Chapitre 19

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Décharger le matériel des deux navires prit l'intégralité de la journée. Un campement de fortune fut dressé sur la plage, tandis qu'une dizaine de matelots demeurèrent de garde sur les vaisseaux. 
La majorité des lorrainiens embarqués aux côtés d'Erein étaient des militaires, non des marins. Les membres de la garde arboraient une cuirasse rutilante sous leur manteau rouge, ainsi qu'un casque de fer au bec allongé. Sous la protection d'un filet de gardes en guet à l'extrémité des bois, les hommes profitaient d'un dernier repos nocturne avant le départ de l'expédition. Comme porté par une volonté soudaine de confronter sa détermination à celle de l'île, Max figurait au nombre des veilleurs volontaires. Depuis sa prise de poste au couché du soleil, ses yeux n'avaient pas quittés la forêt de cyprès. 

— Trouves-tu une réponse à tes questions à travers cette orée lugubre ? Demanda Renoir pour annoncer sa compagnie.  

— Je doute même de connaitre les questions à vrai dire.

— Ton esprit borné refuse simplement de regarder dans la bonne direction, se moqua Renoir.

— Que veux-tu dire ?  

— Alors, pas de monstre tapi dans l'ombre ? Annonça Erein narquois, alors qu'il s'immisçait entre eux.

— Je vous trouve bien désinvolte, commandant. C'est manquer de respect à ceux qui ont trouvé la mort ici. Les monstres sont réels, bien plus que le trésor en tout cas.

— Je le sais. Je n'en ai jamais vus, mais si mon frère l'atteste, alors je le crois. 

Renoir jaugea Erein, le temps de donner un sens à ses contradictions volontaires.

— Vous avez conscience de condamner beaucoup de ces hommes ?

— Ce serait de rester inactif qui reviendrait à les condamner. Qu'importe la chimère, dès lors qu'elle fournit l'espoir, seul l'espoir peut encore sauver la cité. Et puis, la pièce du capitaine prouve bien qu'il existe un trésor non ? 

Renoir demeura silencieux quant à ce qu'il en pensait, cette pièce résultait d'un lourd tribut de sang. 

— Difficile de cerner si l'espoir qu'on lui prête, commença Max, n'est pas qu'une ruse de plus de cette île pour nous attirer dans son filet.

— Houuuu j'ai hâte, s'excita Erein en agitant les bras. Cette expédition deviendra notre entéléchie messieurs !

— Notre quoi ? S'étonna Renoir en dévisageant Erein.

— Laisse tomber, il parle bizarrement parfois. 

— Entéléchie, frustes ! Conclut son frère en tournant les talons pour regagner le campement.

 — Je suis inquiet, poursuivit Renoir après qu'il se soit éloigné. Les soldats se méfient naturellement de notre équipage. Trop d'ethnies différentes en son sein pour qu'ils soient serein, en particulier avec des barbanes. La renommée du capitaine suffit à calmer le jeu d'ordinaire, mais avec cet huluberlue... Je crains le pire.

 — Ce serait insensé, seuls les chiens gris sont revenus vivants de cette île. Vous représentez leur meilleure chance de survie.

Le regard de Renoir s'assombrit alors qu'il fixa ses iris sombres dans ceux de Max. Depuis quand son frère représentait-il la raison ?

L'aube venue, accompagnée de sa fraîcheur engourdissante, un clairon sonna le rassemblement général. Si soldats et mercenaires rechignaient à se mélanger, l'hétérogénéité s'imposa au groupe d'éclaireurs. En accord avec Lone et Erein, Max en prendrait la tête, sans égard pour ses protestations ; lui qui ne se voyait nullement la responsabilité du commandement. Lui advint la charge de désigner parmi les volontaires, un trio pour l'accompagner. Sa confiance allait à Renoir, mais la présence de ce dernier auprès du capitaine serait précieuse. Anya s'imposa d'elle même, sans que quelque objection n'eut le loisir de naître dans son cerveau. Mustapha représenterait un allié de poids, ne serait-ce que par son optimisme encourageant. Enfin, un dénommé Ismaël leur fut enjoint par le capitaine. Ses antécédents de garde chasse au service d'un obscur comte le désignaient comme un excellent tireur, à l'ouïe fine. C'était un homme plutôt fin et de taille modeste, aux boucles blondes volatiles et à la mine fermée, sa force concentrée dans son regard plissé et tumultueux.   
Un couple de soldat acheva la formation de leur groupe. Un jeune imberbe, dont l'anxiété n'égalait que la curiosité ; ainsi qu'un homme plus mûr, aux larges rouflaquettes brunes, dont les nombreuses entailles aux visages trahissaient un vétéran de la dernière guerre.
Un désir ardent brûlait dans les yeux d'Erein, aussitôt noyé sous le torrent de la frustration. Accompagner son frère dans la découverte de cette île relevait de l'impossible, son statut l'obligeait à mener sa troupe. Une déception qui servit néanmoins à alimenter la source en satisfaction de Max, libéré pour un temps de ce fardeau. 

Voyage vers l'île des mortsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant