VINGT-DEUX - 6 au 8 mars

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Mois de mars, le week-end qui suivit le jeudi qui suivit la nuit de vendredi à samedi.

D'habitude, le plafond pleurait à sa place. Les anciennes photos s'y décollaient, coulaient de temps en temps  jusqu'au sol. Ça faisait une éternité qu'Emma n'en avait pas ajoutées de nouvelles. Elle ne prenait plus la peine de les ramasser, laissant le plaisir à Gribouille. Parfois, un courant d'air les entrainaient dans le couloir et ses parents les lui rapportaient.

Sa mère ne critiquait plus ce qu'elle considérait autrefois comme une grotte assombrie. Elle avait même proposé à sa fille de l'aider à recoller les clichés et d'aller en imprimer de nouveaux ensemble, chez Kruidvat. Emma n'avait pas paru emballée. Une petite pille de photos, mordues et froissées pour la plupart, avaient commencé à grossir sur un coin de son bureau.

Mais la pile avait disparu le samedi au soir. Son plafond larmoyant était redevenu sec et blanc.

Le vendredi matin, Emma s'était réveillée chez Yanis, une flaque de vomis à côté du canapé. Elle n'avait pas su quoi en penser. Elle se sentait vaseuse, se rappelait s'être disputée avec Alex. Des flashs de cauchemars remontaient sa mémoire. Yanis, ils avaient rompu. Puis elle s'était rendue que ça ne pouvait pas être un rêve. Elle ne se serait pas réveillée sur le canapé, sinon.

Il était sept heures et, mal à l'aise, elle avait pris le bus pour rentrer chez elle sans dire au revoir. Elle n'était pas allée en cours de la journée, préférant fixer son plafond en pleurs.

Face à elle, la photo la plus récente de toutes avait les coins encore solidement accrochés à la patafix. Emma l'avait imprimée en septembre sur le bête papier de son imprimante. L'image était striée de lignes blanches, les couleurs étaient ternes. Les cartouches ne contenaient presque plus d'encre au moment de l'impression.

Figé dans le temps, Yanis lui souriait, le bras enserrant la taille de son double. Ses yeux étaient étrécis de bonheur. Comme souvent, il irradiait d'une joie contagieuse. Pour la première fois, sa bonne humeur lui faisait l'effet d'un coup à l'estomac. Emma ne cessait de regarder son téléphone, bondissait dessus à la moindre notification. Yanis ne lui avait pas envoyé un seul message.

La vue du selfie nouait un peu plus sa gorge, son ventre. Il avait été pris à l'heure du BeReal. En fond, on voyait le hall du cinéma qui les avait accueillis lors de leur premier rendez-vous. Emma lui avait parlé de sa chambre, de son plafond et mur de photo. Yanis lui avait demandé s'il pouvait y avoir une place et elle avait acquiescé, heureuse. En rentrant, elle avait réussi à récupérer le BeReal et l'avait imprimé sur du papier en attendant d'avoir suffisamment de photos pour les tirer à bas prix.

Elle hésitait à lui envoyer un message. Dans ses souvenirs flous, elle lui avait dit que ça faisait un moment que ça n'allait plus. Elle avait toujours entendu que l'alcool libérait la vérité. Si ça n'allait vraiment plus, alors elle ne pouvait pas le rappeler. Ça aurait été égoïste de sa part.

Au bout d'une trentaine d'heures, la vision de la photo était devenue insupportable. Emma était montée sur son lit et l'avait arrachée. Le reste des clichés subirent le même sort, finirent entassés dans un tiroir fermé.

Quand sa mère passa lui proposer de manger quelques choses, elle resta bouche bée devant le changement de la pièce. Elle lui en demanda la raison. Emma lui répondit qu'elle avait simplement besoin de faire le tri. Sa mère en oublia de lui parler des lasagnes qui étaient en train de cuire et revint quelques secondes plus tard pour essayer de la convaincre d'avaler quelques choses, lui listant l'intégralité du frigo et insistant sur le fait qu'elle pouvait sortir lui chercher tout ce qui lui ferait plaisir.

Mais Emma n'avait pas faim, mal à la tête. Elle voulait simplement qu'on la laisse dormir.

Sa mère était partie.

NIETSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant