Chapitre 4 : partie 1

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— Je peux te poser une question ?

La renarde se tenait assise sur des tonneaux en bois, amarrés les uns aux autres par un épais cordage afin d'éviter qu'ils s'éparpillent sur le pont.

Attend-elle là depuis longtemps ?

Pris au dépourvu une fois de plus par la discrétion de ses mouvements, il pesta contre lui-même, piqué au vif. Néanmoins, il ne put masquer son admiration fugitive et son humilité reprit le dessus. Cette fille représentait la dernière personne avec qui il expectait un échange, compte tenu du mutisme qu'elle avait entretenu jusqu'ici et de sa capacité à éviter toute forme de contact social. L'introversion de Max ne le rendait pas habile à la réponse ; aussi, il se contenta de hocher la tête avec rigidité.

— Tu savais que le capitaine te disait la vérité n'est ce pas ?

Les yeux curieux de Max se plantèrent dans ceux de la renarde, seule partie humaine qui ne soit pas enfouis sous d'étouffants vêtements masculins. La naïveté de sa voix contrastait avec sa sombre et intimidante apparence. En dépit de son regard fuyant et nimbé de méfiance, se dégageait d'elle un mélange de douceur et d'innocence. Une analyse toutefois très relative. Les comportements humains et le langage du corps ne figuraient guère au panthéon des atouts de Max. 

— Je le savais oui, répondit-il en opinant du chef, embarrassé. Mon cerveau en a juste décidé autrement.

— Ton cerveau... Ou ton cœur ?

Les jambes de la jeune femme battaient la mesure, comme une enfant qui occupe son temps. Cette manière triviale qu'elle avait de le questionner sans tourner autour du pot, ne fut pas sans lui remémorer Ika. Le cœur raidi, il lui tourna le dos et posa ses mains sur la balustrade. Les rayons solaires se reflétaient à la surface de l'eau en un éclat d'or alors que l'immensité solitaire de l'océan les englobait.

— Disons qu'une fois de plus, mes espoirs ont flotté devant moi l'espace de quelques heures, avant de s'évanouir, répondit Max, accompagné de la sensation que maintenant qu'il lui tournait le dos, la renarde avait le regard posé sur lui. J'imagine que j'ai simplement souhaité m'y accrocher un peu plus longtemps.

Il avait bien deviné que Lone ne mentait pas. Obéir à quelqu'un qu'il ne pouvait manipuler, ne correspondait pas à Erein. La rencontre de leur caractère antipodique aurait eu l'effet d'une explosion. Au final, la réitération vicieuse d'un coup d'épée dans l'eau avait leurré son discernement. À chaque pas qu'il effectuait dans sa direction, son frère s'éloignait un peu plus.

— C'est curieux que tu parles d'espoir, reprit la renarde. Pour moi, l'espoir est plutôt lié à quelque chose de positif. or, je n'ai pas l'impression que celui que tu poursuis, puisse t'apporter quoique ce soit.

Cette remarque lui fit relever la tête et le laissa sans réponse, désemparé. Un léger choc sur le plancher indiqua que la renarde venait de descendre de son assise. Lorsqu'il se retourna vers elle, il ne trouva que sa confusion pour seule compagnie.

Trois jours passèrent à bord du Tamaskan. En partie dispensé des tâches quotidiennes de part son statut de client, Max ressentait le besoin de s'occuper le corps et l'esprit. Aussi, il accompagnait régulièrement Renoir, apprenant à arrimer, à parer, à accorer et prenant le pied marin à mesure de récidive. Il se surprenait à rester plusieurs minutes agrippé au gréement, à observer l'équipage sans que l'on vienne le déranger.
Le capitaine Lone débordait à chaque minute de cette énergie arrogante qui le caractérise. Il ne dévoilait jamais une once de fatigue ; excepté peut-être, lorsqu'il rejoignait sa cabine à l'abri des regards. La complicité qu'il partageait avec Renoir laissait supposer qu'ils se connaissaient depuis un certain temps. Une sensation amère envahissait le cœur de Max quand il en était témoin : un regret, un souvenir, un vide.

La voleuse ne lui avait plus adressé la parole, elle passait le plus clair de son temps à chercher un moyen de se dissimuler aux yeux de l'équipage. Max fut étonné que son statut féminin ne lui apporte aucun désagrément durant ce voyage, aucune remarque désobligeante.
La compagnie des chiens gris affichait une discipline de fer sur ce point là, excepté le capitaine Lone lui-même.
Elle avait fini par laisser son visage respirer, dévoilant sa chevelure châtain coupée court, à la garçonne, son nez aquilin et ses joues légèrement rondes.
Max l'avait détaillé avec attention, y cherchant en vain quelques réponses aux questions qu'elle avait suscitées en lui. Il n'y trouva toutefois que de nouvelles interrogations. D'où pouvait bien provenir la brûlure marquant sa joue droite et une partie de sa mâchoire ?
Elle ne gardait jamais longtemps sa peau à découvert, aussi son apparition en était devenue presque comme une éclipse pour l'équipage. Ces derniers évitaient toutefois d'y faire allusion, ils évitaient ainsi le risque d'être classés par le capitaine comme des concurrents à éliminer.
Celui-ci lui déroulait tout le tapis rouge des comportements masculins les plus caricaturaux, dans une fascinante parade nuptiale. Il roulait des mécaniques et se pavanait comme un coq, faisant fis de son désintéret. Quand bien même, sa fierté paraissait en prendre un coup à chaque tentatives.

Voyage vers l'île des mortsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant