Scène 7
DIOTIME, EUDOXIE ET POLÉMARQUE
Diotime est assise au bord d'une fontaine dans le jardin de son gynécée. Polémarque entre dans son jardin. Diotime semble préoccupée et Polémarque s'assoit à côté d'elle. Elle ne le remarque pas.
POLÉMARQUE : Que vous arrive-t-il, ma maîtresse ?
DIOTIME : (Elle sursaute.) Oh, Polémarque ! Tu m'as surprise.
POLÉMARQUE : (En aparté.) C'est le plus grand cadeau qu'elle puisse me faire !
DIOTIME : (Elle brise le quatrième mur.) Euh ... je te vois, Polémarque.
POLÉMARQUE : (Gêné, il se rattrape.) Vous me semblez préoccupée ... que vous arrive-t-il ? (Silence de Diotime.) Depuis que vous êtes revenue du marché, hier, je vous vois différente... vous semblez préoccupée.
DIOTIME : Je ne cesse de repenser à notre conversation.
POLÉMARQUE : Moi aussi, vous hantez mon esprit. Eudoxie est ...
DIOTIME : (Regarde Polémarque fixement. Elle sourit puis se reprend.) Je suis trop vielle pour ces choses-là. Tu as Eudoxie, vous vous appartenez. Moi, je n'appartiens à personne.
POLÉMARQUE : (D'abord surpris. Puis il dit.) Tant mieux ! Je veux vous appartenir.
DIOTIME : Oh, Polémarque. Tu es si naïf.
POLÉMARQUE : Oui. J'ai tout oublié pour réapprendre le monde. Et pour vous aimer.
DIOTIME : Le dernier qui m'a dit ces mots-là est loin d'être innocent.
POLÉMARQUE : (Il réfléchit puis il a une illumination.) Socrate ? Par Zeus, vous l'aimez ? Mais tout ce qui est arrivé n'est pas votre faute, ma maîtresse.
DIOTIME : Le crois-tu vraiment, Polémarque ?
POLÉMARQUE : Oui.
DIOTIME : Alors, tu es encore plus naïf que je ne le pensais. (Polémarque se tait, confus.) Polémarque, malgré ton incroyable jeunesse, je crois que tu es assez philosophe pour discerner le vrai du faux, et le bon du mauvais.
POLÉMARQUE : (Il feint le détachement.) Je m'y emploie tous les jours, madame.
DIOTIME : Je t'en prie, ne sois pas aussi froid avec moi. (Silence.) Je ne suis pas digne de confiance. Ton amour est bien mal placé. Ne t'emploie pas à gâcher ta vie pour moi. Je sais que tu vaux mieux que ça. J'ai fait des choses horribles qui ne cessent de me poursuivre depuis.
POLÉMARQUE : (Amoureux.) Dites-moi tout, prêtresse !
DIOTIME : (Soupir.) J'ai parlé à notre ennemi. Moi aussi, j'ai trahi. (Elle regarde Polémarque.) Je t'ai trahi.
POLÉMARQUE : Je ne peux le croire.
DIOTIME : Et pourtant ... malgré tout ce que tu penses de moi, je ne suis pas aussi vertueuse que tu le souhaites. Je fais partie de la rébellion qui s'est agglomérée ces temps-ci autour des frustrations du peuple. Je tente de donner une issue positive à tout cela, en orientant les volontés de tous vers la Justice. Alors, j'ai confié tes doutes sur Socrate à la résistance, mais c'est le père d'Eudoxie qui en a profité.
POLÉMARQUE : Protagoras !
DIOTIME : Oui, lui-même. (À ce nom, Eudoxie qui se promenait dans le jardin prête l'oreille et se glisse dans un bosquet. Elle est à quelques mètres d'eux.)
EUDOXIE : Oh ! Est-ce mon Polémarque ? Il parle avec Diotime. Je n'entends pas très bien ce qu'ils se disent, mais je suis sûr qu'il loue mes qualités.
POLÉMARQUE : (En colère, à Diotime.) Mais enfin, pourquoi avez-vous fait cela ? Je vous aime !
(Le sang d'Eudoxie se glace.)
DIOTIME : Et Eudoxie ?
POLÉMARQUE : Elle n'est rien comparée à vous.
EUDOXIE : (En sanglot et en aparté.) Grâce ! Pourquoi ?!
DIOTIME : C'est vrai que je ne t'ai jamais vu totalement accordé en nature avec elle. (Eudoxie pleure et se mord les lèvres, de rage.)
POLÉMARQUE : Non, car mon destin est lié au vôtre. Je ne peux partager celui d'Eudoxie, qui est trop immature pour moi. Maintenant, je sais pourquoi je lui ai menti. Car en réalité, je pensais à vous. (Eudoxie se tord de douleur.)
DIOTIME : N'était-ce donc pas pour le régime ?
POLÉMARQUE : Oui, c'était pour vous ! Quand nous nous sommes vus hier au marché, j'ai senti que vous me compreniez, que je pouvais tout vous dire. J'ai su que c'était vous la femme que je devais épouser. À ce moment précis, je me suis juré que je n'épouserai personne d'autre.
DIOTIME : (Gênée mais avec un léger sourire.) Cela n'est pas sage.
EUDOXIE : (Dans un état inqualifiable.) Je veux mourir !
POLÉMARQUE : (Il s'approche De Diotime.) Non. Je ne peux le croire ! Votre teint n'est pas habituel. Vos émotions vous emportent. Je vous vois telle que vous êtes. (Il la regarde plus intensément.)
DIOTIME : (Elle s'abandonne presque.) Oh, Polémarque. (Le bosquet remue. Eudoxie met sa main sur sa bouche et se mort de plus bel, jusqu'à se faire saigner.) Qu'est-ce donc ? (Un lapin sort du bosquet.)
POLÉMARQUE : Ce n'est que la Nature. Elle nous appelle à elle.
DIOTIME : Non, cela suffit ! (Elle se lève.) Polémarque, par tous les dieux, reste à ta place.
POLÉMARQUE : Non, plus maintenant, car vous avez mêlé mon nom à la rébellion. Cessez de me rabaissez !
DIOTIME : Je ... (Elle réfléchit puis se tait.) Pour la première fois, je ne sais pas quoi dire.
POLÉMARQUE : Ainsi, je ne suis plus un enfant et ne suis plus un de vos disciples non plus. (Plus ferme.) Je suis un homme et je te réclame des comptes. Qu'as-tu dit sur moi ?
DIOTIME : (D'une voix faible.) J'ai dit que tu serais d'une certaine utilité, étant un proche de Socrate.
POLÉMARQUE : Un proche ? Il ne m'a pas adressé la parole une seule fois ce mois-ci.
DIOTIME : Peu importe, tu es son digne héritier.
POLÉMARQUE : Ainsi, tu veux que je trahisse et que je me gâche un avenir tout tracé. Tu cherches à me corrompre.
DIOTIME : Ne sois pas emporté par tes émotions, Polémarque.
POLÉMARQUE : Mes sentiments, Diotime. (Plus lentement.) Mes sentiments. (Elle ne dit rien. Alors, il reprend.) Comme tu l'as dit au marché, j'ai cherché l'Amour et le Divin ailleurs. J'ai été inspiré ! Inspiré par toi. Ne me demande plus de revenir en arrière. J'ai bien suivi tes conseils.
DIOTIME : Oh, Polémarque. (Elle se reprend, s'avance et le sert dans ses bras. Puis, elle se détache de lui.) Malheureusement, ce n'est pas toi que j'aime chez toi, mais le jeune Socrate. C'est toujours lui que j'aime et tu es son parfait reflet.
POLÉMARQUE : Je ne suis qu'un reflet pour toi ?
DIOTIME : (Le fixe droit dans les yeux.) Oui. C'est pourquoi je ne t'aime pas.
POLÉMARQUE : (Il réprime une émotion.) Alors, je ferais ce que je dois faire.
Il s'en va. Diotime est impuissante. Eudoxie se mord les lèvres de toutes ses forces et prend de la terre dans ses mains. Elle serre intensément le poing.
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LA RÉPUBLIQUE IMAGINAIRE
Adventure20 ans après les évènements du ROI-PHILOSOPHE. Socrate est devenu le tyran de la cité. Il impose ses lois, son mépris pour le peuple, tourne ses ambitions du côté de l'éducation des philosophes et ne se soucie plus des petites gens. Il est temps po...