Chapitre -2

43 4 37
                                    

Une tendre brise enroba d'un voile tournoyant les quelques feuilles s'étant hasardées sur le sentier à l'orée du bois. Un ciel parsemé d'éclaircis projetait un tapis d'ombre et de lumière sur la terre sèche du layon. Le sol commença à vibrer sous l'impulsion d'un galop à vive allure.
Comme si le diable le poursuivait, un cavalier se désespérait à parcourir la sente. D'un geste de bride, son équidé à la robe bai-brun augmenta son allure, bien qu'à bout de force. Il découpa l'air, souleva la terre sous ses sabots et balaya à son passage, le tapis de feuilles accueillant leur venue. Elles s'envolèrent, soufflées comme la passion emporte les hommes.  

Max chevauchait dans un imbroglio d'inquiétudes et de détresse. Du sang s'écoulait de sa tempe amochée. Il n'était pas encore trop tard, il priait pour que ce soit le cas. Il atteindrait bientôt sa demeure et mettrait sa sœur et sa mère en sécurité. Son crâne et ses souvenirs se fracturaient en un puzzle, tant son esprit empli d'incertitudes se leurrait de la réalité. Rien de tout cela n'était survenu, son frère n'avait pas pu commettre de telles horreurs. Impossible...

Pourquoi Erein ? As-tu donc complètement perdu l'esprit ? Ou bien me suis-je aveuglé ? Voulant croire que tu étais meilleur que tu ne l'es?  

Ces questions attendraient. Il fallait se presser et rentrer chez lui avant que le malheur ne s'abatte sur sa maison, sur sa famille : avant qu'Erein ne les trouve.

Sa monture parvint à l'orée de la forêt et il vit se dessiner les contours de la maison des Alius, leur plus proche voisin. Le père était bûcheron, Max eut un souvenir succinct des journées passées à ses côtés, étant jeune. Un brave homme qui travaillait durement pour nourrir sa famille. Il se souvint qu'Ika avait l'habitude de l'accompagner quand il leur rendait visite, afin d'aller jouer dehors avec leur fille d'un âge équivalent.
Alors qu'il approcha de la demeure au toit de chaume, il remarqua la porte grand ouverte. Intrigué, il ralentit l'allure et posa pied à terre, un mauvais pressentiment jaillit en lui. Il s'approcha et jeta un œil à l'intérieur, l'horreur de ce qu'il découvrit le pétrifia.
 
Une table trônait au centre de la pièce, les restes d'un repas froid, non consommé, accueillaient les mouches. Un mince filet de sang s'était répandu entre les lattes du plancher et terminait de venir caresser le pied de la table, comme pour prévenir du retard définitif des convives au repas. Assis contre le limons dans une mare écarlate au pied de l'escalier, le corps d'un homme y reposait, le visage dissimulé par les ombres et le crâne fendu en deux par une hache. 
De l'autre côté de la pièce, dans le petit espace servant de cuisine, des débris de verre étaient répandus au sol et une femme y gisait. Son sang se mélangé au breuvage renversé et plusieurs tessons enfoncés dans sa poitrine, la longue et douloureuse trainée bordeaux indiquait sa vaine tentative de fuir en rampant le plus loin possible de la menace. Elle reposait, figée en un dernier visage grimaçant, à l'apogée de ses tourments. 

Un " ploc " caractéristique attira l'attention de Max, qui chercha la source du bruit. Du sang s'était répandu en une large nappe et suintait du plafond jusqu'à venir goutter sur la table à manger. Il sentit le chagrin le remplir quand il comprit et n'eut aucune envie d'aller voir à l'étage. Il se doutait que son cœur ne supporterait pas ce qu'il y découvrirait.
Une lourdeur s'empara de lui en un poids indicible tractant tous ses organes vers le bas. Le visage de son frère s'immisça dans son esprit, flottant tel un souvenir pernicieux, cerné du voile de l'incompréhension.
    
Que t'est-il arrivé Erein ? Pourquoi cette folie, ce massacre ? Est-ce vraiment toi ?

Max nageait dans un océan nébuleux où des émotions discordantes se percutaient, s'entremêlaient en une écume poisseuse et acide. D'abord, cet acte horrible dans la mine, qui hanterait à jamais ses cauchemars et maintenant, ce carnage. Aucun doute possible, il avait vu son frère lâcher cette torche. Un flot balaya le bouillonnement de ses pensées, une alarme sonna dans son esprit afin de lui rappeler l'urgence de sa situation.

Voyage vers l'île des mortsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant