Caféine [Nanami x OC]

1. Kuala Lumpur

Quelle heure est-il ?

Une lumière orange se déverse par les grandes baies vitrées de la salle de réunion. Les orchidées en plastique sur la table sont encore en fleurs. Franchement, avec le fric qu'ils gagnent, ils pourraient en acheter de vraies.

Enfoncé dans son siège de bureau en cuir, Nanami bascule sa tête en arrière et ferme les yeux.

Le calme de la pièce fait siffler ses oreilles. Il se trouve hyper concentré sur des détails mais commence à oublier le sens de la globalité. Il soupire.

Les signes de la privation de sommeil. Rien de nouveau.

La migraine d'acier qui serre ses tempes terrasse le peu de répit qu'il peut gagner dans cette grande salle vide.

Devant lui, une table longue et fine autour de laquelle sont arrangées une vingtaine de chaises comme la sienne. Plastiques en forme de fleurs ou de bouteille d'eau sont encore soigneusement placés au centre, mais les chaises déplacées trahissent le mouvement qui animait cette pièce maintenant baignée dans la lumière douce de la fin d'après midi.

L'homme d'affaires saisit le mouchoir propre qu'il garde dans une poche intérieure de son costume bleu à fines rayures et ouvre la petite bouteille devant lui. Il bascule le goulot contre la soie et jette un coup d'œil à sa montre argentée.

20h. Je vais devoir me taper des heures sup.

C'est presque devenu une blague entre lui et lui-même. Un vieux souvenir d'un temps où quelques bribes de soir pouvaient encore lui appartenir. Cinq ans plus tard, et l'argent avait remplacé le temps.

Il soupire et repose la bouteille avant de placer le mouchoir sur ses yeux fatigués. Non seulement il déteste ça, mais il va devoir en plus perdre son temps en mauvaise compagnie. Son hôte ce soir : Clark Wagram. Fils de riche, père de riche et porc insatiable.

Il frotte le tissu frais contre ses paupières et grogne d'aise une seconde. L'eau qui coule sur ses tempes et qui s'accumule en perles transparentes à la pointe de ses cheveux, lave un peu de son inconfort.

Wagram vient de racheter une entreprise de papier en faillite. En promettant de "sauver" les usines, il a pu sécuriser l'achat pour une bouchée de pain. Heureusement, il n'aura pas à aller aussi loin : une petite clause du contrat qu'il a bien soigneusement examiné (et proposé d'ajouter) l'autorise à "adapter les effectifs et la production" s'il juge cela nécessaire. Une fois qu'il aura liquidé tous les stocks, les machines, et les bâtiments, il pourra porter son dévolu sur une nouvelle structure en quête d'un sauveur.

Aider les plus riches à s'enrichir. Bien joué Nanami, mission accomplie ce soir encore.

Et ce succès, le trader peut le savourer toute la soirée. Wagram a prévu d'emmener toute l'équipe - lui compris - au Caféine, le club de striptease le plus exclusif de la ville. Le repère des hommes d'affaires en costume, autant accros aux filles qu'à la boisson qui leur permet de rentabiliser leur solitude. Café le matin, Caféine et cocaïne le soir. Gojō serait ravi de le croiser dans un endroit pareil, lui aussi serviteur du roi 金.

La migraine reprend.

Il soupire, repose sa nuque contre le haut du dossier de son fauteuil et ferme les yeux un instant. Il n'a qu'une envie ce soir : le silence. Rentrer dans son appartement, ouvrir les fenêtres sur la ville polluée et bleue. Pas d'écran, pas de musique. Juste les toits, les rangées d'arbres qui dessinent les rues, et le ciel sans étoiles.

Quelqu'un entre dans la pièce, il redresse lourdement la tête et efface les plis de son mouchoir humide.

Son chef, Riquet, passe son crâne dégarni dans l'embrasure de la porte, avant de s'y adosser en exhibant l'auréole marine qui tache sa chemise bleue. "Tu comptes rêver ici toute la soirée ?" Si seulement... "Le taxi est arrivé princesse." Il pose une main théâtrale au niveau de son torse.. "Que dis-je, majesté, ce soir !"