître aucune limite.

Un après-midi, tandis que la gouvernante était occupée à nettoyer un des bancs de marbre du jardin, la princesse était assise au bord de la fontaine. Elle ondulait de ses doigts la surface de l'eau claire. Elle regardait sans bouger les rides se former et se propager. Puis, elle ressentit le besoin de s'humidifier le visage car la chaleur était étouffante en cet après-midi d'été. La jeune fille se pencha au-dessus de l'eau, et se figea lorsqu'elle vit une forme longue et fine d'un noir profond se refléter dans le miroir bleu. Elle se retourna brusquement, à temps pour voir une nuée de corbeaux s'envoler et disparaître dans toutes les directions en croassant. Secouée d'un sursaut, elle observa la danse des oiseaux noirs surgis de nulle part, les yeux écarquillés. Charlotte avait disparu. Elle l'appela plusieurs fois, sans succès. Sa compagne s'était volatilisée. Elle se retourna donc pour plonger ses mains dans la fontaine, toujours tremblante d'appréhension, et elle put à nouveau distinguer ce point brillant au fond du bassin. Elle tendit le bras et se saisit de l'étrange objet.

Il s'agissait d'une pierre qui comportait une inscription malheureusement illisible. Juliette frotta le caillou lisse et gris entre ses doigts, et put enfin décrypter un mot :

Impuissance

Voyant que sa gouvernante se dirigeait vers elle, sans réfléchir, elle s'empressa de cacher la pierre dans son corset et alla à la rencontre de Charlotte.

— Le banc est propre, princesse. Vous pouvez vous y asseoir, maintenant, annonça celle-ci de son habituelle voix duveteuse.

— Merci, Charlotte. Mais je t'en prie, assieds-toi avec moi, proposa la princesse sur un ton enthousiaste qui lui était propre. J'ai une question à te poser.

Les deux jeunes femmes s'assirent sur le bloc de marbre, Charlotte lança un regard interrogateur à la jeune fille, encourageant cette dernière à prendre la parole.

— Dis-moi, qu'est-ce que l'impuissance pour toi ?

Sa dame de compagnie ouvrit de grands yeux perplexes. Elle fixa le sol pendant de longues secondes avant de répondre.

— L'impuissance, pour moi, c'est le malheur de ne rien pouvoir faire pour venir en aide aux autres ou à soi-même. Quand on est dans une piètre situation, c'est le sentiment de mal-être que l'on ressent qui nous rappelle que notre sort n'est pas réellement entre nos mains. La sensation d'être vidée de nos forces vitales, d'être incapable de se redresser et de se battre. La peur de ne pas parvenir à trouver une solution pour s'en sortir, être obligée d'attendre que quelque chose vienne nous sauver, sans pour autant savoir quoi, ni comment, ni si cela arrivera un jour. Vous comprenez ? Je ne sais pas si je me fais bien comprendre...

— Je t'ai très bien comprise. Merci, Charlotte. Tu peux disposer, je vais aller rejoindre mon père. J'ai à lui parler, la congédia subitement Juliette, l'air décidé.

La Magicienne Sans Cœur (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant