Chapitre 3 - C'est là que tout commence

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Je me suis faite à ce nouvel établissement. C'est très différent de l'école primaire, mais deux choses n'ont pas changé : je m'ennuie pendant les cours, et Juliette me manque atrocement. Mais ça ira. Il faudra bien. J'aimerais me faire d'autres amies, mais Ilana ne veut pas. Pourtant, j'en aurais bien besoin. Ilana est mon amie, mais elle ne me comprend pas. Ma mère dit que je suis en avance pour mon âge. C'est peut-être vrai, sur certains points. Depuis quelques années, je me sens différente. A l'école, d'autres élèves m'ont bien embêtée avec ça. Si je suis différente, je n'y peux rien.

Aujourd'hui, ça fait un mois que je suis rentrée au collège. J'aime les mois d'octobre. Le temps se rafraichit doucement, et les arbres ont la couleur de l'automne. C'est chaleureux.

Je resserre mon manteau autour de moi, et rajuste mon sac à dos sur mes épaules. Je raccompagne Ilana jusqu'à la grande avenue, car je dois aller chercher ma petite sœur à son école primaire, qui ne se trouve pas très loin. Ma mère est infirmière de nuit, alors je ne la vois pas beaucoup, et c'est moi qui m'occupe de la maison et de Isobel (ma sœur, donc).

- Olariane ! crie quelqu'un derrière moi.

Je me retourne. Ilana fait de même. Derrière moi et mon amie se trouve Luc, entourée de sa bande d'amis, qui font tous partie de notre classe.

- Oui ? je lui demande.

Que me veut-il ?

Il ricane. Ils ricanent tous.

- Tu as un prénom bizarre, et avec tes lunettes et ton air de miss je-sais-tout, tu fais trop l'intello !

Je reste figée. Je n'ai jamais avoué à quiconque, pas même à Ilana, que je n'ai pas la moindre idée de ce que veut dire "intello". Mais d'après la manière dont c'est dit, je me doute bien que le terme intello n'est pas très sympathique, étant donné le début de la phrase.

Je ne sais pas quoi dire. Alors je me retourne, attrape Ilana par le bras et on se remet en marche. Je pense que les ignorer est la meilleure chose à faire. Non ?

Je sens des regards peser sur moi tout le long de la rue. J'avale ma salive, puis me tourne vers Ilana.

- Je vais chercher Isobel, fais attention à toi !

Ilana me regarde en fronçant les sourcils, mais je me dérobe en prenant la rue de droite, pendant qu'elle va à gauche.

Isobel m'attend derrière la grille avec impatience. Ses cheveux sont un peu plus foncés que les miens et son visage est plus rond, ses traits plus enfantins, sinon elle est mon parfait sosie.

- Je viens chercher Isobel, j'annonce à la maîtresse.

Isobel est autiste, donc elle-aussi est différente. Elle ne supporte pas le toucher, sauf le mien. Même ma mère n'arrive pas à l'approcher.

La maîtresse hoche la tête, et dit doucement à Isobel qu'elle peut partir. Isobel me saute dans les bras.

- Aria !

Seule elle m'appelle ainsi. C'est mon surnom, qu'elle-seule a le droit de me donner. Je n'ai jamais accepté de surnom de la part de quelque autre personne.

- On y va, Isobel.

Elle court devant moi. Je la regarde avec tristesse et regret.

A la mort de mon père, j'avais le même âge qu'elle. J'étais petite, et je n'ai plus jamais été la même qu'avant. Je me suis sentie responsable d'Isobel, car ma mère fuyait son chagrin en travaillant comme un forcenée à l'hôpital.

Isobel m'attend devant le passage piéton pour traverser la route. J'arrive près d'elle. Nous regardons à droite puis à gauche, et traversons la rue. Je discute avec ma petite soeur tout en marchant. Cependant, lorsque je lève les yeux, je me fige brusquement. En face de nous se trouve le petit groupe de Luc. Je ne peux même plus faire machine arrière ou marcher jusqu'au trottoir d'en face. Ils m'ont vue. Mais je ne veux pas qu'ils disent des choses sur Isobel... Elle est sensible et je veux la préserver !

- C'est ta soeur ?

Je fais signe à Isobel de poursuivre. Elle connait le chemin jusqu'à la maison.

- Oui. Et alors ?

- Tu ne me parles pas comme ça !

Je croise les bras et mets tout mon courage dans cette seule phrase :

- Et pourquoi pas ?

Je le dépasse et rejoint Isobel, qui m'attend à la prochaine intersection.

- C'était qui ? demande-t-elle.

- Peu importe, je réponds, préoccupée.

Je sens un regard peser sur mon dos jusqu'à ce que nous tournions au bout de la rue. Je m'oblige à ne pas me retourner. A quoi cela servirait-il ?

Si tu pleures sous la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant