Scène 9
PROTAGORAS ET POLÉMARQUE
Polémarque est à la taverne. Il boit, plusieurs chopes vides sont entassées sur sa table. Ses effets militaires sont également entassés dans un coin de la pièce. Un homme s'approche et s'assoie à la table.
PROTAGORAS : (À lui-même.) Qui vois-je, assis à cette table ? Un homme en quête de sens ? (Apercevant la dague, l'armure et le bouclier en fond de scène.) Oh, un soldat ! Voyons si je peux lui soutirer quelques effets personnels ... (À Polémarque.) Bien le bonsoir, mon brave ! Que fait un garde de Socrate à boire après l'heure du couvre-feu ? Un souci tracasserait-il ta jeune âme ?
POLÉMARQUE : Va-t'en, ivrogne ! Retourne boire pour oublier. Tu fais bien.
PROTAGORAS : Oh, un compagnon d'infortune ! Tu es comme moi : une âme solitaire. Je veux boire à tes côtés.
POLÉMARQUE : Ne t'approche pas où je te bats.
PROTAGORAS : (Joueur.) Fais-le, mon brave ... à travers toi, c'est Socrate qui frappe injustement. Or, je ne crains pas son courroux. Et toi ?
POLÉMARQUE : (Interloqué, regarde cet inconnu et se méfie tout à coup.) Que me veux-tu, vielle homme ?
PROTAGORAS : Moi ? Juste discuter. Tes armes sont belles, dis-moi, en as-tu souvent l'utilité ?
POLÉMARQUE : Oh, un marchand ! Tu veux acheter mes affaires ? Prends tout le paquetage si cela te chante, je n'accorde que peu de valeur à ma fonction.
PROTAGORAS : (Tout à coup intéressé.) Es-tu un insurgé au sein de l'armée ?
POLÉMARQUE : En tout cas, je sers le régime sans aucune conviction. Las ! Je suis soûl, et tu me fais dire n'importe quoi.
De l'amour seul naissent les vues les plus profondes, or, sombre inconnu, tu sembles aimer abondamment le vin. (Il regarde les chopes autour de lui.) Ainsi, le vin ne voile pas ton regard, il l'augmente !
(Imprudemment.) Je ne connais qu'un homme qui me répondrait cela. Tu as la verve d'un sophiste qui a sévi il y a vingt ans, un ennemi implacable de la république.
PROTAGORAS : (Rougit.) Ce devait être un homme terrifiant.
POLÉMARQUE : Pour sûr, il l'était.
PROTAGORAS : (De plus en plus intéressé.) Qui es-tu, jeune homme, pour en connaître autant sur l'histoire de notre cité ?
POLÉMARQUE : Je me nomme Polémarque.
PROTAGORAS : (Ses yeux s'illuminent alors de pourpre.) Tu es le Polémarque ...
POLÉMARQUE : (Surpris mais désinhibé par l'alcool.) Cela suffit, et toi alors ? Tu es aussi terrifiant que l'homme dont Diotime m'a parlé ... tu dois être Protagoras !
PROTAGORAS : (Ironique.) Oui ... (Ricane intérieurement.) Et toi, tu es un brave soldat qui obéit convenablement à son maître. (Il reprend son sérieux.) Il y a juste un petit problème : ton maître n'est pas digne de toi ...
POLÉMARQUE : (Sans conviction.) Je t'interdis.
PROTAGORAS : (Lucide.) Oh, mais à ce que je vois, le problème est plus grand encore ... car tu le sais déjà.
POLÉMARQUE : Tu es comme Diotime. Tu sais décrypter les émotions des gens.
PROTAGORAS : Ne me mets pas dans le même panier ! Diotime t'a vendu au conseil, moi, je vois en toi un potentiel.

VOUS LISEZ
LA RÉPUBLIQUE IMAGINAIRE
Aventura20 ans après les évènements du ROI-PHILOSOPHE. Socrate est devenu le tyran de la cité. Il impose ses lois, son mépris pour le peuple, tourne ses ambitions du côté de l'éducation des philosophes et ne se soucie plus des petites gens. Il est temps po...