Il était une fois…
Il était une fois un monstre. Fait d’ombre, déformé, tordu, laid. Son regard brûle, fort, trop fort. Deux braises rouges, perdues dans un puits de pénombre. Il se tient tapi dans le noir, dans les recoins les plus sombres, ceux qui font peur, ceux qui font mal, ceux dans lesquels on cherche toujours à rallumer la lumière. Mais le soleil s’est déjà éteint…
Prends garde à l’ombre qui se cache.
Si tu le crains, ne t’en approche pas. Il te dévorera, t’engloutira derrière ses crocs longs et effroyables. Cependant, si tu le comprends, si ton propre cœur n’est déjà plus qu’un gouffre, un néant, si tu ne redoutes plus l’obscurité et que les astres ont depuis longtemps arrêté de fredonner, alors écoute-le. Lui chantera pour toi.
Il chantera… cependant sa voix est plus faible que celle de la nuit, un simple souffle. Un grincement désagréable. C’est une porte qui s’ouvre, la porte vers son âme, une âme déchirée et faite de ténèbres. Sa chanson est faite de peines et de craintes. Une mélodie d’os et d’ombres.
Il ne peut parler. Il ne peut pleurer. Il ne peut rire. Il ne peut que fredonner.
Mais on ne chante jamais de berceuse pour les monstres.
Il rampe, il rampe toujours. Si tu t’approches, il rampera jusqu’à toi. Ses griffes sont longues, elles peuvent s’accrocher à tout, aux espoirs comme aux cauchemars et s’enfoncer plus profondément dans la pierre que dans la chair.
Si tu lui montres ton néant, il l’acceptera, et il te montrera le sien. Et si tu veux t’en débarrasser, enfin dire adieu à la créature qui te dévore, corps et âme, de l’intérieur, alors il t’aidera.
Quoi de mieux qu’un monstre pour en détruire un autre ?
Si tu prends sa main, il sourira. Il sourit toujours. Même lorsque son cœur est brisé. Et si tu le suis, il t’emmènera là où personne n’est jamais allé.
Là où les étoiles te chanteront une berceuse.
Quelques notes à peine… Elles te mentiront peut-être. Leur tintement résonnent comme un millier d'étincelles, des rêves déjà morts avant d’avoir pu se réaliser. Il fait encore plus sombre dans cet endroit, mais si tu lèves la tête, tu les verras, là-haut, dans le ciel. Des centaines de constellations, dorées, argentées, un concert de lumière. Le monstre les écoute sans cesse. Elles ne chantent pas pour lui, mais il se nourrira tout de même de leur douce mélopée.
Bannis la peur, bannis la douleur.
Puis, derrière les étoiles, derrière les ombres et derrière la nuit, tu atteindras une forêt. C’est un bois millénaire, une terre dans laquelle nul ne peut pénétrer s’il ne le désire pas ardemment. Les branches sont tordues, la terre hurle à l’agonie sous tes pieds. Mais le monstre continuera d’avancer, et il sourira. Il sourit toujours. Il t’aidera, il l’a promis.
Et la forêt te chantera une berceuse.
Une litanie vieille comme le monde et lourde d’une histoire qu’elle connaît par cœur, emprisonnée par ses racines, gravée dans la mémoire de sa sève. Un conte chargé du parfum de la mousse et de l’écorce. Et tandis que tu évolueras entre ses troncs, tu commenceras à voir s’épanouir à tes pieds des buissons entiers de fleurs de toutes les couleurs, et au-dessus de ton front des feuilles d’émeraude ou de rubis, dissimulant la voûte nocturne au-dessus de toi. Le bois se changera en jardin, un jardin où fleuriront des milliers de promesses. Promesses d’oubli, de paix, de bonheur. Alors peut-être, voudras-tu lâcher la main du monstre…
Chasse la souffrance, chasse la violence.
Mais quand tu le regarderas… Tu ne verras plus cette ombre étrange et distordue, son regard vide, ses longues griffes. Tu n’entendras plus sa complainte atroce. Il n’y aura plus de néant.
Ce n’est qu’un enfant. L’innocence se lit sur ses traits et lorsqu’il tend sa petite main, celle-ci est plus blanche que l’os, plus fine que les branches des arbres et plus douce que les pétales d’une fleur. Si jamais tu t’en saisis alors, il sourira. Il sourit toujours et quand il le fait, ses joues rondes se creusent. Mais son regard, lui, n’a rien d’heureux. Il étincelle d’une tristesse profonde, d’une souffrance que rien ne peut chasser, d’une pitié intense, qui prend au cœur et noue la gorge.
Il ne peut pas parler. Il ne peut pas pleurer. Il ne peut pas rire. Il ne peut que chanter.
L’enfant te chantera une berceuse.
Il était une fois un enfant. Un tout petit, petit enfant. Son cœur bat dans sa poitrine, ses yeux brillent comme deux étoiles et ses lèvres voudraient formuler des promesses qu’il ne peut que fredonner.
Laisse-moi t’aider. Laisse-moi apaiser le néant.
Tu le laisseras t’aider, tu le laisseras s’emparer de ton néant.
Les étoiles et la forêt sont des leurres. Il n’y a que moi qui suis réel.
Tu oublieras les étoiles et la forêt, tu oublieras leurs mélodies.
Dors, ferme les yeux. Rêve. Rêve. Et ne te réveille plus jamais.
Tu fermeras les yeux, banniras la peur, chasseras la souffrance et enfin, elle sera là, la lumière, la paix…
Une nouvelle étoile s’embrase dans le ciel. Une nouvelle note pour une berceuse que rien n’arrête.
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Mieux vaut tard que jamais : joyeux Halloween !
31 octobre 2024
Aerdna 🖤
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Les riens d'un chemin
PoesíaLa vie est faite de riens. Des courts instants. Des émotions. Des paysages. Des rencontres. D'autres vies qui se croisent et se décroisent. Des interrogations. Des divagations nocturnes. Des souvenirs. Des riens qui fleurissent tels des chrysanthèm...