Ce mec a vraiment l'air louche . Qu'est-ce qu'il me veut ? J'accélère , comme si de rien n'était. Il arrive presque à ma hauteur. Courage, Bernard, je me dis. (Oui, je sais, je m'appelle Bernard et c'est pas le prénom le plus stylé de la terre. Et ça tombe bien parce que vous allez voir que moi non plus.)
Après cet encouragement intérieur, une force me pousse à lui faire face. Je réfléchis brièvement. Que me veut cet individu ? J'ai fait 3 ans de judo-junior (de 3 à 6 ans) et une colo judo. Et je regarde de temps en temps le taekwendo à la télé (par erreur, qu'on soit bien honnête). Je ne risque (presque) rien ! (Je suis assez optimiste dans la vie, voyez-vous ?)
Je me retourne . Il m'agresse:
- qu'est-ce qu'tu cherches? Tu cherches quoi ? Eh mec !
Je commence à courir pour échapper à mon agresseur, mais celui-ci me plaque contre un poteau et me met une claque.Je réponds, je ne suis pas du style à tendre l'autre joue, malgré ce que mon physique pourrait laisser penser, et on enchaîne sur une sorte de lutte où il réussit à me plaquer contre un arbre cette fois, et à me gifler.
Soudain,
a r r ê t sur image.Pourquoi il s'arrête de bouger ? une voix me dit : « regarde ses jambes, il a de mauvais appuis, tu pourrais facilement les faucher ». Intrigué par la voix qui sort de nulle part, je me tourne, déstabilisant mon agresseur qui a recommencé à bouger. Je remets ma tête droite après avoir jeté un coup d'œil sur ses jambes.
En effet, elles ne semblent pas stables. Je lui met une balayette. Je le vois chuter mais je ne m'attarde pas et cours à toute berzingue, je donne tout ce que je peux, dans la nuit de la ville.
Pourquoi suis-je sorti tard seul ce soir? Pourtant, je suis taillé dans la face nord d'un cure-dent (je suis menu) et j'ai les cheveux longs, donc les rôdeurs patibulaires du soir croient que je suis une fille, donc en toute logique, veulent me draguer (niveau harcèlement de rue sans tact), puis en constatant leur erreur, veulent me péter la tronche, comme qui dirait.
Pas question pour eux de passer pour un « pédé » ! Le problème est aussi que les types qui abordent les filles qui ont ma carrure, à l'heure où je finis, sont plutôt, eux, contrairement à moi, taillés dans une armoire normande en bois de baobab et sont rompus aux exercices physiques comportant coups, course et insultes. Dans l'hypothèse où ce n'est pas le cas, ils sont dopés par l'alcool.
J'hésite à porter la moustache ou la barbe pour leur éviter cette erreur et, pour moi, cette frayeur, mais :
1- ça leur donne une bonne leçon (STOP au harcèlement de rue)
2- ça me va pas
3- ça me vieillit
4- j'ai la flemme, c'est du temps et de l'argent (que j'ai pas) à mettre pour un bon entretienAlors pourquoi je rentre si tard chez moi ?
À vrai dire, j'ai le choix. Je pourrais sortir de l'HP plus tôt mais je tiens à rester un peu plus longtemps au luxueux Hôtel Particulier de la ville. (même si la fille canon du patron qui gère l'accueil de nuit n'y est pas non plus complètement étrangère). (Heureusement il n'est pas comme le patron dans le film Le jouet. En effet, il n'a pas d'enfant, porte une barbe et une salopette et est par ailleurs vegan et communiste (je plaisante). )Bref, je fais des heures sup' par pure passion. Pour être honnête je ne les passe pas à l'hôtel mais à sa dépendance : la résidence pour personnes âgées Les Vignes Vierges (comme si les pensionnaires l'étaient. vachement inspiré le gars...) . Le mec qui a fait construire les deux établissements était un multimilliardaire méconnu. Il a construit un hôtel particulier de luxe pour l'élite (enfin c'est ce que les prix m'ont dit), et pour faire semblant d'être charitable, altruiste... il a fait construire un EHPA et un EHPAD de luxe.
Or je suis infirmier-canithérapeute et employé dans ce centre. Et j'aime bien mes « p'tits vieux » comme je les appelle. Et je crois qu'ils me le rendent bien, la plupart du temps.
Alors je reste après le service, juste pour le plaisir, pour tenir compagnie à ceux qui ne sont pas déjà endormis.
* * *Une rapide présentation de moi, quand même : Je m'appelle Bernard Kritery-Omme et j'ai vingt-quatre ans. Je mesure 1m66 pour 58kg. J'ai des yeux marrons et des cheveux châtains. Pour décompresser de mes journées fatigantes je fais une heure de boxe française par semaine depuis le début d'année (le mois dernier en vrai parce qu'avant j'avais une angine). Avant ça j'ai fais un an de boxe anglaise mais le club a fermé. ***
Quand je réalise enfin ce qu'il m'est arrivé, j'ai l'impression d'être dans un film de science-fiction ou dans un de ces milliers de livres où le héros découvre un pouvoir/ un monde parallèle/ une aptitude exceptionnelle.
Mais non. Je n'ai pas rêvé. Une voix a bien tout arrêté et m'a conseillé. C'est dément ! Et vraiment incroyable ! Et comme Mrs Trunchbull dans Matilda de Roald Dahl, c'est trop pour paraître vrai, réaliste. Je n'en parlerai sûrement pas à Frédégonde, ma BFF. Elle prendrait rendez-vous sur-le-champ avec mon psy. Par contre, je pourrais peut-être en toucher un mot l'air de rien à Raph' ou à Tom'.
Je suis de nature (et de corpulence) calme. Mais une deuxième fois, le phénomène s'est produit. C'était pendant une compèt, j'ai gagné mais avec l'amertume des gens qui trichent malgré eux.
Je suis qualifié pour le tournoi régional en temps que représentant du club dans ma catégorie! Même le coach est étonné parce que c'est la première fois que je remporte un match et que je ne me suis pas particulièrement entraîné ces derniers temps.
Cette petite voix me donne un début désagréable de syndrome de l'imposteur.
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La folle aventure de Bernard K-O
RomanceJe suis Bernard, infirmier-canitherapeute en EHPA et EHPAD. (Oui, je sais, je m'appelle Bernard et c'est pas le prénom le plus stylé de la terre. Et ça tombe bien parce que vous allez voir que moi non plus). J'ai commencé la boxe, mais quelque chose...