Chapitre 8

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Les tourbillons tumultueux de sa mémoire empêchèrent Max de profiter d'un sommeil réparateur. Allongé sur le lit poussiéreux d'une chambre miteuse aux nombreux locataires insectoïdes, il dévisageait le plafond vibrant duquel tombaient à intervalle régulier, des monceaux de poussière. À l'évidence, son voisin supérieur n'avait pas décliné la proposition des demoiselles de la rue.
La nuit était tombée et une faible clarté lunaire s'infiltrait avec difficulté à travers la crasse qui barbouillait la fenêtre.
L'oreille tendue vers l'extérieur afin d'éloigner son esprit du coït tarifé. Il percevait l'agitation nocturne de cette cité insomniaque qui exerçait une trouble fascination sur lui. Le couinement des roues d'une charrette poussée. Les inaudibles discussions qui allaient et venaient d'un bout à l'autre de la façade. Un claquement sourd à la provenance indéterminé provoqua l'envol d'une nuée de chauve souris qui passèrent devant sa fenêtre.

Ses pensées dirigées vers sa famille, tous lui manquaient. Les plaisanteries douteuses de son oncle John ; le regard aussi complice qu'accusateur de sa mère quand elle prenait la fratrie à commettre les quatre cents coups. Les encouragements de son père, dont le désarroi qu'il singeait d'élever trois enfants aussi singuliers, les amusait beaucoup. L'intelligence encyclopédique d'Ika, laquelle passait des heures à les abreuver Erein et lui, d'un savoir auquel il ne bittait pas un mot. Il ne put s'empêcher d'avoir une pensée pour son frère également ; du temps où il le considérait encore comme tel. Son cœur l'élançait à chaque fois que son cerveau dérivait de ce côté de sa mémoire. Néanmoins, une certaine tendresse l'envahissait, face à ces réminiscences de bienveillance et d'amour.

Tout cela était-il faux ? N'était-ce que tromperie, ou as tu un jour pu ressentir une réelle affection à notre égard ?

Lourd et pesant, le son d'une cloche indiqua la mi-nuit et le ramena à la réalité. Remuer le couteau dans la plaie ne seyait pas à son humeur évasive. Aussi, il se décida à se lever pour une promenade noctambule. Une préparation prompte, n'ayant pas enlevé ses vêtements au vu de l'état déplorable du lit. Il n'eut qu'à enfiler son manteau, ses bottes et il fut dehors, à peine l'idée germée dans son cerveau.
Une fraîcheur amicale l'accueillit, tandis que ses pieds le portaient avec légèreté à travers les allées peu engageantes. Son ombre projetée sur le pavé par une pleine lune parvenue à percer l'épaisse muraille de nuages. Max pénétra sur l'imposante place accueillant le piloris, désormais désertée des civils. 

Deux soldats grelottants échangeaient des banalités, en laissant échapper des volutes de vapeur de leur bouche. Il examina les prisonniers, lesquels arboraient, pour la plupart, un regard désolé dressé vers le ciel. Ils savouraient les précieuses minutes de leur dernière nuit en ce monde. 
Max parcourut machinalement les différents visages qui s'offraient à lui en un panorama des sentiments humains. Lorsque son œil attiré par la sombre silhouette recroquevillée qui occupait la dernière cage reconnut le profil de la renarde, il se figea sur place, stupéfait !
Elle qui paraissait si inatteignable ce matin encore, animée d'une vigueur et d'une discrétion inégalable, gisait le corps meurtri et grelottant contre le sol couvert de poussière et de sang séché. Plusieurs mèches de cheveux voilaient son visage maintenant à découvert. Son manteau, ses bottes et ses gants lui avaient été arrachés, la laissant vêtue d'une simple tunique bordeaux  déchiquetée.

Qu'a t'il bien pu t'arriver ?

Max fit un pas dans sa direction, puis il comprit.
Non la chemise n'était pas bordeaux, mais blanche, maculée de sang. Les déchirures  correspondaient au résultat provoqué par l'utilisation d'un fouet, il en acquis la certitude en dépit de la distance. Combien y'en avait-il ? Trop, beaucoup trop.
Son poing se contracta, était-ce de la colère ou de la compassion ?
Pourquoi le sort de cette inconnue, le concernait-il autant ?

Voyage vers l'île des mortsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant