Chapitre 1

103 12 142
                                    

L'agréable chant d'un pinson fût un premier pas vers le monde extérieur. Les assauts de la lumière se frayèrent un passage à travers des paupières closes et Max ouvrit les yeux.

Voilà maintenant trois ans qu'il avait échappé de justesse à la noyade. Depuis, ce rêve, ou plutôt ce souvenir, le hantait tel un mémento funèbre. Son esprit rationnel cherchait par tous les moyens à refouler sa crédulité. Toutefois, aucun argument tangible ne venait étayer son déni. Ce qu'il avait vécu alors qu'il se tenait aux berges de l'Achéron, ne pouvait être une simple divagation de son cerveau. La cicatrisation miraculeuse de ses blessures le prouvait.

Le pacte est réel Max, le diable est revenu te parler depuis. Il ne s'agit pas d'une illusion. Trop de choses abondent dans ce sens, alors accepte le pour de bon.   
 
Trois années qu'il s'était lancé dans cette traque insensée. Sa haine comme moteur, son unique moyen d'avancer. Sa dernière lueur d'existence se résumait à un simple désir : tuer Erein.

La mélodie du pinson lui traversa une fois de plus les oreilles et son esprit reprit conscience de son environnement. L'espace d'un instant, son regard vagua à la contemplation alors que le vent soufflait entre les épais murs de cette forêt de pins. Les rayons du soleil filtraient aux travers des branches en voiles dorées éparses. Ils nourrissaient la flore, que la rosée matinale illuminait d'un éclat cristallin.
 
La silhouette sombre de Max assise contre le tronc d'un vieux pin, jurait avec l'harmonie que la nature imposait en ces lieux. Loin des hommes, écarté de la civilisation, c'était là qu'il se sentait le mieux. Il inspira et savoura ce précieux moment de calme. Durant un instant aussi bref qu'intemporel, sa colère s'était dissipée. Il oublia ses regrets et le poids de sa culpabilité s'envola.
Le craquement d'une branche morte le sortit de ses songes et son ouïe se mit aux aguets, quelqu'un approchait. Aussi loin que l'on pouvait se trouver de la civilisation, cette dernière finissait toujours par se frayer un chemin. Elle égrainait sa modernité en repoussant toujours plus loin, les limites de l'horizon. 

Des voix s'élevèrent par delà la végétation, approchant par le chemin sinueux non loin de sa cachette.

— La pêche a été bonne, Markus sera content !

— Pour sûr ! Mais ces gros bourgeois sont moins amusants s'ils ne se défendent pas, c'est que je commence à rouiller.

— Si le chef maintient son plan, la prochaine caravane devrait être un gros morceau, donc elle sera défendue.

— Génial ! On a plutôt intérêt à en profiter tant que tous les marchands migrent vers l'est.

Les voix se rapprochaient et Max put distinguer deux hommes. L'état de leurs vêtements en disait long sur le temps depuis lequel ces bandits rodaient dans ce coin reculé. De vieux uniformes de l'armée appartenant au royaume de Lorraine. Beaucoup de déserteurs de la précédente guerre sainte s'étaient regroupés en petites bandes armées et semaient la pagaille dans la région.

Nous aussi, nous y avons survécu Erein. Enfin je crois... Il aurait mieux fallu que nous y restions tous les deux.

Les deux individus passèrent sans remarquer la paire d'yeux verts qui les dévisageait, dissimulée par la végétation. D'un geste furtif, il se redressa et avança d'un pas à travers la caresse des feuilles effleurant son visage.
Sa poigne s'agrippa au manche de son épée dont la lame fut tirée du fourreau pour venir tomber le long de son manteau. La légèreté de son accoutrement lui offrait une mobilité silencieuse qui compensait son manque de protection.
Max avait servi dans les éclaireurs durant la guerre, avant que son frère ne dégote une combine pour les réunir dans un même régiment. La discrétion et la guérilla avaient fait partie de son apprentissage : se dissimuler dans son environnement, guetter sa proie et fondre dessus tel un fauve, puis disparaître. 
Il était passé maître dans l'art de passer inaperçu en dépit de son apparence. Son long manteau anthracite au col relevé et sa cicatrice, participaient pleinement à lui donner un air peu recommandable, l'allure d'un brigand ou d'un mercenaire. L'idéal pour intimider afin de délier quelques langues, tout en évitant les indiscrétions à son égard. 

Voyage vers l'île des mortsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant