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10 juin 2023
"on parle pas la même langue, dialogue de sourd, on pourra jamais s'entendre"

"- bonsoir." c'était ainsi que le grand Gérard de Salces avait fait son apparition dans l'appartement de sa fille ce jour là. il y avait trouvé ses deux enfants, la première remuant une casserole de caldo verde, et le second, appuyé contre le plan de travail, semblant discuter paisiblement avec celle qu'il aimait appeler quelque fois la femme de sa vie. il avait posé simplement son sac de travail sur le côté de la porte, retiré son manteau pour le placer accroché sur le meuble dont c'était l'utilité, et avait fait trois pas dans le silence, en attente d'une réponse.

Raquel avait été la première à prendre la parole : "- bonsoir papa, tu vas bien ?" marchant vers son père, elle lui avait embrassé la joue en l'invitant d'un geste de main à prendre place assise à la table qu'elle avait joliment installé pour l'occasion.

son second enfant, Ruben, lui, avait gardé une certaine distance, et s'était simplement installé face à son père en prononçant un simple : "- bonsoir." et c'est ainsi que les deux hommes de la famille Magalhaes De Salces s'étaient retrouvés l'un face à l'autre, durant un repas qui allait sembler durer des heures.

cela faisait des mois, voire des années, qu'ils n'avaient pas eu l'occasion ou bien plutôt l'envie de partager un repas tous les trois. en effet, durant ses études, les retours en France avaient été rares pour la jolie portugaise et durant ces rares instants, son père n'avait jamais vraiment pris le temps de lui accorder une réelle soirée. à vrai dire, il avait rarement de temps pour sa famille, il n'avait de temps que pour le travail.

depuis la mort de sa femme, cet homme - qui avait parfaitement réussi sa vie, poussé par l'amour de sa famille et son ambition inégalé - s'était renfermé sur lui-même, passant ses journées dans son bureau - ou aux quatre coins du monde - pour faire grandir sans cesse sa chaîne d'hôtellerie connue de tous : Les Salces.

c'est ainsi que le dîner commença, lorsqu'elle posa le premier plat, donc la soupe, sur la table, s'installant entre son père et son frère, comme l'arbitre d'un match de tennis dont elle ne connaissait point le résultat.

"- ça a été ta journée, demanda-t-elle simplement ?

- oui, ça va. je croûle sous les appels et les dossiers, mais ça tourne bien. et toi, ce nouveau job ?

- j'aime beaucoup ce que je fais, les projets sont très diversifiés et intéressants. le salaire l'est aussi, et je pense qu'il y a de bonnes possibilités d'évolution au sein de l'entreprise."

comme seule réponse, premièrement, l'homme hocha la tête, sans sourire. seulement, sa fille le connaissait un minimum, et elle pouvait ressentir la fierté sur son visage. c'était devenu un homme secret, effacé, dur et froid, mais quelques fois, dans ses moments d'égarement, on pouvait retrouver sur son visage les traits de l'homme qu'il était avant : ce papa qu'ils aimaient tant.

durant cette discussion, Ruben se montrait silencieux, mangeant sa soupe les yeux fixés sur son assiette.

"- et les hommes ? en fréquentes tu un ?" la brune déglutit en entendant ces mots.

malheureusement, il avait été éduqué à la vieille école et espérait, depuis toujours, que sa fille finisse dans les bras d'un grand homme riche, ambitieux et intelligent. il avait mis du temps à digérer le chemin qu'elle avait pris durant ses études ; car, même si le métier d'ingénieur mathématique était un métier respectable et difficile à atteindre, il n'avait pas pu s'empêcher de lier au sexe masculin. ne veux-tu pas plutôt faire un métier de femme ? Gérard de Salces était un homme vieux jeu.

"- non, je n'en fréquente pas. il n'y a pas vraiment d'homme dans mon entourage actuellement." forcément, ses pensées vinrent au métis qui habitait au dessus. c'était bien l'un des seuls hommes qu'elle 'fréquentait' actuellement, sans se faire d'idée bien sûr. mais, il n'y avait rien entre eux, bien sûr que non.

comme seule réponse, son paternel hocha à nouveau la tête. la fierté avait disparu, laissant place à un vide planétaire, un visage sans expression qu'elle ne pouvait déchiffrer.

gênée par ce sujet, Raquel se sentit presque obligée de le changer. ainsi, pensant que cela serait une bonne idée d'intégrer Ruben à la conversation, elle se permit de dire : "- d'ailleurs, papa, tu sais que Ruben n'a pas encaissé un but depuis dix matchs. c'est impressionnant, expliqua-t-elle. j'ai été le voir deux fois à un match ; on l'appelle le mur ! il est trop fort." sans s'en rendre compte, un magnifique sourire était apparu sur ses lèvres, sourire qu'elle était la seule à avoir.

"- il n'y a rien de fier à être bon au football." son cadet avait relevé la tête, avec les sourcils froncés tournés vers sa sœur, tandis que son père avait un air totalement hautain sur le visage. "- ce n'est pas savoir arrêté un ballon qui fera de lui un homme." c'était sanglant, blessant et particulièrement difficile à entendre.

cela avait jeté un froid total. Ruben avait arrêté de manger, déglutissant en posant ses couverts sur la table. Gérard, lui, continuait son repas tranquillement. en prononçant ces mots, il n'avait pas daigné jeter un regard à son fils, préférant fixer son assiette ou sa fille. voilà donc ce qu'il se passait constamment dans l'appartement des deux hommes de sa famille.

elle n'eut même pas le temps de changer de sujet, pour calmer l'atmosphère, que son père reprit subitement : "- et les cours Ruben, qu'est-ce que ça donne ? ah, ça c'est dur, ça ne sera jamais comme ta sœur." une seconde, deux secondes, et il reprit : "- heureusement que Raquel est là pour sauver l'honneur ; on dirait que c'est elle l'homme de la famille maintenant."

les deux frères et sœurs sentirent en même temps cette douleur puissante dans leur poitrine. c'était si douloureux à entendre. depuis toujours, Gérard n'avait eu de cesse de tenter de mettre ses enfants l'un contre l'autre. pour lui, c'était un moyen de les pousser à se dépasser. seulement, cela n'avait d'effet que de les blesser chaque fois un peu plus. fort heureusement, ils étaient matures et leur lien familial était bien trop fort pour être détruit par des mots. mais, quelque fois, la pilule était difficile à avaler.

"- papa, vint dire simplement Raquel." elle, aussi, avait posé ses couverts.

pourtant, cela n'arrêta pas le vieil homme qui reprit simplement : "- qu'est-ce qu'il y a ?" il avait dit cela de façon totalement innocente. mais, il y avait bien une chose dont les deux enfants étaient sûrs, il savait parfaitement ce qu'il faisait.

ce repas était définitivement une mauvaise idée, et désormais la Magalhaes en était parfaitement sûre et certaine. 

cela se fit rapidement, mais pour la brune, cela sembla durer des dizaines de seconde. Gérard leva le regard vers son fils, et prononça ces simples mots : "- qu'est-ce qu'il y a, Ruben ? je ne dis que des faits, tu n'arriveras jamais à la cheville de Raquel."

c'est ainsi que le fils, qui n'avait pas encore prononcé un mot, se leva subitement, les poings serrés : "- je n'en ai rien à faire. mon seul objectif c'est de ne jamais te ressembler." il marqua une pause, avant de dire : "- tu me dégoûtes."

le père se leva alors, n'étant qu'à un mètre de son fils, face à lui, et se penchant rapidement vers l'avant, il lui adressa une voire la plus grande gifle que Ruben n'ait jamais reçu. et, à ce moment là, tout vrilla.

magalhaes // kylian mbappéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant