IV. Convoitise

2.3K 215 56
                                    

Elle était assise sur le fauteuil de soie rouge en face du lit. Son manteau traînait par terre, ses yeux étaient toujours cachés sous l'épais capuchon noir qui dissimulait presque entièrement son visage. Elle était assise, droite et fière, sa bouche fendue d'un sourire carnassier. Elle se savait déjà victorieuse.

— Tu as cru que j'abandonnerais ? Tu pensais peut-être que j'allais me retirer définitivement et te laisser en paix ? Pauvre idiot. Mais je n'ai jamais cessé de me battre... Encore moins contre toi. Alors maintenant que j'ai enfin retrouvé cette liberté que tu m'as arrachée il y a trente ans, je vais pouvoir en tirer profit. Je peux agir comme je le souhaite, te faire voir et croire ce qu'il me plaît. Mais comment as-tu pu croire un instant que je t'oublierais, toi et ta misérable famille royale ? Tu tournais en rond comme un lion en cage, vexé et furieux que je disparaisse à jamais et ne donne plus aucun signe de vie. C'était presque plaisant, et, comme ébloui par la Déesse du Néant elle-même, tu y as cru ! Non... La tentation était trop forte, je n'ai pu y résister. Une jeune fille si douce, si naïve... Tellement influençable, que c'en est presque pathétique. Comment ne pas en profiter ? Mais suis-je bête ! Tu le sais, non ? Toi non plus, tu n'as pas su résister, il y a des années de cela. Il faut dire que tu n'as jamais essayé. Non... La tentation était trop forte. Une tentation est faite pour y céder, n'est-ce pas ?

Sa voix résonnait de toute part, sur les murs, sur les sols – ou peut-être était-ce contre les parois de son cerveau. Elle semblait provenir de partout et de nulle part à la fois, du ciel ou d'outre-tombe.

— Alors ? Vas-tu encore céder et manger ce fruit ? Non, bien sûr. Un tel fruit n'existe pas. Seuls les idiots croient à l'exhaussement de leur vœu le plus cher par un miracle. Ce n'était qu'une métaphore. Mais tu m'as parfaitement comprise, j'en suis sûre. En réalité, pour obtenir ce que l'on veut, il faut se battre jusqu'au sang. Mais toi ? Tu n'auras jamais ce que tu veux, cracha-t-elle, son ton dégoulinant de venin. Je veillerai à ce que tu n'obtiennes jamais ce que tu désires depuis toujours. Et sache que je ne suis pas la seule à œuvrer pour ta fin. Les ennemis les plus redoutables sont souvent les plus silencieux. Alors prends garde, Richard. Je surveille tes moindres faits et gestes, ne l'oublie pas. Tout a son importance. Je suis partout. Dans l'air, l'eau, le feu, la terre, le soleil, la lune. Prends garde ! Ce que tu as essayé de posséder en vain te tuera. Le destin de ta fille est entre mes mains. Sa vie est comme un long fil de laine que je déroule entre mes doigts. Il est si fin, si fragile... Il ne suffirait que d'un mot, d'un geste, pour qu'il se brise d'un coup sec... comme ça.

À ces mots, la femme tendit vers le roi une main osseuse habillée d'une bague où brillait une pierre bleue. Un terrible craquement retentit, suivi d'un cri déchirant. Le souverain laissa échapper une larme de douleur, quand il comprit avec horreur que l'os de son bras s'était brisé en deux. La baie rouge au creux de sa main explosa telle un volcan en éruption, et son jus s'écoula lentement de sa paume jusqu'à l'extrémité de son coude comme une traînée de sang. La voix de la magicienne, tambourinant contre son crâne et aspirant son esprit, susurra à son oreille.

— Seras-tu capable de préserver l'innocence d'une femme ? Le destin de ta précieuse fille est entre mes mains. Ne l'oublie pas. Sa vie est comme un fil de laine, il est si fragile...

Ces mots prononcés d'un ton doucereux, aussi tranchants que le fer, retentirent encore longtemps dans la tête du roi.

Lorsqu'il osa enfin lever les yeux vers le fauteuil, la femme en noir avait disparu. Il risqua un coup d'œil inquiet vers sa femme ; celle-ci n'avait même pas cillé. Il se résigna alors à s'allonger aux côtés d'Eléanor, ferma les yeux et essaya tant bien que mal de s'endormir. Mais son bras lui semblait être un poids mort dévoré de l'intérieur par des braises ardentes, sans pitié. Et alors que ses jambes et ses mains tremblaient fébrilement, son esprit vacillait et sombrait dans des ténèbres inaccessibles aux âmes apaisées.

La Magicienne Sans Cœur (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant