XV. Sans Cœur

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La Magicienne Sans Cœur fit face à la princesse de toute sa hauteur, mais n'esquissa aucun mouvement, ni pour s'éloigner ni pour s'approcher d'elle.

Bien que tout son corps fut plus tendu qu'une lame de fer, elle retrouva rapidement son calme. Elle demeura face à sa prisonnière, droite et fière, menton levé, épaules redressées.

Silencieuse.

Son immense manteau de velours se déployait de part et d'autre de ses pieds, ses larges manches suivant les courbes de son corps, ses lèvres d'un violet intense éternellement déformées par un sourire glacial.

À cet instant précis, sa stature majestueuse et son allure inquiétante en auraient terrorisé plus d'un.

Mais Juliette n'avait plus peur.

Elle ne craignait plus les yeux derrière la capuche, ni le corps caché sous le noir. Parce qu'elle ne croyait plus au cœur qui peut-être jadis gisait sous la peau blanche.

Elle était fatiguée d'avoir peur.

Mais peut-être pas assez lasse pour ne plus espérer.

La magicienne ouvrit alors ses lèvres fines. Un rire cynique s'en échappa, tandis qu'elle écartait les mains, comme pour ouvrir ses bras au monde.

Pour mieux le dominer.

— Ainsi, notre cher souverain avait raison. Une femme qui refuse un contact charnel est une femme froide. Une femme qui supporte la souffrance sans broncher est une femme insensible. Une femme qui est animée par la haine est une femme cruelle. Une femme qui préfère taire ses sentiments serait donc une femme sans cœur ?

Les bras de velours s'abaissèrent lentement.

— Ah, les hommes... siffla-t-elle, sardonique. Persuadés que les femmes sont moins intelligentes car elles ne parlent pas. Alors qu'il en est tout le contraire. La femme est consciente que chacun de ses mots pourra être un jour retourné contre elle. Elle sait pertinemment que le silence est d'or et la parole vaine. Les désirs des hommes passeront toujours avant ceux des femmes. À quoi bon parler pour ne pas être écoutée ?

À nouveau, la femme en noir écarta les bras. Pendant l'espace d'une seconde, dans un fragment de folie, Juliette se prit à espérer qu'ils l'invitait à s'y réfugier, mais la froideur des mots l'en dissuada.

— Toutes celles qui ont parlé sont mortes. Avez-vous déjà entendu parler de cette jeune guérisseuse, morte sur le bûcher car elle avait osé un jour soigner l'irrécupérable ? Et de cette comtesse décrite comme démente, proclamée hérétique par les Cloîtres et son village tout entier ? Ou encore cette princesse qui a préféré pactisé avec le Néant plutôt que partager son souffle avec les hommes ? Certaines, comme ces femmes, ont un jour eu le courage de parler. Et regardez aujourd'hui la malédiction qui les entrave. Les autres, en revanche, ont préféré se taire, choisissant la survie aux dépends de la dignité. Alors, oui, peut-être avons-nous décidé d'accepter. Et maintenant, le silence serait synonyme d'infériorité ? D'indifférence ? D'insensibilité ?

Un son dissonant, guttural secoua l'air et se fracassa contre les murs. Juliette mit quelques instants à le reconnaître pour qu'il était réellement : un rire.

Cynique, empli d'un venin qui pourrissait depuis des millénaires, et pas seulement dans les entrailles de la Magicienne Sans Cœur.

Dans toutes les bouches, dans toutes les gorges.

— Pauvre idiote. Pauvres idiots. Le silence est synonyme d'intelligence. Et c'est cela qu'ils n'ont toujours pas compris. On m'a traitée de tous les noms. Femme cruelle, sans pitié, sans état d'âme, être insensible, vile créature, servante du Néant. Crudelis, la sorcière qui emportera vos enfants et brisera l'âme de vos hommes !

La Magicienne Sans Cœur (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant