La vie est faite de riens. Des courts instants. Des émotions. Des paysages. Des rencontres. D'autres vies qui se croisent et se décroisent. Des interrogations. Des divagations nocturnes. Des souvenirs.
Des riens qui fleurissent tels des chrysanthèm...
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Il s'étendait, par-dessus les eaux sombres et brumeuses du styx. Si calmes étaient-elles en apparences, l'oubli menaçait ceux qui y plongeaient. L'oubli des noyés.
Le seul moyen d'atteindre l'autre rive sans y sombrer ? Traverser le pont. Les planches tenaient par des cordes de fer rouillé, et le vent ébranlait la passerelle comme s'il s'agissait d'un papillon frêle et égaré, en proie aux tempêtes. À chaque mouvement, tout se confondait en un concert de craquements sinistres et de gémissements terrifiants, chaque pas semblait être un pas de plus vers le trépas.
Traverser était un risque. Un risque mortel.
Car le pont était gardé par une dame de pique toujours armée. Elle veillait l'entrée éternellement, accueillait ceux qu'elle bénissait, chassait ses maudits, et son ombre saisissante planait sur les voyageurs, ses baisers froids et sans amour effleurant le front des condamnés, des malheureux et des intrépides.
Tout au bout du chemin, à la fin de la traversée, s'étendent les blés dorés d'un autre champ, le champ de la mort, un Elysée sans retour. Don ou malédiction, nul ne savait réellement ce qui se cachait derrière ce rivage indistinct, noyé dans des ténèbres lumineuses, au-delà de cette passerelle dangereuse. Y faisait-il froid, y faisait-il chaud, y faisait-il bon ? Était-ce le repos, véritable cadeau, ou la peine, indicible fardeau ? Un Eden promis, un tartare honnie ? Des promesses, des secrets. Des vérités et des mensonges...
Pour le savoir, il fallait traverser.
J'ai traversé le pont.
Le portail qui marquait sa fin laissait entrer mais point sortir. Pourtant, parfois, une nuit par an, il s'ouvrait légèrement, et laissait s'échapper un souffle, une âme, un songe évadé. Pour rejoindre notre monde, le laisser remonter, revenir à la lumière avant de brûler et de se consumer entièrement. La dame de pique fermait les yeux, rien qu'un instant. Un instant suffisant pour gagner l'autre rivage. Fouler les roseaux, le blé pas encore fauché. Frôler d'une pensée les êtres aimés et délaissés. Revivre, le temps d'une nuit. Avant d'être rappelé par le chant d'Orphée, au-delà du Styx, et de retraverser. Car nul n'échappait au pont.
Pour l'emprunter, il fallait être prêt. Prêt à sentit sur son épaule la poigne glaçante d'une ombre, le souffle gelé et mortel d'une faux qui s'abat, glisse le long de la gorge pour atteindre le cœur, petit à petit.
Moi, je l'étais.
J'ai atteint le jardin dont nul ne revient. J'ai accepté le chrysanthème de celle qui en garde l'entrée en échange d'un de ses baisers.
J'ai traversé le pont.
Et vous ? Êtes-vous prêts à en faire de même ?
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Aerdna,
26 octobre 2021, un jour où unêtre cher a emprunté ce pont...