𝗹𝗼𝘀𝗶𝗻𝗴 𝗴𝗮𝗺𝗲 | 𝟭

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« A broken heart is all that's left
I'm still fixing all the cracks
Lost a couple of pieces when
I carried it, carried it, carried it home »



La pluie martelait les rues de la capitale. Le froid de la nuit époussetait l'humidité qui avait envahit l'air. Les véhicules roulaient sur les asphaltes mouillés. Les passants bravaient les intempéries sous leurs parapluies, accompagnés ou seuls. Mais son regard ne bougea pas du sol. Ce qui l'entourait ne semblait plus avoir d'importance pour lui. Voilà une semaine qu'on lui avait dit que tout reviendrait à la normale, qu'ils reprendraient le cours de leurs vies comme avant, mais leurs vies, ils les avaient laissé là-bas. Elles ne leur appartenaient plus depuis qu'ils s'étaient décidé à jouer avec eux, à les manipuler, les endoctriner sans leur laisser une chance de s'échapper de leurs mains affamées de connaissances et de savoir.

Les éclats de voix et de rire derrière lui le firent tourner la tête vers le petit fast-food. Adossé à la vitre, les gouttes de pluies s'écoulant de ses mèches de cheveux. Il vit le groupe d'adolescents assis autour d'une table plus loin, discutant tranquillement entre eux.

S'ils ne les avaient pas forcé à rester ensemble, personne n'aurait pensé à l'inviter, ils ne voulaient pas de lui avec eux. Pas après ce qui s'était passé dans cette école, pas après cette tuerie. Pas après qu'ils aient vu les filaments les plus sombres de sa personnalité. De sa fausse personnalité. Celle qu'on lui a construite contre son gré, celle qu'il arborait aveuglément. Il n'était plus la même personne. Il était redevenu celui qu'il a toujours été.

Mais les autres ne voulaient absolument plus rien avoir à faire avec lui. Si ce n'était les ordres des docteurs qui les étudiaient, ils n'auraient certainement pas eu à continuer de traîner avec lui comme étant discuter.

La douleur brûlait au fond de son être. Les larmes menaçaient de couler. Il sentait le poids du rejet pesait en lui. Un caillou dans le lac vide qu'était son âme. Un caillou lourd mais petit. N'était-ce pas là une preuve évidente qu'il n'était plus le même ? Celui qu'il avait été dans cette killing game n'aurait jamais versé de larmes, n'aurait jamais affiché sa peine, aurait eu à mentir sur ce qu'il ressentait, choses qu'il n'avait même pas la force de faire.

Se rendraient-ils compte à un moment qu'il n'était plus celui dont leurs plus lointains souvenirs se rappelaient ? S'en rendraient-ils compte ? Feraient-ils attention à lui après l'avoir découvert.

Évidemment que non. Personne ne faisait attention à lui après tout.

«Tu es seul, Kokichi, et tu le seras toujours.»



SAMEDI SOIR

Le vent soufflait fort cette journée-là, mais le soleil couchant réchauffait leurs corps. Pour la première fois depuis longtemps, les quatorze adolescents semblaient réellement heureux. Leurs rires retentissaient dans la pataugeoire libre d'enfants et de parents du parc. Ce n'était pas forcément la meilleure journée pour jouer avec de l'eau en maillots de bains, et certainement pas à une heure aussi tardive, mais ils ne faisaient pas attention au temps venteux ni à l'heure passée.

Ils voulaient simplement oublier. Oublier tout ce qui s'était passé ces derniers mois. Oublier ce qu'ils avaient vécu. Oublier tout. Ils n'avaient plus à se méfier les uns des autres, ils n'avaient plus à s'entretuer. Ils n'avaient plus à se réveiller chaque matin et se demander qui risquait de leur enlever la vie. Ils pouvaient finalement respirer. Ils avaient offert rédemption et amitié à chacun d'entre eux.

Chacun d'entre eux excepté un.

Son regard ne pouvait pas les quitter. Ses oreilles essayaient de faire taire leurs éclats de rire. Son corps voulait fuir le plus loin possible. Sa langue se retenait de leur hurler qu'il voulait leur pardon, qu'il en avait besoin, que ce n'était pas juste qu'il soit le seul mit à l'écart.

Il savait qu'il avait fait du mal, mais pourquoi eux, ceux qui avaient tué de leurs propres mains, aussi égoïstement, s'étaient fait si facilement pardonner et lui non ? Il n'était pas mieux qu'eux, mais il méritait lui aussi leur pardon, alors pourquoi ne la lui accordait-t-il pas ?

Ils n'avaient pas encore regagné leurs personnalités. Lui si. Peut-être que s'il ne l'avait jamais fait, cette situation l'indifférerait, peut-être qu'il l'aurait prise avec humour, malgré la peine qu'elle lui causait. Peut-être qu'il aurait cherché à s'immiscer dans les jeux du groupe. Mais il n'était plus ce qu'il avait été, et il ne pouvait que regarder, des couteaux dans le cœur, poignardé douloureusement par l'horrible sensation de rejet qui accompagnait sa solitude.

— Ôma ? Qu'est ce que tu fais ici ?

Il sursauta au son de la voix, levant les yeux. Tsumugi le regardait, son sourire cachant sa mine inquiète. Après ce qui s'était passé dans la tuerie, le groupe avait finalement compris qu'elle n'était pas méchante, qu'elle n'était qu'une simple chercheuse voulant en apprendre plus sur le cerveau humain. Car, c'était ça, le but de Danganronpa. La tuerie n'était qu'une illusion, un monde virtuel qui semblait affreusement réel.

L'équipe Danganronpa cherchait à comprendre les réactions du cerveau humain face à différentes situations de danger et de peur. Une brève parenthèse avait été ouverte concernant le fait que ces recherches pourraient porter leurs fruits dans des situations de stress post-traumatique. Aucuns des adolescents n'avaient cherché à en entendre d'avantage. Ils étaient dégoutés par les méthodes employés par les chercheurs, mais en voyant les cassettes vidéos montrant qu'ils avaient eux-même, de leurs pleins grés, passés des auditions pour faire partie de cette tuerie, ils n'avaient plus posés aucun jugement sur les méthodes drastiques et draconiennes qu'on leur avait imposés.

S'il y avait bien une chose que le groupe se devait de continuer de respecter pour les prochaines semaines étaient qu'ils ne devaient pas se séparer et vaquer à leurs propres occupations. Ils étaient une famille, et devaient battre ensemble leurs traumatismes. Mais plus le temps passait aux côtés des jeunes, plus Kokichi se disait que ses traumatismes ne partiraient jamais tant qu'ils seraient là pour lui rappeler ce qui s'était passé dans cette tuerie. Et s'ils continuaient d'agir comme s'il était l'ennemi.

— Ôma ?

Tsumugi s'était accroupie face à lui, le fixant, son sourire laissant finalement ouvertement voir son inquiétude.

— Pourquoi tu ne joues pas avec les autres ?

— Je...

Bon sang comme il détestait ce nouveau moi qu'il devait être. Ne pouvait-il pas être confiant comme avant et mentir sur le sujet, trouver une excuse ? Ça ne devrait pas être si difficile, il n'avait qu'à dire que ça ne lui tentait pas de se baigner en une journée aussi venteuse, et pourtant, il bloquait, et tentait difficilement de trouver une réponse, bégayant des mots sans tenter de les aligner.

La bleue tenta difficilement de comprendre ce qu'il disait mais aucun mot cohérent ne parvint à ses oreilles.

— Chut, c'est bon, donne moi ta main.

Il ne bougea cependant pas. Ses muscles lourds serraient dans un étau ses mouvements et ses poumons étouffaient l'infime source d'air qui eut la force de parvenir jusqu'à lui. Son regard se perdit vers le groupe, le souffle laborieux, tentant de calmer le torrent d'émotions violentes qui s'écoulait en lui. Un barrage brisa. L'eau inonda son cœur noyé. Le soleil disparu avait convié le groupe à ranger leurs affaires et le froid mordant à partir le plus vite possible.

Tsumugi le fixa sans rien dire. Elle appella doucement son nom et presque dans un sursaut, il leva les yeux vers elle.

— Tu n'avais rien fait de mal. Tu avais voulu les sauver. L'humain est cupide et avare d'informations ; une fois que son regard a capté l'image, il ne cherchera pas à y trouver un quelconque sens.

Elle lui sourit et partit au loin, retournant sans doute en direction du centre de recherche. La voix de Miu l'interpella et l'espace d'une seconde, l'envie de faire semblant de ne pas se reconnaître à travers l'insulte agressive et violente de la blonde le prit. L'espace d'une seconde, il voulut montrer qu'il avait de la valeur. L'espace d'une seconde, il se dit qu'il devait au moins être reconnaissant qu'ils ne l'aient pas abandonné ici, seul dans ce parc. 

𝐋𝐄 𝐏𝐎𝐈𝐒𝐒𝐎𝐍 𝐃𝐔 𝐋𝐀𝐂 | 𝘀𝗮𝗶𝗼𝘂𝗺𝗮Où les histoires vivent. Découvrez maintenant