VINGT-ET-UN - 6 mars

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Mois de mars, (toujours) la nuit de jeudi à vendredi qui suivit la nuit de vendredi à samedi.

Emma n'alla pas retirer de l'argent au distributeur.

Dans les rues sombres qu'elle connaissait par cœur, elle se dirigeait vers le kot de Yanis. Ses mains tremblantes fouillaient son sac avec frénésie, cherchant son téléphone, un peu d'herbe qui y trainerait par miracle. Elle était si nerveuse. Alex l'avait replongée dans cette peur viscérale qu'elle tentait vainement d'enfouir. Elle devait calmer son corps parcouru de spasmes et tics nerveux. Malheureusement, bien que son téléphone finit par joindre sa peau, elle dut se résoudre à rouler une simple cigarette.

Ses doigts raides et agités tassèrent fébrilement le tabac, le filtre tomba par terre à plusieurs reprises. Le papier n'était pas assez serré et le briquet en manque de gaz eut toutes les peines du monde à l'allumer. Son pouce racla les roulettes, les frotta maladroitement, encore et encore, s'abattant sur le plastique pour libérer les restes de butane. Les maigres étincelles formées se transformèrent, une faible flamme fut accueillie avec espoir, brulant un moment le papier avant d'atteindre les feuille séchées.

Emma put enfin porter la cigarette à ses lèvres, s'inonder de nicotine.

Mais ce n'était pas suffisant, loin d'être assez fort.

De sa main libre, elle tapa rapidement un message pour Yanis. Elle rentrait chez lui, elle serait là dans une demi-heure et allait bien. Il lui répondit directement pour savoir où elle était. Elle se contenta de lui dire de ne pas se tracasser. Elle se répéta. Elle arriverait dans une demi-heure. Elle venait de croiser Alex et était désolée s'il s'était fait autant de soucis.

Normalement, un bus reliait différents points de la ville pour éviter les trop longs trajets, elle aurait pu être au kot en moins d'une vingtaine de minutes. Ça ne lui en aurait peut-être fait gagnée qu'une dizaine, une quinzaine tout au plus, mais elle aurait pu. Il lui aurait suffi d'attendre un instant à l'arrêt qu'elle venait de passer pour descendre à celui près du petit appartement. Ça aurait été le dernier au vu de l'heure.

Cependant, il lui fallait un moment pour se ressaisir, même si ce n'était qu'une dizaine de minutes supplémentaires. Elle voulait de l'air frais. L'alcool devait la quitter un peu plus, ses larmes se sécher, son visage reprendre une teinte normale et, surtout, elle espérait que le stress qui avait gagné Yanis serait redescendu. Lui, tout comme Alex, n'avait aucun droit de l'engueuler, de lui faire la moral ou autre.

Son téléphone affichait déjà un autre message. Voulait-elle qu'il vienne la chercher ? Non, elle arrivait. Elle inventa qu'elle n'avait plus beaucoup de batterie et qu'elle préférait la garder pour un cas d'urgence. Un autre ding retentit. Trop tard, son GSM avait déjà atterri dans le fond de son sac.

Malgré son envie de prendre son temps, son pas était vif sur les pavés irréguliers des trottoirs. Les ruelles animées étaient loin désormais. Le calme de la nuit l'angoissait. Son cœur s'affolait à l'approche des groupes de jeunes qui passaient parfois. Mais ils n'étaient pas tous comme ça.

Emma serra plus étroitement les pans de son manteau noir, comme si une simple armure de tissu aurait su la protéger du monde. Son cou se rentra dans ses épaules. Elle avait froid mais pas à cause de l'air glacial, l'alcool était encore trop présent pour ça. Elle devait se concentrer pour marcher droit. C'était la peur qui la glaçait.

Elle tira une dernière fois sur sa cigarette avant de se résoudre à la jeter et en roula une nouvelle. Plus facilement cette fois.

Elles se consumaient rapidement. Elle les respirait plus qu'elle ne les fumait, sans en profiter vraiment. Inspirant l'air goudronné, le laissant envahir ses poumons, elle l'expirait pour en reprendre directement. L'oxygène se confondait à la nicotine et l'idée d'un cancer la laissait de marbre.

NIETSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant